Un livre sur le statut des prêtres

Publié le par Garrigues et Sentiers

Un livre sur le statut des prêtres

Le livre de Jean-Marc Eychenne, évêque de Grenoble, intitulé Prêtres à l’école du lavement des pieds (paru chez Salvator en 2024) jette un pavé dans la mare sur le rôle des prêtres. Nous donnons ci-dessous un aperçu sur ce livre, puis nous dirons pourquoi nous pensons que le compte n’y est pas, qu’il serait nécessaire de revoir les prémisses sur ce qu’est le prêtre si on veut éviter un simple replâtrage.

L’auteur part d’un constat : actuellement les prêtres rencontrent d’énormes difficultés qu’ils ne peuvent surmonter. Ils ont un statut d’omniscients, d’omnipotents, ce qui les mine et qui est contraire à ce qu’ils devraient être. On en arrive, dans leurs formations, à les faire briefer par des cadres dirigeants qui les aident à devenir des managers ! Il y a nécessité de revisiter la théologie et la spiritualité pour sortir de cette vision du prêtre et de ce statut qui est insupportable pour eux et pour le peuple de Dieu.

Jean-Marc Eychenne demande de retrouver la kénose, l’esprit de l’épître aux Philippiens (« Il s’anéantit lui-même, prenant la condition d’esclave […] il s’abaissa lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » en Ph 2, 7-8) ou si l’on préfère, de revenir au lavement des pieds : le message de Jésus aux apôtres est de servir et non d’être servis et de commander. Mystère de dépouillement et d’abaissement. Déjà la tentation de considérer les ministres comme appartenant à un autre monde que le nôtre se trouve dans les Actes avec Pierre et Jean au chapitre 3, avec Paul et Barnabé au chapitre 14, le peuple veut les diviniser. La sacralisation des prêtres opère la même dérive.

Les prêtres sont comme tout le monde, ils ne sont pas choisis pour leurs mérites et il y a une grande disproportion entre ce dont ils sont capables et leur mission (encore plus quand cette mission est enflée par des désirs de pouvoir). « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi » (1 Cor 1, 27). C’est la grâce de Dieu qui agit, non la force ou la science du prêtre, l’auteur les invite à rentrer dans le rang !

Les prêtres sont appelés à accompagner les baptisés pour les aider à trouver Dieu, à témoigner de l’amour de Dieu pour nous et de l’amour que nous avons pour Dieu et nos frères. C’est cela leur ministère, quant au gouvernement, il y a une « capacité de tous les baptisés à exercer un pouvoir de gouvernement ».

Si l’on veut susciter des vocations, il faut donc repartir de l’esprit du lavement des pieds et appeler des chrétiens qui veulent être au service de l’amour. L’auteur finit en citant le Père de Lubac :« J’aime cette grande Église [… ] où ceux qui jouent un rôle public sont portés sans le savoir par la prière de plus humbles que le monde ne connaît pas ».

Fin de la présentation du livre.

Nous pensons que le compte n’y est pas

Il est vrai que si déjà on suivait ces quelques conseils, bien des choses changeraient. Mais il ne faudrait pas que cela devienne une sorte de « green-washing » à la mode actuellement.

Dès le premier chapitre, l’auteur assène une vérité bien discutable : « Le sacerdoce ministériel est né au cours du dernier repas de Jésus avec ses disciples ». C’est affirmer que Jésus ne s’adressait qu’aux apôtres, mais cela ne tient pas. L’envoi en mission a aussi été adressé aux seuls apôtres, le commandement d’amour aussi ! Et tout le monde est bien d’accord que dans ces deux cas c’est aux chrétiens qu’il s’adressait à travers ses disciples ; dès lors,  pourquoi pas lors de la Cène, si ce n’est pour réserver le pouvoir de l’Eucharistie à une caste qui se choisit ? Cela est en contradiction avec la pratique de l’Église du premier siècle, l’Eucharistie était présidée par le chrétien qui recevait chez lui. On n’avait pas inventé les prêtres, le sacerdoce était exclusivement chez les Juifs. Que l’institution ait désiré changer les choses est bien réel, mais cela ne permet pas d’affirmer que « le ministère de l’Ordre » est fondé sur la Cène, ce qui a permis de faire de l’ordination un sacrement... rendre sacré le prêtre.

