Poutine dans le miroir de Macbeth
À la mémoire d’Alexei Navalny
Le drame de Macbeth peut-il nous éclairer sur le comportement criminel de Poutine ? Peut-il répondre à notre questionnement : pourquoi Vladimir Poutine pratique-t-il l’assassinat systématique de ses opposants ?
Il ne s’agit pas pour nous d’écrire un article politique sur le régime russe, d’en analyser les structures de pouvoir, ni de critiquer son fonctionnement anti-démocratique ni même d’étudier la psychologie du personnage, non ! Nous nous donnons comme objectif d’éclairer une logique criminelle telle que nous la donne à voir Shakespeare pour ravir le pouvoir et s’y maintenir.
L’art du théâtre de Shakespeare dévoile les ressorts de figures éternelles comme celle du roi, meurtrier et sacrilège.
La tentation du pouvoir
Bien avant de commettre l’assassinat du roi d’Ecosse Duncan, dans l’âme de Macbeth naît le projet meurtrier qui va lui permettre d’accéder au trône : la rencontre avec les sorcières qui lui promettent « Salut, Macbeth, qui plus tard sera roi ! » (Ac. 1, sc. III), formule son désir profond « Ma pensée , où le meurtre n’est encore que fantastique, ébranle à ce point ma faible nature d’homme » (Ac. 1, sc. III) ; ce meurtre il le porte en lui comme le gué à franchir pour l’ accès au pouvoir et à sa puissance. Désormais sa conscience est aux prises avec une lutte intérieure, au sens de l’ Épître aux Romains de saint Paul, avec des allers-retours entre le désir, sa volonté, les scrupules moraux, ce qu’il exprime comme « le péché de mon ingratitude » face à un roi qui le désarme par sa générosité et ses qualités de gouvernant : « Je suis son parent et son sujet (…) il a été si pur dans ses hautes fonctions » (Ac. 1, sc. VII). Dès lors que le poison de la tentation se développe, tous les faits qui surviennent seront analysés dans le sens d’une marche vers le trône, ainsi l’annonce du roi de faire de son fils l’héritier au trône : « Voilà une marche que je dois franchir sous peine de faire une chute, car elle est en travers de mon chemin » (Ac. 1, sc. IV).
L’enchaînement des meurtres et le système de terreur
L’acte du meurtre du roi n’est que l’aboutissement sanglant du projet dissimulé car le meurtre ne peut être revendiqué, le nouveau roi Macbeth couple une stratégie de mensonge à la nécessité de tuer. Son épouse, Lady Macbeth fait corps avec lui et anticipe la logique du système politique opaque et meurtrier qui se met en place. Notons que c’est cette logique même qui dévoile les intérêts des coupables et signe le crime.
Dès la prise du pouvoir le nouveau roi exprime par ses actes :
1°- la vie humaine ne vaut pas grand-chose, en dehors de la mienne.
Le meurtre des serviteurs de Duncan, meurtres que Macbeth explique par sa réaction d’indignation, ravale les serviteurs au rang d’objets à manipuler : tuer trois personnes au lieu d’une n’a aucune importance, tant ces serviteurs n’ont pas d’existence à ses propres yeux. Ils ne servent que ses projets.
2°- Rien ne nous arrêtera pour garder le pouvoir.
L’enchaînement des meurtres devient prévisible, nécessaire, car après la prise du pouvoir il faut s’y maintenir, « Nous avons entamé, mais non tué le serpent (…) de ta main sanglante et invisible, arrache et mets en pièces… » (Ac. 3, sc. II) à peine Duncan est-il mort, pour prévenir l’opposition politique et la vengeance personnelle, Macbeth doit s’allier dans le sang avec ceux qui ont intérêt à ce qu’il conserve le pouvoir. La terreur s’installe non pas comme un épisode momentané mais comme un système lié à la poursuite du pouvoir.
La conscience paranoïaque ou l’apparition des spectres
En accord avec les analyses philosophiques de Paul Ricoeur (1) nous adhérons au fait anthropologique de la conscience humaine, l’être humain a la capacité de se projeter dans le futur et pour cela la capacité d’établir un projet en accord avec ses valeurs quelles que soient ces valeurs.
Macbeth écossais du XVIIe siècle possède une conscience dont les valeurs sont chrétiennes, il croît au mal et au bien, il a parfaitement conscience de la gravité de ses actes : « Connaître ce que j’ai fait ! Mieux vaudrait ne plus me connaître ! » (Ac. 1, sc. II).
