L’innovation sociale
La thématique de l'innovation est devenue, depuis des décennies, un lieu commun des discours des hommes politiques. Face aux dysfonctionnements qu’ils constatent dans la société et les institutions publiques qui tentent d’y répondre, ils appellent à de nouvelles modalités d’action qui devraient correspondre davantage aux vœux des citoyens.
Malheureusement, faute de s’interroger sur les formes de pensée et de gestion qui ont conduit à ces dysfonctionnements, les projets d’innovation s’enlisent trop souvent dans les lourdeurs administratives et les corporatismes. On pourrait même dire que la quantité de discours sur le sujet est inversement proportionnelle aux réalisations concrètes. Tandis que des décideurs s'efforcent sans succès – dans une démarche déductive jamais aboutie – de rejoindre le terrain pour innover, des acteurs tentent d’inventer, à partir d'une situation locale, avec de très grandes difficultés, de nouvelles formes de médiation sociale.
Une des principales causes de cette situation tient à la confusion entre la notion d’expérimentation et celle d’innovation. Dans le cas de l'expérimentation on pense à un résultat reproductible et généralisable. C'est la démarche habituelle de l'administration française qui pense répandre l’innovation par voie de textes réglementaires. Or, tout phénomène humain, et plus particulièrement toute innovation suppose que l'on soit autant attentif au processus qu'au résultat. Dès lors il est primordial de mettre en lumière, pour les favoriser, les capacités concrètes d'innovation des acteurs de terrain avant de vouloir généraliser des résultats qui n'ont de sens que par la démarche qui les a portés.
Voilà pourquoi, une politique d’innovation sociale consistera plus à favoriser un jeu ouvert de citoyens responsables avant de mettre en place une nouvelle scolastique administrative censée vouloir faire le bien par décret.
La diffusion de l’innovation sociale passe par un foisonnement en rhizome et non par une impeccable arborescence où chaque branche dépendrait d'un tronc central.
Il s'agit moins de contenus théoriques – si on jugeait toutes les institutions sur leurs discours et leurs programmes, elles sont toutes innovantes – que d'une dynamique où se tissent de nouveaux rapports entre les personnes et les institutions.
Avant de décréter dans l’abstrait de l’innovation et de la traduire en réglementation, le rôle d’un pouvoir politique et de l’administration chargés d’incarner dans le quotidien sa politique, consiste à accompagner sa naissance sur le terrain, à faire circuler la connaissance des différentes expériences et à réguler leurs tentations d’enfermement ou de développement anarchique par rapport au bien commun de la société.
Bernard Ginisty