Définition(s) de la mort

Publié le par G&S

Quand on cherche une définition, le premier réflexe est d’ouvrir des dictionnaires au mot MORT :

Cessation de la vie (Larousse en 2 vol. 1923)

Fin de vie, cessation définitive de toutes les fonctions corporelles (Dictionnaire de la langue française 1980). On notera qu’est ajouté : le critère médico-légal de la mort est la cessation complète de l’activité cérébrale attestée par 2 électro-encéphalogrammes plats à 24 heures d’intervalle. Ce serait donc la loi qui définirait la mort !

Perte définitive par une entité vivante (organe, individu, tissu cellule) des propriétés caractéristiques de la vie entraînant sa destruction.

Cessation complète et définitive de la vie d’un être humain entraînant sa destruction (Larousse 2012).

L’expression cessation définitive laisse supposer qu’il y a des cessations temporaires et qu’on ne peut parler de mort que lorsque ce phénomène devient irréversible. La mort survient après le franchissement d’un point de non-retour.

D’autre part la mort ne semble se définir que par rapport à la vie.

Qu’elle est donc la définition de la vie donnée par le Larousse ?

« Vie : Caractère propre aux êtres possédant des structures capables de résister aux diverses causes de changement, aptes à renouveler par assimilation leurs éléments constitutifs, à croître et à se reproduire. État d’activité caractéristique de tous les organismes de leur naissance à leur mort ».

Cette définition amène deux remarques :

- Le caractère d’être vivant ne se pense qu’à l’intérieur des groupes biologiques naturels (espèces) au sein desquels se fait la reproduction. La définition n’implique évidemment pas qu’un être stérile n’est pas vivant !!

- Si la mort ne se définit que par rapport à ce qui vit, l’inverse est vrai aussi. Ces deux concepts ne sont donc susceptibles que de descriptions.

L’Encyclopedia Universalis dit d’ailleurs : « la mort ne fut jamais pour l’homme une donnée, un fait brut, un phénomène purement biologique. Elle a toujours été une notion construite ».

Cependant on cherchera toujours à « définir » ce qu’est la mort.

Définir la mort d’un être vivant c’est chercher le(s) critère(s) permettant d’affirmer que la destruction complète de l’organisme a eu lieu puisque d’après les définitions c’est la conséquence de la mort.

On voit tout de suite qu’on ne pourra jamais parler de « l’instant de sa mort » ni même de « l’heure de notre mort » car la destruction de l’organisme est un très long processus.

Tous ceux que nous avons pu voir sur leur lit de mort étaient livides, rigides, froids (critères habituels de la mort) et pourtant leurs cheveux ou leurs ongles ont peut être encore poussé pendant quelque temps et la destruction de toutes leur cellules ne s’est produites que bien après leur enterrement. Et récemment a été fait état de cellules souches musculaires « réanimées » 17 jours après le décès de la personne.

Mais aucune société ne peut admettre d’attendre la putréfaction complète des cadavres pour déclarer le décès ne serait-ce que pour des raisons d’hygiène, sans parler des souffrances infligées aux proches par un tel spectacle.

Il faut donc pouvoir déclarer qu’un individu est mort, c'est-à-dire que le point de non retour a été franchi, et cela sans risque d’erreur pour éviter – évidemment – d’enterrer ou d’incinérer quelqu’un qui n’aurait que les apparences de la mort. Cette peur d’être enterré vivant est restée très présente dans l’imaginaire collectif (je peux témoigner que c’était un des grands soucis de ma grand-mère morte en 1973 : « vérifiez que je suis bien morte ! »).

En France, jusqu’en 1947 on n’enterre pas et on n’autopsie pas moins de 24 heures après le décès constaté par un officier d’état civil, assisté d’un témoin, qui va délivrer le permis d’inhumer sur lequel figurera une heure de décès.

Cette peur semble être « occidentale » puisqu’au contraire dans les pays de tradition musulmane on a toujours enterré dans les 24 heures !

Une autre raison, sociale celle-là, commande de connaître la date de la mort. En effet le passage de l’état de vivant à l’état de mort implique un changement de statut de la personne. Il faut pouvoir déterminer à quel moment une succession s’ouvre, un mariage est dissous, des prestations cessent d’être versées (la société ne doit plus rien à un mort).

De l’arrêt cardiorespiratoire à la mort encéphalique

Pendant très longtemps la mort a été constatée par des signes cliniques.