La conscience ne peut plus effacer ce qui est fait, l’acte appartient irréductiblement au passé, le poids de l’action pèse sur la conscience et si elle craint la vengeance des vivants, elle ne se débarrasse plus des morts ; d’où les hallucinations sensorielles, la vue des spectres mais l’effroi qu’elle procure n’arrête pas la logique infernale : « Devant mes intérêts tout doit céder. J’ai marché si loin dans le sang que si je ne traverse pas le gué, j’aurai autant de peine à retourner qu’à avancer. » (Ac. 3, sc. IV).
La paranoïa de Macbeth s’exprime dans sa recherche magique des forces du mal sans comprendre que les créatures infernales se moquent de lui et l’enfoncent de plus en plus dans le crime tout en le rassurant par des paroles équivoques qui donnent à entendre ce que Macbeth a envie de croire. Quand l’illusion se dissipera, il sera trop tard.
La fin de Macbeth
Les opposants s’unissent et marchent ensemble pour combattre ce régime de royauté qui ne gouverne que par une violence accrue, la magie se dissipe pour laisser place au châtiment, entre en scène le noble écossais Macduff, dont la femme et les enfants ont été massacrés par les sbires de Macbeth, portant au bout d’une pique la tête de Macbeth
Shakespeare, Macbeth et Poutine
Quels liens entre Vladimir Poutine président de la Fédération de Russie, être de chair et de sang et le roi écossais du XVIIe siècle, fiction théâtrale créée par Shakespeare ? La littérature crée le miroir : l’image de Macbeth renvoie l’image de Poutine tant pour la convoitise du pouvoir que pour s’y maintenir, fiction et réel donnent à voir un système d’oppression généralisée où toute opposition est sanctionnée et ses leaders assassinés.
Tous les observateurs du régime russe constatent la paranoïa du dictateur et sa frayeur d’être assassiné, d’où son obsession sécuritaire.
Supposons que Poutine en se mirant dans le miroir de Macbeth le questionne sur sa propre sécurité ; que répondent les fantômes de Macbeth ? :
- « Sois sanguinaire, hardi et résolu, ris-toi du pouvoir de l’homme… » (Ac. 4, sc. I).
- « Sois d’humeur léonine, sois fier et ne t’inquiète pas de ceux qui ragent, s’agitent ou conspirent… » (Ac. 4, sc. I).
Si Vladimir Poutine se confirme aussi meurtrier que Macbeth il est aussi sacrilège (2) : Macbeth est sacrilège car régicide, il attente au roi légitime d’Ecosse dont la royauté est de droit divin, porter la main sur la personne du roi devient un sacrilège, mais me direz-vous : le pouvoir en Russie ne se fonde pas sur la religion ? Certes mais la légitimité d’un pouvoir élu par les représentants du peuple représente une valeur reconnue par l’ensemble des peuples de la Fédération de Russie, ce qui veut dire que la légitimité élective est la valeur la plus haute du système politique, en ce sens elle se drape d’un caractère sacré !
Quand Poutine tue tous les opposants qui pourraient se présenter aux élections face à lui, qu’il ne laisse en place que ceux qu’il terrorise, ses pratiques foulent aux pieds les valeurs de la constitution russe, il commet un sacrilège et c’est si vrai qu’il cherche en permanence auprès de l’Église orthodoxe une légitimité qui lui échappe. Le pouvoir de Poutine souffre d’un paradoxe, il recherche en permanence une légitimité que ses pratiques détruisent.
La pièce de Macbeth nous donne à voir sa fin tragique, quelle sera la fin de Poutine ? Lisons Shakespeare jusqu’au terme de son drame : quand tous ses opposants s’allieront ce sera l’annonce de sa chute, et une fois celle-ci accomplie, voici l’engagement du fils de Duncan Malcom, roi à son tour (3) : « Tout ce qu’il reste à faire pour replanter à nouveau notre société : rappeler nos amis exilés qui ont fui à l’étranger les pièges d’une tyrannie soupçonneuse, dénoncer les ministres cruels du boucher qui vient de mourir… » (Ac. 5, sc. IX).
Christiane Giraud-Barra
(1) Paul Ricoeur, Philosophie de la Volonté. Le volontaire et l’involontaire, éd Aubier, Paris, 1949.
(2) Pour l’analyse du sacré je m’inspire de la philosophie de Claude Lefort, « La permanence du théologico-politique » dans son œuvre Essais sur le politique XIXe-XXe siècles, Seuil collection Esprit, Paris, 1986.
(3) Dans cette pièce Malcom, futur roi, possède les qualités d’un roi vertueux selon Shakespeare, chaste, il ne se parjure pas, il ne viole pas sa foi, il ne convoite pas le bien d’autrui, il ne commet pas de traîtrise : « J’aime la vérité non moins que la vie » (Ac. 4, sc. III)