Homo Viator 5. Fêtes et loisirs
Je sais bien que de nombreuses associations témoignent en permanence d’une précarité grandissante de la population française mais à vélo, en parcourant une dizaine de départements, j’ai plutôt vu une France au travail, jouissant du droit de propriété, et j’ai été frappée par la récurrence des mots dans l’espace public comme : Fêtes, loisirs, vacances.
Vacances cela s’explique par la période que nous avons choisi, nous démarrons le périple un 16 Août mais les vacanciers ne faiblissent pas, omniprésents en octobre sur les rives de la Loire.
Le mot fête, lui, envahit l’espace des campagnes et des petites villes, c’est incroyable le nombre de fêtes auxquelles nous n’avons jamais participé, et pour cause l’annonce précédait l’évènement ou son affiche persistait alors que la fête était passée : fête des vendanges, fête du vin, fête des champignons, fête de la châtaigne, fête de la pomme… Tout se décline avec le mot fête et en premier lieu la fête du village. Au mot fête s’associe celui de convivialité, souvent le menu des agapes est publié avec le sous-entendu d’un vin qui ruisselle.
Le mot loisirs, lui, désigne un lieu, un territoire « zone de loisirs » situé en proche périphérie de nos villages-étapes où se regroupent la piscine, les terrains sportifs, football, tennis… Et les campings. Pour nous, suivre les panneaux indiquant « zone de loisirs », c’est le signal de la fin de journée à vélo car oui nous y dresserons notre tepee mais ce n’est pas la fin de nos efforts car une fois notre camp de base monté nous devons chercher notre repas du soir, notre unique repas de la journée. Combien de fois ai-je râlé contre le parcours supplémentaire imposé à travers champs, vignes ou rues de villages pour trouver une boulangerie, une épicerie, bref un commerce d’alimentation. Parfois nous trouvons un restaurant et parfois nous ne trouvons rien, dans ce cas nous sommes abonnés aux spaghettis gardés au fond de ma sacoche-arrière.
Fêtes et loisir s’intriquent dans des sociétés municipales voir commerciales, ce qui nous réserve des surprises : ce jour-là, André a déniché une « perle », il s’agit d’une zone de loisirs à 3 km du village autour d’un étang offrant un bar-restaurant « les pieds dans l’eau », inutile de se charger de provisions, avec enthousiasme nous avalons les kilomètres de collines qui nous en séparent. Plus on approche, plus je suis surprise du silence qui règne et de l’absence de signe d’activité humaine. L’étang surgit, bordé de roseaux, la zone de loisirs s’évanouit comme un mirage, la nature a repris ses droits.
Nous retournons vers le hameau, désemparés car la fin de journée approche, mais le miracle a lieu alors que nous approchons d’une bâtisse où nous lisons « mairie ». Nous entendons : « Vous cherchez quelque chose ? » Pardi ! Oui ! Oui ! nous cherchons un logement pour la nuit. L’adjoint au maire, car il s’agit de lui, sort son téléphone, consulte ses numéros et nous débusque un gîte magnifique en proximité du cimetière, après nous avoir expliqué : « La zone de loisirs a disparu, la société commerciale gestionnaire a fait faillite et passe devant les tribunaux, vous avez été piégés par la publicité toujours présente sur internet ».
Si les vacances, les fêtes, les loisirs s’intègrent dans le développement économique, leur sens culturel dépasse la simple signification commerciale, ils nous définissent comme possédant des revenus, de la protection sociale, des droits et même plus. Les « joyeux » retraités que nous sommes pourraient-ils pédaler pendant des mois en dehors d’un pays démocratique en paix ?
Christiane Giraud-Barra