Aux siècles derniers, l’arrêt respiratoire était LE critère de mort. On cherchait à l’aide d’un miroir mis devant la bouche du mourant s’il respirait encore ou s’il avait rendu son dernier soupir. On constatait aussi à ce moment là la perte de conscience, l’absence de réflexe et enfin le refroidissement.

En France, la circulaire du 3 février 1948 définit la mort par l’arrêt circulatoire.

Cependant, les progrès de la réanimation ont permis assez vite de faire repartit un cœur, et donc de « ramener à la vie » des personnes présentant les critères de la mort ; elles n’avaient donc pas franchi le point de non-retour.

Ce n’est que lorsqu’on ne réussit pas à faire repartir le cœur malgré les massages, les chocs électriques pendant un temps assez long (!)que le décès est déclaré. Il suffit de regarder les feuilletons télé se passant dans les services d’urgence pour voir ces scènes où les médecins arrêtent les massages cardiaques et déclarent « mort à telle heure ».

Il est à noter que la peur d’être déclaré mort à tort s’estompe du fait des progrès de la réanimation.

De plus, depuis une cinquantaine d’années les progrès des techniques de réanimation ont fait émerger de nouvelles questions liées à une nouvelle catégorie d’individus morts bien que respirant encore et avec un cœur battant.

C’est en 1959 à la 23e réunion internationale de neurologie que les professeurs Mollaret et Goulon décrivent et définissent le « coma dépassé » ou « coma de type IV » qui survient lors de réanimations. Dans ce cas le cerveau ne fonctionne plus même si le corps continue à vivre à l’aide d’un respirateur.

On va bientôt parler de « mort encéphalique » et ce sera LE critère de la mort. On reconnaît là la prééminence du cerveau sur le cœur.

Ce débat entre prééminence du cœur ou du cerveau n’est pas nouveau. Déjà dans l’antiquité, Empédocle et Aristote étaient « cardiocentriques » alors qu’Alcméon et Hyppocrate étaient « encéphalocentriques ». De nos jours il s’agit plutôt de la relation entre l’esprit et le corps qui s’opposent dans deux conceptions :

- La position moniste dit qu’esprit et corps ne font qu’un . la personne est identifiée au corps et donc la personne meurt en même temps que le corps.

- La position dualiste dit que l’esprit (l’âme) est associé au corps mais pas identique à celui-ci.  La mort de la personne peut donc précéder celle du corps.

Il semble que les législations actuelles donnent raison à la conception dualiste.

Évolution des législations

Le glissement de définition de la mort d’arrêt cardiorespiratoire à mort encéphalique ne semble pas pouvoir être complètement dissocié des progrès dans les greffes d’organes et de l’augmentation des demandes. Le calendrier parle de lui-même.

Déjà c’est à l’initiative du Dr Lafay spécialiste des greffes de cornées que fut promulguée le 3 février 1948 la circulaire qui porte son nom :

« Les prélèvements anatomiques effectués sur l'homme en vue de la pratique de la kéroplastie (greffe de la cornée) peuvent être effectués sans délai et sur les lieux mêmes du décès chaque fois que le de cujus a, par disposition testamentaire, légué ses yeux à un établissement public ou à une œuvre privée, pratiquant ou facilitant la pratique de cette opération.

Dans ce cas, la réalité du décès devra avoir été préalablement constatée par deux médecins, qui devront employer tous procédés reconnus valables par le ministre de la santé publique et de la population. Ils devront signer un procès-verbal de constat du décès relatant notamment la date et l'heure du décès, ainsi que les procédés utilisés pour s'assurer de sa réalité. »

Le délai de 24h disparaît donc, y compris pour les autopsies dont l’intérêt s’accroît.

Puis dans les années 60, ce sont les transplantations cardiaques qui vont faire émerger de nouveaux critères de mort.

En 1967 au Cap, le Pr Barnard pratique la première greffe cardiaque en prélevant le cœur sur un patient en état de coma irréversible. A cette date là, légalement ce patient n’était pas encore déclaré mort puisqu’il respirait. En agissant ainsi, le Pr Barnard implicitement reconnaissait que la valeur d’une vie humaine n’est pas toujours la même alors que jusque là, la vie était considérée comme le bien suprême et que la nécessité de soigner s’imposait à tout médecin. Barnard aurait pu être accusé d’homicide puisque le prélèvement du cœur a évidemment provoqué la mort suivant les critères alors en vigueur.

En mai 1968 en Virginie, une autre greffe du cœur fit polémique et aboutira même 4 ans plus tard à un procès. Mais entre temps la législation avait évolué.