Dans l’introduction déjà l’auteur affirme que « la présence du prêtre est indispensable à la vie d’une communauté chrétienne ». Ceci est bien vrai si on a interdit aux baptisés de partager la Parole et l’Eucharistie, et bien d’autres choses encore. Si on réserve « les pouvoirs » au prêtre, alors il devient indispensable. Mais on a fabriqué ce caractère indispensable, oubliant totalement le sacerdoce des baptisés. « Utile » serait plus pertinent qu’« indispensable ».

L’auteur dit que le « ministère sacerdotal » est inférieur au sacerdoce baptismal. On pourrait alors croire que pour lui, il ne s’agit que d’un « ministère », d’autant qu’au chapitre 2 il refuse de mettre le prêtre du côté du sacré, « appartenant à un autre monde que le nôtre ». Bravo... mais par ailleurs il montre qu’il n’en est rien dans son esprit : déjà au chapitre 6 il semble réserver au prêtre la présidence de la prière et des sacrements, est-ce obligatoire ? C’est certainement le cas actuellement au point que les « célébrations sans prêtre » dans les lieux où il n’y en a pas, ont été interdites, mais est-ce pertinent ?

Jean-Marc Eychenne a surtout cette phrase du premier chapitre : « Le sacrement de l’Ordre nous établit, ontologiquement, dans le mystère du dépouillement ». Nous voilà dans cet enseignement constant : le prêtre, par son ordination, serait transformé dans son être même, ontologiquement. Et l’Église d’insister en disant, très logiquement alors, qu’on reste prêtre quoiqu’il arrive : « sacerdos in aeternum ». Cette affirmation (« tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisedech ») est une reprise du psaume 110 dans He 5,6, elle s’adresse au Christ. Les prêtres se la sont attribuée, disant qu’ils sont d’autres Christ, se réservant ce qualificatif. Mais tous les chrétiens le sont tout autant. 

Alors si le prêtre est transformé par son ordination ontologiquement, il rentre dans le domaine du sacré quoiqu’en veuille Jean-Marc Eychenne, et le sacré lui est réservé. On peut donner à d’autres des parcelles de pouvoir (faire du « green-washing »), ce sont les personnages sacrés qui dominent dans tous les domaines. Et on ne peut demander aux « dominants » de vivre dans l’esprit du service, ce seraient des mots creux, comme on le constate bien souvent.

Tout ce que demande l’auteur aux prêtres, hormis le célibat où son argumentaire semble bien faible, c’est demandé à tous les chrétiens : être le Christ parmi ses frères. On aurait envie de résumer le texte par cette demande aux prêtres : soyez fidèles à votre baptême parmi les hommes que vous côtoyez, comme vous le leur demandez à eux !

Ne méprisons pas l’ordination à un ministère qui est utile pour nous aider, chrétiens, à vivre notre foi. Il nous faut des « pasteurs » qui vivent à partir du lavement des pieds, Jean-Marc Eychenne a totalement raison, mais il devrait pousser son audace un peu plus loin…

