Comment Rome prépare la suite du Synode sur l’avenir de l’Église
Comment poursuivre le Synode sur l’avenir de l’Église, dont la première phase vient de s’achever ? C’est pour répondre à cette question que 23 experts, théologiens du monde entier, sont réunis à Frascati, à une vingtaine de kilomètres de Rome, depuis le 21 septembre. Objectif de ces dix jours de travail : examiner les rapports envoyés par les évêques de toute la planète sur la consultation menée par l’Église de leur pays. Et en faire la synthèse.
Ce travail d’élaboration du nouveau document est délicat. D’abord, parce que les thèmes abordés par les 110 documents – sur 114 conférences épiscopales – envoyés au secrétariat général du Synode sont pour le moins variés. Ensuite, parce que le processus synodal est accusé, dans certains pays, de faire la part belle aux appels au changement prôné par certains (notamment sur la place des laïcs dans l’Église, en particulier des femmes) et de ne pas refléter la véritable opinion des catholiques. Enfin, parce que les millions de catholiques ayant participé à travers le monde à cette consultation seront très attentifs au document élaboré à Frascati jusqu’au 3 octobre.
« L’idée de ce document est à la fois que les évêques de chaque continent puissent s’y retrouver, tout en ayant conscience des problématiques rencontrées ailleurs dans le monde », explique un théologien. Pour mener à bien cet exercice très délicat, chaque document national doit être lu par plusieurs théologiens, puis ils élaboreront la nouvelle synthèse en deux langues, l’italien et l’anglais. Un « processus spirituel, et non un simple résumé », fait-on valoir au Vatican. Où l’on admet qu’« il est évident que le texte publié ne satisfera pas tout le monde ».
Pas un « texte du Magistère »
Que deviendra ensuite ce texte ? Rendu public vers la mi-octobre, il sera envoyé à toutes les conférences épiscopales du monde, qui seront libres de réagir à ce qu’il contient. « Leurs remarques, positives ou plus critiques, serviront à nourrir les rencontres continentales », explique-t-on à Rome. Où l’on précise qu’il s’agira bien d’un document de travail, et non d’un texte du Magistère.
À partir de janvier, chaque continent sera ensuite libre d’organiser les rencontres continentales comme il l’entend. Avec quelques conditionsn toutefois, imposées par Rome : ces assemblées devront durer au moins cinq jours, se tenir en présence de laïcs, et pourront comprendre un temps de réunion spécifique pour les évêques. Les dates sont d’ailleurs fixées pour plusieurs d’entre elles : les Européens ouvriront leurs travaux à Prague le 5 février 2023, les Africains à Addis-Abeba le 1er mars et les Latino-Américains à Bogota le 20 mars.
« L’élan du synode est de toute façon retombé »
En France, l’ouverture de la phase continentale, dont les contours organisationnels restent très flous, est à ce stade perçue avec un relatif détachement, teinté d’inquiétudes. « On peut vite se sentir éloignés de ce qui va se jouer à l’échelle continentale… D’autant que nous avons très peu d’expérience de ce type de rencontres avec nos voisins européens », concède Anne Ferrand, vierge consacrée du diocèse de Rodez et Vabres, référente pour le synode de l’Église locale.
Un scénario qui en laisse beaucoup sceptiques, tant les lignes de fractures – tant sur le plan des sensibilités épiscopales, que des différentes réalités ecclésiales – sont marquées entre certains pays. « J’ai beaucoup de mal à imaginer ce qui pourrait sortir concrètement de cette session » fustige un curé francilien. Il estime que « l’élan du synode est de toute façon retombé », puisque « de larges franges de fidèles – jeunes, sensibilités plus classiques… – n’ont pas voulu participer à la démarche, parce que la méthode ne leur correspondait pas, et ne se sont ensuite absolument pas retrouvées dans la synthèse nationale française envoyée à Rome ».
« Un peu trop tôt » pour s’exprimer
Sollicités par La Croix, les membres de l’équipe nationale accompagnant le processus synodal en France estiment qu’il est encore « un peu trop tôt » pour prendre la parole sur le sujet.
« Dans une synthèse, par définition, on ne peut pas retrouver ce qu’il y avait dans chacun des verbatim : quand nous regarderons la synthèse continentale, nous verrons l’écart qu’il y a par rapport à notre document national », concède Mgr Jean-Marc Eychenne, évêque nommé de Grenoble-Vienne (Isère). « Mais c’est beau : c’est la première fois dans l’Église catholique qu’il y a un travail de cette nature-là, qui part vraiment de la base et qui arrive finalement à l’Église universelle. »
De fortes attentes françaises
En France, près de 150 000 fidèles ont exprimé, selon les remontées du terrain, de fortes attentes pour réformer l’Église. Parmi les thèmes abordés : la place des laïcs, et en particulier des femmes, dans l’institution, les problèmes de gouvernance, l’attention aux plus pauvres, la liturgie, la remise en question du célibat obligatoire des prêtres… Des dizaines de participants, sondés par La Croix, ont indiqué avoir retrouvé « fidèlement » les demandes saillantes de leurs petits groupes de réflexion dans la synthèse nationale envoyée au Vatican. Un texte auquel les évêques ont finalement décidé, dans un revirement spectaculaire, d’adjoindre uniquement « une lettre d’accompagnement », au terme de leur Assemblée extraordinaire à Lyon, en juin dernier.
Loup Besmond de Senneville (à Rome),
Malo Tresca et Benoît Fauchet