Deux nouvelles réponses à notre questionnaire sur la montée des partis nationalistes
Nous publions les deux autres réponses à notre appel à nous interroger sur la réponse que nous pouvons donner comme chrétiens à la progression des paris nationalistes qui nous sont parvenues cette semaine. N'hésitez pas, amis internautes, à nourrir vous aussi ce débat !
1.
Le chrétien n’a pas vocation à voter, nécessairement, en fonction de sa foi.
Pour moi, le critère de « la veuve et l’étranger qui réside sous ton toit » reste très important.
Quel groupe politique ou quel député a le plus souci du plus pauvre ?
Je voterai en fonction de ces critères, essentiellement
Dominique Rivière
Dernier livre : Foi dite en Cantal, Eivlys Ed. 2022
2.
La seconde question, « Que dire en tant que chrétiens à nos compatriotes séduits par les partis nationalistes ? », est la plus simple – encore que rien n’indique qu’il existe une réponse qui soit capable de faire renoncer à un vote RN.
Simple, en ce que le message chrétien n’est fait que de récusations à l’encontre de tout ce qui porte une haine de l’autre. Quelle que soit la cause, la nature et la force de cette haine. Et – encore que cette référence n’ait a priori rien pour être prise en considération par au moins une partie des cadres d’origine du parti en cause –, le judaïsme intimait déjà d’accueillir l’étranger : « L'étranger qui habite parmi vous, vous sera comme celui qui est né parmi vous, et vous l'aimerez comme vous-même. »
Simple, en ce que la République, telle qu’elle s’est conçue sur deux siècles, se fonde sur un corpus de philosophie politique et sur une architecture de valeurs et de principes qui récusent tous les items de l’idéologie frontiste, tous les composants programmatiques du RN. Aucune « normalisation » ne peut effacer un enracinement dans l’extrême-droite, telle que celle-ci s’est formatée dans notre vie politique depuis la fin du XIXe siècle : de Drumont et Maurras au régime de Vichy et à la Collaboration, les idées fixes du nationalisme xénophobe se sont affirmées immuables.
Le temps des générations ayant vécu l’Occupation ou en ayant reçu la mémoire a été celui d’une marginalisation, sinon d’un effacement, de l’extrême-droite – nonobstant les survenues, de brève durée, du poujadisme et de l’épisode meurtrier de l’OAS au dénouement de la guerre d’Algérie. Nul ne se serait attendu à ce que la République ait de nouveau affaire avec cette menace venant de son contraire. Sans doute, l’enseignement de l’histoire de 1940 à 1945 est-il devenu très insuffisant.
Ce rappel historique, il est entendu qu’il est sans effet aucun sur les nouveaux électeurs gagnés en masse par le RN, dont le vote découle de la dégradation de leur situation de vie et n’est qu’un vote de protestation. Encore qu’exécrer l’immigré, ou tout attendre d’un régime autoritaire et répressif, n’est pas l’indice de la possession d’un système immunitaire particulièrement apte à repousser les miasmes de l’extrême-droite…
Au regard de l’idéologie implantée dans le RN, et que celle-ci rencontre un terrain favorable ou une indifférence, l’historique républicain a peu de chances de faire changer les votes en faveur d’un parti d’abord reconnu comme « anti-système ». La seule vertu de cet historique – et il en va tout autant pour l’affirmation du message chrétien fondamentalement opposé aux vues et au programme du RN –, est de concourir à mobiliser les citoyen(ne)s attaché(e)s à la démocratie, à sa sauvegarde et au retour de son élan libérateur.
Pour la première question, les motivations qui conduisent nos compatriotes à donner leurs suffrages au Rassemblement National (pour Reconquête !, on a seulement affaire à une résurgence des possessions mentales réunies autour du pouvoir pétainiste, les pires inclues), sont pratiquement toutes identifiées. Elles se rassemblent dans l’inentamable conviction acquise par les catégories de populations marginalisées qu’elles sont l’objet d’un délaissement, voire d’un abandon, et d’un mépris tant de la part du pouvoir d’État et de sa technostructure, que de celle des différentes « élites » qui dictent les décisions politiques accordées à leurs intérêts et à leurs vues, et désormais énoncées comme les seules rationnelles et répondant à l’intérêt du pays.
