Bonne réponse et bonne Nouvelle
La longue campagne pour les élections présidentielles que nous venons de vivre aura témoigné de l'envahissement grandissant du champ du débat politique par les injonctions de la finance mondialisée et celles des professionnels de la communication réduisant trop souvent le débat politique à une pensée binaire. Entre la quête du palmarès du triple A des agences de notation financière et celles du slogan le plus vendeur ou de la phrase assassine pour l’adversaire, le débat démocratique nuancé et constructif a eu toutes les peines à se frayer, de temps à autre, un chemin.
Ce simplisme de la pensée politique traduit la persistance de schémas intellectuels de plus en plus incapables de rendre compte de la complexité du réel. Des catéchismes publicitaires, idéologiques, médiatiques remplacent l’aventure de la pensée et le dialogue du forum citoyen. C’est en quelque sorte une panne du sens, non seulement au plan intellectuel mais aussi spirituel.
Dans cette situation, la lecture de l’Évangile me paraît fondamentale, non pour justifier telle ou telle option politique, mais pour nous apprendre à nous laver les yeux. Le mot Évangile traduit l’expression « bonne nouvelle » que trop souvent des catéchismes ont transformée en « bonnes réponses ».
Cette confusion est d’une des sources, en Occident, de conflits politiques et religieux. Où se situe la différence entre ces deux expressions ? La bonne réponse est le reflet d’une question. Elle ne prend sens que par rapport aux présupposés culturels et sociétaux que suppose la question. Une bonne nouvelle nous ouvre un tout autre champ. Elle est par définition inattendue, déstabilisante, peut-être même scandaleuse. Ainsi, Saint Paul définit le message évangélique comme scandale pour la loi juive et folie pour la sagesse grecque. Bien loin d’entrer dans des cases intellectuelles, religieuses ou morales fixées a priori, il surprend et excède la dimension des questions.
L’Évangile nous demande de rester veilleur de l’inattendu, de ne jamais enfermer quelqu’un, soi-même ou un autre, dans un jugement définitif. À tout moment notre bonne conscience, comme d’ailleurs notre culpabilité, peuvent être bousculées par l’accueil d’une bonne nouvelle. Cette grâce nous évite de passer notre vie à tourner en rond dans l’espace étroit de nos théories, de nos morales, de nos systèmes de sécurité.
Charles Péguy, dans la lumineuse analyse de l’histoire des hommes qu’il développe dans ouvrage Clio, dialogue de l’histoire et de l’âme païenne, dénonce les ravages commis parce ce qu’il appelle des regards « vieillis et habitués ». Et les récentes campagnes électorales semblent donner raison à l’ancien vice-président des États-Unis d’Amérique, Al Gore, lorsqu’il analyse la crise de la démocratie par la médiatisation publicitaire de la pensée politique qui conduit à faire que « les citoyens bien informés sont en grand danger de devenir un public pris en charge » 1.
Dès lors, on ne saurait trop exagérer l’invitation de Péguy à transformer notre vision du vivre ensemble en cultivant « un regard natif, le regard de naissance et de commencement, le regard de tête de chapitre, le premier regard, le seul vrai ; plus que vrai, réel ; enfin le regard de la révélation, première. (…) Un regard neuf, un regard inexpert, un regard nouveau, un regard natif, un regard né, un regard venant de naître. » 2
Bernard Ginisty
1 – Al Gore : La Raison assiégée. Éditions du Seuil, 2008, page 24
2 – Charles Péguy : Clio. Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne. In Œuvres en prose complètes, Tome 3, Éditions Gallimard, collection La Pléiade,
1992, page 1025