Les Chrétiens d'Irak
L'Irak ne se comprendrait pas sans ses chrétiens qui sont parmi les plus anciens chrétiens du monde et qui étaient en Mésopotamie plusieurs siècles avant l'islamisation partielle de cette région.
L'actualité nous invite à évoquer tous les minorités : Syriaques, Chaldéens, Assyriens, Syriens qui sont encore heureusement dans leurs pays et aussi ces familles qui ont dû les quitter et qui sont venues de la Mésopotamie (d'Irak, de Syrie et de Turquie). Elles sont maintenant dispersés dans bien des continents : en Amérique (États-Unis, Canada), mais aussi en Australie et nous en avons accueilli jusqu'à une date récente parmi nous en Europe : il y a des chrétiens d'Irak en Hollande, en Suède, en Belgique et en France et tout spécialement chez nous à Marseille, qui selon sa tradition d'ouverture à l'Orient et d'hospitalité mérite bien son beau titre de « Porte de l'Orient ».
Comment parler de l'Irak ? Avec tout ce qui s'y passe...
Il y a quelques années j'ai pu écrire une description fort positive de l'Irak dans un livre, Va à Ninive ! Un dialogue avec l'Irak, mais les choses ont malheureusement changé depuis...
La situation actuelle du pays est très dramatique pour la vie quotidienne des Irakiens : insécurité, manques d'approvisionnement pour la
vie quotidienne, séquelles de plusieurs guerres et d'une longue période de régime dictatorial. Et pourtant ce pays est bien riche, mais à la pompe il n'y a guère d'essence, l'électricité n'est
donnée que quelques heures par jour, l'eau potable fait difficulté, les hôpitaux sont sans médecin après avoir été pendant des années sans médicaments, etc.
En 2007, deux prêtres ont été sauvagement assassinés à Mossoul. Et avec eux bien des chrétiens ayant refusé d'apostasier ont subi le martyre pour rester fidèles au Christ. Le 13 octobre, à
Mossoul, deux prêtres ont été enlevés. Le Père Pios Affas, que je connais bien, de mon âge, un prêtre bien connu et aimé à Mossoul, bibliste et curé de la paroisse Saint Thomas, et le Père Mazen
Matoka, 35 ans. Leurs ravisseurs demandent 1.000.000 de dollars. Ils sont menacés de mort. En mars 2008, l'archevêque de Mossoul a été assassiné. Et en ce début du mois d'avril, un prêtre vient
lui aussi de tomber à Bagdad...
La population de l'Irak est aux alentours de 25.000.000 d'habitants. Bagdad compte aujourd'hui 4.000.000 d'habitants, dont 10 % de chrétiens, soit 400.000, alors que dans le reste du pays la proportion chrétienne n'est que de 3%. La population musulmane de la ville se partage entre les Sunnites et les Chiites. Il y a aussi les Yézidis et les Mandéens ; quant aux Juifs, ils ont malheureusement presque totalement disparu.
Bagdad : des congrégations religieuses nombreuses et actives
Les congrégations religieuses sont d'origine occidentale ou orientale : nommons les Moines de Saint Hormisdas, les Carmes, les Dominicains, les Rédemptoristes, les religieuses dominicaines, les sœurs chaldéennes, les Petites Sœurs de Jésus, les sœurs du Sacré Cœur d'Araden.
Parmi les activités de l‘Église à Bagdad, signalons le séminaire chaldéen Saint-Pierre de Daura et le collège de théologie de Babel.
Le centre de théologie pour laïcs et la revue Fikr al-Masihy, "La pensée chrétienne", sont dirigés par les Dominicains. En 2007, cette revue a reçu la médaille d'or de
la presse catholique internationale. Une école de prière est animée par les Pères carmes. Des écoles et des hôpitaux sont tenus par des religieuses dominicaines. En 1968, les Jésuites, bien
implantés en Irak, furent expulsés et ont du abandonner leur belle université al-Hikmat et leur Baghdad College.