Le 5 Août 1968 paraît le rapport du Comité d’Harvard (ad hoc Committee of the Harvard Medical School – 1968) qui identifie le coma dépassé, perte irréversible de toutes les fonctions du cerveau, comme le nouveau critère de la mort. Du coup mort et activité cardiaque ne sont plus incompatibles.

Parmi les raisons de cette nouvelle « définition » le comité avance la charge (économique surtout !) que représente le prolongement des soins sur un patient en coma dépassé(les hôpitaux ont besoin de lits !!!) et les controverses qui pourraient advenir à propos de l’obtention d’organes en vue de greffes.

Le Comité d’Harvard ne dit pas que les individus en coma dépassé sont morts, mais qu’ils doivent être traités comme tels. La mort encéphalique est donc un constat de décès anticipé car de toute façon, quand un patient est en coma dépassé, le cerveau est tellement lésé que même avec les meilleurs appareils une défaillance cardiaque survient irrémédiablement au bout de quelques jours ou quelques semaines.

En France c’est le 24 avril 1968 que paraît la circulaire Jeanneney, un peu avant le rapport d’Harvard, mais surtout 3 jours avant que le Professeur Cabrol pratique la 1e greffe cardiaque européenne.

Cette circulaire institue la mort encéphalique comme LE critère de mort dans la mesure où est constatée « l’irréversibilité de lésions incompatibles avec la vie… des altérations du système nerveux central dans son ensemble ».

Ce n’est que 28 ans plus tard que vont être précisées les conditions qui doivent être réalisées pour qu’on déclare une mort encéphalique.

Le code de la santé publique en vigueur en France définit les critères de mort

Article R 1232-1

« Si la personne humaine présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :

- 1° Absence totale de conscience et d'activité motrice spontanée ;

- 2° Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;

- 3° Absence totale de ventilation spontanée ».

Article R 1232-2

« Si la personne, dont le décès est constaté cliniquement, est assistée par ventilation mécanique et conserve une fonction hémodynamique, l'absence de ventilation spontanée est vérifiée par une épreuve d'hypercapnie (augmentation de la pression en gaz carbonique dans le sang). De plus, en complément des trois critères mentionnés à l'article R 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :

- 1° Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, réalisées avec amplification maximale sur une durée d'enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l'interprétation.

- 2° Soit à une angiographie (radiographie spéciale permettant de visualiser les vaisseaux sanguins) objectivant l'arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait l'interprétation ».

En France il y a donc deux façons d’être déclaré mort.

La première qui concerne la quasi-totalité des personnes est un fait extérieur aux règles du Code qui se contente de constater et non de définir.

La deuxième qui est une construction institutionnelle à partir de diagnostics précoces.

Conclusion

Les possibilités thérapeutiques rallongent considérablement le processus de mourir et font que définir la mort relève plus de la philosophie que de la biologie seule.

 Si le critère de la mort cérébrale n’est pas complètement satisfaisant à bien des égards, il fait l’objet d’un consensus minimal en l’état actuel des connaissances et des techniques dans beaucoup de pays (pas le Japon ni la plupart des pays musulmans où on ne pratique pas les prélèvements d’organes sur les patients en mort cérébrale).

Cependant la définition reste floue, la meilleure preuve est l’imprécision sur l’heure de décès portée sur le certificat (heure où on débranche le respirateur, heure d’entrée au bloc opératoire, heure où l’aorte est clampsée)

Certains voudraient qu’on revienne au seul critère de l’arrêt cardiorespiratoire.

Les patients en coma dépassé seraient déclarés « mourants » à partir du moment où ils ne disposent plus de la conscience. Mais alors ce serait reconnaître une forme d’euthanasie que de pratiquer sur eux un prélèvement d’organe et comment se comporter vis-à-vis des personnes en état végétatif permanent (EGP) qui respirent « naturellement » sans avoir la conscience ou des enfants nés anencéphales ?

On le voit, définir la mort, oblige à se poser un certain nombre de questions, à dire ce qu’est une personne humaine, à partir de quel état une vie peut ne plus être maintenue, et s’il est légitime de considérer certains vivants/mourants simplement comme une « réserve » d’organes.

Mort et vie étant indissociable, les problèmes posés par les définitions de la fin de vie se retrouvent de la même manière en ce qui concerne le début de la vie qui est là aussi un long processus. 

Jean Palesi

Publié dans DOSSIER VIVRE LA MORT

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