La « pensée unique » du néolibéralisme ayant assimilé la dépense publique à une addiction – l’argent doit aller aux opérateurs privés qui sauront le faire prospérer, et non (ou le moins possible) au financement des missions et fonctions de l’État –, ces populations des France périphériques ont subi, au fil des décennies, tous les effets d’une désertion de la République – dans la forme et la vocation qui avaient été données à celle-ci après la Libération suivant l’inspiration du programme du Conseil National de la Résistance.
Les multiples déclinaisons de cette désertion ont-elles encore besoin d’être citées ? Retraits et restrictions des services publics, diminution dramatique des moyens et des capacités des hôpitaux, étendue des déserts médicaux, paupérisation d’une justice devenue aussi sourde que désespérément lente, fermeture de classes et manque d’enseignants, dysfonctionnements et disparitions des transports par le rail…
Dans le même temps, l’indifférence (ou l’encouragement apporté) aux inégalités les plus outrées, l’iniquité fiscale grandissante et la volonté bien perceptible d’en finir avec la redistribution, l’amplification des privilèges de toutes sortes bénéficiant aux plus nantis, les amputations successivement infligées à la protection sociale (avec en point d’orgue, la réforme des retraites et la réduction de l’indemnisation du chômage), la ghettoïsation d’immigrés sur deux ou trois générations – les ghettos ont toujours les mêmes effets –, l’extension voulue de la précarisation de l’emploi, et toutes les autres régressions intervenues en sus – terriblement accentuées par l’inflation et sa résultante en termes de pouvoir d’achat –, telles qu’elles ont été ressenties par les mêmes populations, ne pouvaient que confirmer à celles-ci que l’époque n’était plus celle de la République qu’on leur avait enseignée.
De la suppression emblématique de l’ISF à la promotion assumée de la politique « pro business » (non seulement tenue pour la modernité la moins discutable, mais encore déclarée insuffisamment appliquée), de la désignation de notre système social comme archaïque et financièrement intenable à celle, conséquente, des pauvres comme les seuls responsables des déficits publics – quand il ne s’agit pas de sous-entendre que les chômeurs ne sont rien que des paresseux qui ne traversent pas la rue pour trouver le boulot qui les attend –, la somme invraisemblable des atteintes à leur dignité et à leurs conditions de vie qu’avec une virulence et une outrance inconnues avant 2017, subissent les moins nantis a divisé la France en faisant de ceux-ci la moitié qui retarde, sinon ruine le pays.
La crise stupéfiante des Gilets Jaune – résurrection à l’échelle nationale des jacqueries de jadis – a peut-être compté dans le prudent virage pandémique en faveur du « Quoiqu’il en coûte ». Mais, depuis, ce qui s’est affiché de la part des gouvernants et de la France d’en haut est bien cette incroyable combinaison d’irrespect et d’ignorance de l’autre moitié des Français. Une ignorance qui dépasse l’abyssal vis-à-vis des conditions d’existence des habitants de la France rurale – ne serait-ce que sur leur obligation d’usage de l’automobile (avec deux voitures par famille, remontant souvent aux décennies du diesel omniprésent).
Comment ensuite s’étonner, sachant que la démagogie populiste et sécuritaire (insécurité et racisme ne se séparent d’ailleurs pas dans le mental du nationalisme identitaire) est le premier vecteur de la propagande RN, que 93 % des communes aient voté pour l’extrême-droite aux élections européennes ?
Dans notre histoire, la légitimité de l’État s’est identifiée à la capacité de celui-ci à protéger les Français – qu’ils soient sujets des rois capétiens ou citoyens des républiques. La fuite à Varennes de Louis XVI, entendue comme un secours recherché de sa part auprès des armées des rois qui envahissaient la France, a conduit à la première chute de la royauté ; deux jours ne se sont pas écoulés entre la défaite et la capitulation de Napoléon III à Sedan et la déchéance du Second Empire ; quelques semaines seulement ont séparé l’écrasement militaire de la France par les armées nazies et l’abolition de la IIIe République, prononcée par ses propres assemblées, au profit de la dictature offerte à Philippe Pétain.
Faire barrage aujourd’hui au retour de « Travail, Famille, Patrie », et de tous les sous-produits abjects qu’y découlent d’un Ordre politique inscrit dans cette filiation, implique de répondre à cet enjeu de légitimité qui est venu à se poser à la République. Dans toute la difficulté d’un contexte inconnu où la fonction tribunicienne a cessé de s’incarner dans la gauche, pour avoir été captée par le discours populaire contrefait du RN.
Autant, me semble-t-il, mesurer pleinement les termes de ce défi.
Didier Levy