Mossoul : une grande métropole chrétienne
La ville de Mossoul, surnommée « la ville des Prophètes », de Jonas en particulier, est devenue ces dernières années une ville terrible où bien des gens, en particulier les chrétiens, vivent dans la peur : celle des enlèvements de leurs enfants et des terribles rançons, peur des assassinats de ceux qui ont des fonctions dans le domaine public, l'obligation pour les femmes chrétiennes de porter le voile et encore bien d'autres motifs qui les poussent à quitter un pays où ils s'efforçaient de rester malgré tout.
Il y a à Mossoul deux archevêchés catholiques, un syrien et un chaldéen, et deux archevêques non catholiques, l'un syrien orthodoxe et l'autre
assyrien. Les diocèses sont bien plus nombreux en Orient que dans le monde latin ; aussi peut-on noter la présence très visible des évêques dans leurs Églises et auprès des familles de leurs
diocèses qu'ils visitent régulièrement.
Les chrétiens de Mossoul appartiennent aux deux grandes traditions de l'Église en Mésopotamie : les Syriens orientaux, donc Chaldéens et Nestoriens et les Syriens occidentaux, donc Syriens
catholiques et Syriens orthodoxes.
Les villages chrétiens, nombreux aux alentours de Mossoul, appartiennent aux deux grandes traditions de la région.
Il y a, vers le nord, la « vallée chaldéenne » qui, partant de Mossoul, rejoint le village d'Alcoche. Elle comprend plusieurs villages chaldéens : Telkef, Batnaï, Telescof et
Ashrafiyya. La cité d'Alcoche, connue de la Bible, est appelée la « Rome des Chaldéens ». La vie liturgique chaldéenne y est favorisée par la présence de la maison mère des moines de
saint Hormisdas. C'est dans la montagne qui domine Alcoche que se trouve le grand monastère de Rabban Hormez.
Parmi les offices liturgiques chaldéens nous pouvons signaler la prière du baoutha, qui est une prière de supplication accompagnée de trois jours de jeûne. Signalons aussi les applaudissements lorsque dans la liturgie pascale l'évêque ou le prêtre annonce la Résurrection de Jésus. Le lendemain de Pâques une paraliturgie très aimée des fidèles célèbre l'entrée du Bon larron au Paradis, c'est le Gayyassa.
Comme élément architectural, signalons le béma, une estrade située au milieu de l'église et où se déroule la liturgie de la Parole.
Tous ces villages chrétiens ont une grande importance car dans les pays à majorité musulmane, ce sont des lieux privilégiés pour l'expression de la vie chrétienne.
Les villages chrétiens de la région kurde, autrefois très nombreux, ont souvent été détruits durant les divers conflits de notre époque. Mais de nos jours, par un étrange retour du destin, on voit dans la région kurde du Nord la reconstruction de ces villages chrétiens et de leurs églises, et le retour de beaucoup de leurs anciens habitants.
Un village chrétien très vivant : Qaracoche Bakhdida
C'est une petite ville de 25.000 habitants, presque tous de tradition syrienne catholique. On compte sept églises. Le village est à la fois un
centre de culture et d'élevage. Avec les peaux de moutons on fait des farwa, ou manteaux pour l'hiver, et on fait beaucoup de tissage de la laine teinte avec de beaux coloris. Aux
dernières nouvelles, depuis la guerre de 2003 la ville dépasse les 35.000 habitants, avec des réfugiés très nombreux (cf. les sites Internet : « Bakhdida » et « Ain Kawa).
Le rayonnement intellectuel de Qaracoche est connu du fait de tous les professeurs et instituteurs qui s'y trouvent et enseignent dans la région et jusqu'à l'Université de Mossoul. Les sœurs
dominicaines y ont fondé des écoles pour les filles et le niveau d'instruction ne cesse de s'élever.
On y parle soureth et on y fréquente beaucoup les églises : messes matinales, prières de l'Office, sapro, leilo et le ramech ou les Vêpres. Le syriaque y est bien
enseigné et l'on y a bâti récemment un grand centre de catéchèse.
