La subversion de Noël
Une des tentations les plus fortes de l’esprit humain consiste à tout faire pour que l’irruption du neuf se réduise à la répétition du vieux. La volonté de maîtrise de l’existence s’efforce de coloniser le temps qui vient, au risque de s’interdire la surprise de l’imprévu. Nous ne cessons de banaliser l’événement lorsqu’il bouscule nos conforts intellectuels et sociaux.
Le sens profond de la liturgie nous invitant chaque année à revivre Noël réside dans l’accueil de la rupture provoquée par un événement aussi radical qu’une naissance. Une brèche est ouverte par l’irruption du Verbe fait chair dans l’histoire des hommes. La fête qui, selon la liturgie du jour de Noël, annonce : « Aujourd’hui la lumière a brillé sur la terre. Peuples de l’univers, entrez dans la clarté de Dieu » est tellement dérangeante, que nous avons tenté de la neutraliser pour en faire un gentil décor pour la célébration de la consommation posée comme pratique « religieuse » indispensable à un monde géré par l’idole financière.
Ces tentatives de neutralisation ont commencé très tôt. Dès que l’événement de la naissance de Jésus est connu, les pouvoirs, à travers la figure d’Hérode, se sont efforcés de tuer l’événement et de massacrer l’innocence. Cette confrontation de l’enfance de Dieu et de Césars faisant de nous des esclaves de la force, de l’argent, de la productivité et des images sociales, constitue le fil majeur de l’histoire. L’événement de Noël, celui où la Parole se fait chair, inocule un virus radical et définitif dans les logiciels des gestionnaires prétendant régir l’existence humaine. L’enfance des commencements devient le lieu fondamental de l’humain. C’est la source où chacun, quel que soit son malheur, peut retrouver une dignité et une espérance.
Voilà pourquoi, depuis Noël, ce sont les plus faibles, les plus exclus, qui ouvrent la voie vers l’avenir. Non pas au nom de je ne sais quel humanitarisme larmoyant, mais parce que ceux qui possèdent le moins nous invitent à nous tenir dans les commencements de l’humain. C’est le sens du verset évangélique : « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ».
C’est à des temps de renaissance que nous convie la fête de Noël. Non dans des lendemains enchantés, mais dans l’aujourd’hui. L’émerveillement de Noël a la violence des origines. Désormais, « le Verbe en venant dans le monde illumine tout homme », et aucun pouvoir ne peut plus masquer cette lumière. Nous chantons à Noël l’invitation à inventer chaque jour la fraternité humaine qui, désormais, peut seule donner un sens à l’histoire.
Bernard Ginisty