Marc Durand

Publié dans Réflexions en chemin

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
H
Bonne critique de Marc Durand, et bonne conclusion de Jean-Marc Agnieray.<br /> Nos clercs et nos journaux se plaignent de la "déchristianisation de la France. A cela je réponds par quelques réflexions. Quel est l'homme Français qui s'est retrouvé pendant plus de 20 ans en tête de toutes les enquêtes d'opinion des Français (entre 1975 et 2000) ? Réponse : l'abbé Pierre ! Un exemple de "service" plébiscité. Les valeurs "sociales" de l'Evangile se retrouvent largement dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1790, et sont toujours partagées par les Français (et au-delà avec la Déclaration universelle de 1945). Donc les valeurs de l'Evangile ont largement diffusé dans la "société civile" (en France , et aussi dans d'autres nations). On ne peut pas donc dire que la France est déchristianisée, mais plutôt que la majorité des Français ne se retrouve pas dans des pratiques rituelles surannées, alors que nombre de Français "pratiquent" l'amour du prochain dans de nombreuses associations humanitaires et caritatives, religieuses ou pas. (exemple le succès des Restos du Cœur, entre autres). Je remarque aussi que la seule devise nationale citée par notre pape François dans "Fratelli tutti" est "Liberté, Egalité, Fraternité" (§ 104). A mon avis une devise universelle (catholique au sens originel).<br /> Je n'ai pas beaucoup trouvé le "sens du sacré" dans l'enseignement de Jésus. La parabole du Bon Samaritain nous renseigne sur l'opinion de Jésus sur les prêtres et les "nobles" lévites (qui ne l'ont pas "loupé" le vendredi "saint"), surtout après qu'il se soit attaqué au pognon du Temple en chassant les marchands d'offrandes). <br /> Malheureusement, le goût du pouvoir est le "péché mignon" auquel succombent les clercs. Cela se vérifie dans toutes les religions... <br /> Si l'Eglise veut retrouver le soutien des citoyens Français (et autres), il faut qu'elle revienne au sens du service qui est la concrétisation de l'amour du prochain, sans lequel, selon, St-Jean, "sans les actes notre foi est vaine". Ce sens du service concret et fraternel existait dans les premières communautés chrétiennes. Au contraire de la tendance actuelle dans certains diocèses (dont le Var) où on a assisté à un retour de pratiques surannées et un repli "identitaire".
Répondre
J
Le Sacerdoce et la Laïcité : Un Dialogue Nécessaire<br /> Dans le paysage religieux contemporain, la question du rôle du prêtre et de sa place dans la société laïque suscite de vifs débats. Les réflexions de Jean-Marc Eychenne et les critiques de Marc Durand sur le statut des prêtres dans l’Église catholique offrent un éclairage sur les défis auxquels le sacerdoce est confronté, notamment en France où la laïcité est souvent perçue comme un “vide” spirituel.<br /> Un sacerdoce en quête de sens<br /> Eychenne, dans son ouvrage Prêtres à l’école du lavement des pieds, invite à une redéfinition du prêtre non pas comme un être omniscient et omnipotent, mais comme un humble serviteur. Durand, quant à lui, pousse la réflexion plus loin en remettant en question les fondements mêmes de l’ordination sacerdotale et en appelant à un retour aux sources du christianisme.<br /> La laïcité française : un défi pour l’Église<br /> En France, la laïcité est souvent interprétée comme une séparation stricte entre l’Église et l’État, ce qui peut conduire à une marginalisation de la spiritualité dans l’espace public. Cette situation crée un terrain numérique – c’est-à-dire un espace de discussion et d’interaction sociale – où l’Église peine à trouver sa voix.<br /> Les chiffres parlent<br /> Les statistiques montrent une baisse significative de la pratique religieuse et une augmentation de l’indifférence religieuse, particulièrement chez les jeunes. Cette tendance numérique reflète un éloignement croissant entre la société et l’Église, soulignant la nécessité pour cette dernière de réagir et de se réinventer.<br /> À la lumière des Écritures<br /> Les versets bibliques nous rappellent l’importance de la fraternité et du service. Par exemple, Galates 6:2 nous exhorte à « porter les fardeaux les uns des autres », et Matthieu 20:26-28 nous enseigne que « celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ». Ces passages soulignent la vocation de l’Église à être au service de l’humanité, une mission qui semble en décalage avec la réalité actuelle.<br /> Constat d’échec et appel à l’action<br /> Face à ce constat d’échec, il est impératif pour l’Église de réagir. Elle doit trouver des moyens de dialoguer avec la société laïque sans renoncer à ses principes, mais en les exprimant d’une manière qui résonne avec les préoccupations contemporaines.<br /> Conclusion<br /> Le débat sur le sacerdoce et la laïcité est un appel à un dialogue nécessaire entre l’Église et la société. Il est temps pour l’Église de reconnaître les signes des temps et de répondre aux défis posés par la laïcité non pas en se repliant sur elle-même, mais en s’ouvrant à un monde en quête de sens et de spiritualité.<br /> <br /> ....
Répondre