Des récits terrifiants
La communauté chrétienne y a été tragiquement frappée dans ses enfants par des enlèvements et des meurtres et aussi dans son patrimoine par des
destructions d'églises. Ces événements ont accentué le mouvement d'émigration de beaucoup de familles chrétiennes. La Syrie et la Jordanie sont de nos jours des terres d'accueil pour les
chrétiens d'Irak. Mais beaucoup vont aussi à Istanbul. J'y ai vu de nombreuses familles qui arrivaient de Mossoul ou de Bagdad encore sous le coup des horreurs qu'elles venaient de subir et de
vivre ou auxquelles elles seraient promises si elles étaient restées.
Une femme me raconte comment on avait mitraillé son enfant devant sa porte et tué son frère ; un homme me fait le récit de son enlèvement, jusqu'à ce que l'on ait payé sa rançon. Plusieurs
étaient menacés de mort s'ils ne quittaient pas tout de suite leur maison. Pire encore, c'est nouveau maintenant, on paye la terrible rançon pour récupérer le kidnappé, mais une fois l'argent
versé, la victime est quand même exécutée, considérée comme indigne de vivre car elle a persisté dans sa foi chrétienne. Dans une famille chrétienne à Bagdad, tous les hommes avaient été tués et
les femmes enlevées.
J'ai plusieurs fois entendu le récit du martyre, au sens chrétien et précis du mot, du Père Petros, ce prêtre de Mossoul, proche de nos frères, dont l'épouse dut entendre, en direct avec son
portable, le récit du supplice et de l'exécution de son mari dont on retrouva le corps, déchiqueté, dans une ruelle. La menace est telle sur les chrétiens et les chrétiennes qui se rendent
dans une église qu'aller à la messe devint un geste héroïque. Les femmes chrétiennes sont invitées à se voiler à la manière musulmane sous peine d'être définitivement enlevées.
La diaspora des chrétiens d'Orient : des migrants évangélisateurs ?
De nos jours, du fait de la migration des chrétiens d'Orient, ce trésor spirituel qu'est son Orient chrétien se trouve souvent et de plus en plus en Occident. Or l'Orient chrétien est un « lieu théologique » au sens technique du mot, c'est-à-dire une source d'inspiration, de richesses et de révélation pour toute la pensée chrétienne ; c'est donc un apport de qualité pour l'Occident chrétien.
Quelques lieux de rencontre de la diaspora des chrétiens d'Irak
Istanbul, grande ville où des chrétiens d'Irak sont nombreux dans les quartiers de Kurtulus, Tarlabasa et Dolapdere. La Caritas
travaille pour eux et les messes se célèbrent à Istanbul dans la crypte de l'église Saint-Antoine.
Sarcelles, près de Paris, dans le diocèse de Pontoise, avec l'association Assyro-chaldéenne et la belle église de Saint Thomas.
Marseille, avec la paroisse chaldéenne de Notre-Dame de la Solitude, la cité Corot, la Rose...
Stockholm, où sont 12 000 Chaldéens !
Dans bien des pays encore : Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Autriche, États-Unis, Canada, Nouvelle Zélande, Australie...
Le dialogue entre Orient et Occident, à l'école des chrétiens araméens sera-t-il un élément positif pour la nouvelle évangélisation et pour le dialogue interreligieux ?
Concluons sur une intuition du cardinal Roger Etchegaray, par laquelle il nous invite à mieux vivre l'universalité de notre Église : « Les catholiques venus d'Orient - souvent exilés - que nous accueillons sont une grâce pour nous. Eux qui furent les premiers évangélisateurs de l'Occident peuvent redevenir, si nous les écoutons, d'admirables ouvriers d'une nouvelle évangélisation. Mais n'oublions pas que leur première vocation est de s'accrocher à leur terre natale et, dans ce sens, nous devrions les aider avec beaucoup plus d'obstination et de courage pour que le Proche Orient ne se transforme pas en cimetières ou musées chrétiens. »
Jean-Marie Mérigoux, o.p.