L’Esprit dans le langage biblique
Dans la Bible, on compte un peu moins de 400 occurrences du mot hébreu roûah et un peu plus de 400 du mot grec pneuma. C'est dire que ces deux termes sont importants.
La Traduction Œcuménique de la Bible (TOB) les traduit généralement par esprit (avec ou sans majuscule), mais aussi par souffle, vent, haleine, inspiration…
Il va sans dire que le mot esprit a évolué. Entre l'esprit d'Élie qui s'est reposé sur Élisée (2Rois 2,15) et l'Esprit qui, comme une colombe, descend sur Jésus après son baptême dans le Jourdain par Jean (Marc 1,9-13) ; entre l'esprit du Seigneur, qui menait son peuple au repos (Isaïe 63,14), et le Saint-Esprit qui avait été répandu aussi sur les païens (Actes 10,45), quel chemin parcouru !
o O o
De cette polysémie se dégage néanmoins un point commun : le mot esprit connote toujours une réalité insaisissable. L'esprit se reconnaît davantage à son action que par ce qu'il est. Aussi, les attributs de l'esprit sont-ils nombreux, comme s'il les fallait tous pour dire son unité.
UN MOT : PLUSlEURS SENS
Au fil des expériences historiques et religieuses, les mots roûah et pneuma vont revêtir des sens divers.
- Dans leur sens atmosphérique, ils désignent le vent : vent d’est qui apporte les sauterelles, vent d'ouest qui les chasse (Exode 10,13-19), vent du nord qui enfante la pluie (Proverbes 25,23), vent violent qui agite la mer (Jonas 1,4 ; Luc 8,23), vent brûlant du désert (Jérémie 4,11), vent de rosée rafraîchissante (Daniel 3,50)…
- Le terme roûah a aussi un sens cosmique quand il s'agit des quatre vents de la terre (Jérémie 49,36 ; Ézékiel 37,9 ; 1Chroniques 9,24). Ils indiquent alors les quatre points cardinaux.
- Revêtus d'un sens anthropologique, roûah et pneuma signifient alors haleine, souffle, respiration et secondairement âme, cœur, esprit. Par exemple, Job agonisant s'écrie : « Mon souffle s’affole mes jours s'éteignent » (Job 17,1). Ézékiel enjoint au peuple de se faire un cœur neuf et un esprit neuf (Ézékiel 18,31). De même l'esprit de Marie s'est empli d'allégresse (Lc 1,47). Ou enfin, « de même que sans le souffle, le corps est mort, sans œuvres, la foi est morte » (Épître de Jacques 2,26)
- Dans un sens connexe, les deux termes désignent la puissance vitale. Dans Ezékiel, les ossements desséchés reprennent vie au moment où « l'esprit vient en eux » (Ézékiel 37, 1-14). Marie « se trouve enceinte par le fait de l'Esprit Saint » (Matthieu 1,18).
- Sous l'influence du courant sapientiel, les deux termes prennent un sens psychologique et moral. Ils désignent tout aussi bien la vacuité des choses « Tout est vanité et poursuite de vent », répète Quohélet à neuf reprises, que l'instance à partir de laquelle l'homme apprécie son comportement moral. Ainsi « un esprit attristé dessèche-t-il les membres » (Proverbes 7,22) et « un esprit patient vaut-il mieux qu'un esprit prétentieux ». (Qohelet 7,8). Dans cette série, il faut ajouter tout ce qui s'apparente aux mauvais esprits, aux esprits impurs…
- Mais le sens, de loin le plus important, des mots roûah et pneuma est le sens théologique. C'est l'esprit de Dieu déployé dans le monde et dans l'histoire. En sa source, il est force divine émanant de Dieu ; dans son résultat, il est esprit insufflé dans l'homme. À ce titre l'esprit de Dieu « se pose sur » les 70 anciens (Nombres 11,25) ; il « revêt » Gédéon sonnant du cor (Juges 6,34) ; il « pénètre dans » Samson et lui donne de déchirer la gueule du lion (Juges 14,6) ; il « fond sur » David (1Samuel 16,13), et reposera sur le roi (Isaïe 11,2) ; il « tombe sur » le prophète (Ézékiel 11,5)…
RÉALITÉ INSAISISSABLE FONCTIONS CONCRÈTES
Le mouvement de l'esprit va toujours de haut en bas, d'une source élevée vers, sur et dans l'homme. L'esprit de Dieu est donc originairement extérieur à l'homme. L'homme le reçoit. L'esprit de Dieu ne peut être qu'un don. De même que « le vent souffle où il veut » (Jean 3,8), l'esprit de Dieu ne peut être commandé par l'homme. C'est pourquoi, l'homme ne peut que le demander. Mais en dernier recours, l'esprit de Dieu appartient à la seule liberté de Dieu. Il est insaisissable. Il échappe à toute volonté de captation. Pourtant il est actif. Quand il fond sur l'homme, c'est généralement pour fonder ce dernier dans un statut nouveau. Ce don de l'esprit concerne au premier chef qui doivent exercer des fonctions particulières dans le peuple de Dieu. L'esprit de Dieu est donné à l’homme. et dans le même mouvement, il donne à l'homme de faire ceci ou cela : aux anciens de prophétiser (Nombres 1 1,25), à Gédéon de sonner du cor (Juges 6,34), à Otniel de juger Israël (Juges 3,10), à Saül « d'être changé en un autre homme » (1S I0,6), à David de devenir un jour roi (1Samuel 16,13), au Serviteur de présenter le droit aux nations (Isaïe 42,1), au prophète de se lever pour parler au peuple (Ézékiel 2,2)... Dans les évangiles, l'Esprit de Dieu pousse Jésus au désert et lui donne de résister aux tentations (Marc 1, 12).
L'esprit confère à celui qui en est investi des pouvoirs exceptionnels : puissance physique extraordinaire (Juges 14,19), capacité d'interpréter les rêves (Genèse 41,38), qualités intellectuelles et morales (Isaïe 11,1-5), délire extatique (1Samuel 19,23), changement de lieu (1Rois 18,12)... L'esprit de Dieu s'identifie à une force incommensurable qu'aucun homme ne peut toiser (Isaïe 40,13). Un jour, il ne sera pas seulement le privilège de quelques élus, mais répandu à profusion sur tout le peuple (Isaïe 32,15), sur l'humanité tout entière (Joël 3,1-2). La vocation de l'esprit de Dieu semble être de s'universaliser.
o O o
L'esprit qui, au départ, procède de Dieu et participe de sa puissance, reçoit peu à peu les attributs de Dieu et connaît une personnification progressive. Dans le Livre de la Sagesse, l'esprit est décrit comme « intelligent, saint, unique, multiple, subtil, mobile, pénétrant, sans souillure, clair, impassible, ami du bien, prompt, irrésistible, bienfaisant, ami des hommes, ferme, sûr, sans souci, qui peut tout, surveille tout, pénètre à travers toits les esprits (Sagesse 7,22-23). L'auteur de la Sagesse confère à l’esprit 21 attributs. Ce chiffre, égal au produit de la multiplication de deux chiffres parfaits (3 et 7), suggère donc la perfection.
Cette perfection ne trouve la plénitude que dans la bouche de Jésus révélant l’Esprit comme personne à part entière de la Trinité. Personne, l’Esprit de Jésus est aussi le Don du Père répandu sur tous ceux qui l'accueillent : « De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ».
Pierre Clermidy s.j.
La Baume