Culte de l'argent, culture de mort
Toutes les enquêtes le démontrent : la société française connaît de plus en plus de situations de précarité. Le triomphe de l’actionnaire roi, amplifié par des médias vendant à longueur de colonnes des success story et les prouesses des grands prédateurs internationaux, rend indécentes, et donc le plus souvent invisibles, les situations de désespérance.
L’affaiblissement des grandes organisations qui permettaient aux exploités et aux exclus de s’organiser et de se battre pour un avenir meilleur a laissé une masse de gens sans repères et sans espoir. La dernière ruse du système est de transformer en problème individuel psycho social la question politique fondamentale de la justice sociale et de la redistribution équitable des richesses, tant au niveau national que planétaire.
La gestion statistique du chômage masque l’aggravation des conditions de vie chez ceux qui sont censés ne plus faire partie des chômeurs. Dans son rapport annuel, le Secours Catholique signale qu’il accueille de plus en plus de personnes en situation de grande précarité alors qu’elles ont un travail. Transformer des chômeurs en travailleurs pauvres et précaires, c’est peut-être permettre des effets d’annonce sur la réduction du chômage, mais en aucun cas lutter contre la décomposition du lien social.
Le culte de l’argent, vrai nom de l’ultra libéralisme, conduit à une culture de mort. Dans un monde où s’accroissent les inégalités, la violence urbaine et la surconsommation médicale traduisent la désespérance de ceux qui n’ont comme seul horizon qu’un inaccessible veau d’or. Le bilan des attentats terroristes ne saurait faire oublier la longue des listes de ceux qui, dans l’indifférence générale, meurent chaque jour de faim dans le Tiers Monde ou de désespoir parce que leur vie est piétinée par la loi de la jungle de l’argent.
En ces temps qu’il est convenu d’appeler les fêtes, on peut évidemment choisir de ne pas parler de ce qui dérange. Les lumières de nos villes et les éclatants étalages de nos magasins, vitraux de la religion de la consommation, nous invitent à faire comme si tout allait bien. Avoir transformé la fête de Noël, irruption de Dieu dans le monde à travers la grande précarité, en triomphe du culte de la marchandise, en dit long sur le vide spirituel de l’époque. La logique économique qui conduit les médias à vivre principalement de publicité accentue encore l’opacité de cet écran de belles images sur la détresse de tant de nos concitoyens.
Dans son enquête intitulée Regards sur 10 ans de pauvreté publiée le 8 novembre 2012 le Secours Catholique note que « la grande pauvreté a considérablement augmenté ces dix dernières années (+ 500 000 personnes entre 1999 et 2009 ) ».
De même qu’il y a deux mille ans, les hôtelleries n’avaient pas de place pour un jeune couple déplacé sur le point d’avoir un enfant, de même nos sociétés financiarisées font de moins en moins de place aux personnes en difficulté.
Quand on accepte que la loi de la jungle règne sur l’économie, il ne faut pas s’étonner qu’elle ne tarde pas à apparaître dans nos villes et nos banlieues.
Bernard Ginisty