L'A.D.A.P. : Un continent perdu de l’Église-Institution
Suite au carnet de voyage Homo viator 4 de Christiane Giraud-Barra, voici un article plus développé sur les ADAP auxquelles elle fait allusion dans son article
Qu'est-ce-qu'une A.D.A.P. ?
Une A.D.A.P. est une assemblée dominicale en l'absence de prêtres retraduite ensuite « en attente de prêtres »
Dans les zones rurales, le manque de prêtres s'est fait sentir dés les années 1970. Et les diocèses se sont alors orientés vers les regroupements de laïcs pour la célébration dominicale.
Ces assemblées adoptaient le déroulement de la messe mais ne comportaient pas de consécration. Les hosties déjà consacrées étaient prises dans la réserve et distribuées entre laïcs. La réunion portait alors dans sa créativité sur le partage de la Parole.
Ces A.D.A.P prennent toute leur ampleur fin des années 1970 début des années 1980 manifestant le visage de l’Église en rassemblant la communauté chrétienne du village. Puis il y a changement vers les années 1990. Les évêchés font arrêter les A.D.A.P. objectant que ça allait décourager les vocations sacerdotales, prétextant que les laïcs manquaient de formation, craignant aussi qu'à l'avenir, les laïcs ne fassent plus la différence, et que ces A.D.A.P. ne remplacent définitivement la messe dans sa forme habituelle.
Ces mesures très restrictives n'ont pas empêché la diminution des vocations sacerdotales et comme dit Christian Salenson : « On a fait le non-choix de faire survivre le modèle en compensant le manque de prêtres par la venue de prêtres d'autres pays jusqu'à noyer le presbytérium de l'église locale. Cela a accéléré le processus de déchristianisation et de sécularisation. Puis on a tenté d'assouplir l'interdiction tout en conseillant de prendre des précautions avec les A.D.A.P. Mais toutes ces tergiversations ont fini par démobiliser clercs et laïcs ».
Ces peurs additionnées ont créé une désertification de la foi dans les zones rurales avec un prêtre venant célébrer moins d'une fois par mois, certains prêtres ayant quelquefois jusqu'à 60 paroisses à desservir et obligeant les laïcs souvent âgés à se déplacer sur plusieurs dizaines de kilomètres pour trouver une messe dans un autre village.
La-plupart ont renoncé à ces déplacements et certaines églises sont définitivement fermées. Et pourtant à cette époque là, Jean-Paul II lançait son cri d'alarme : « N'ayez pas peur ! ». A qui s'adressait-il ? Certainement pas aux personnes les plus concernées.
Dans l'esprit du clergé et même dans celui de nombreux laïcs le prêtre est sacré, sa fonction est sacrée et ce qui est sacré est intouchable.
Dans « lettre ouverte d'un curé au pape François » voilà ce que dit Daniel Duigou :
« Le pire c'est ce discours dominant qui persiste et qui distingue toujours dans l’Église le sacré du non-sacré, un discours qui justifie l'ensemble du système ecclésial et son fonctionnement. Ce discours verrouille la réflexion comme une clé de voûte tient à un édifice ... Le sacré ce n'est pas la religion mais le devenir de l’homme ».
On a sacralisé à souhait dans l’Église y compris la Tradition. Or l'Eucharistie est d'abord une mémoire qui appelle à la réalité du corps et du sang du Christ donnés pour nous pour que nous ayons Sa Vie en nous. On a négligé que « là où deux ou trois sont réunis en Mon Nom, je suis au milieu d'eux ». On peut très bien être réunis « en Son Nom » par l'échange de la Parole.
Mais je vais aller plus loin : Actes 2, 42-46 « Ils (les croyants) se montraient assidus à l'enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières... D'un seul cœur ils fréquentaient le Temple et rompaient le pain dans leurs maisons prenant leur nourriture dans l'allégresse et la simplicité de cœur. »
Il est clair que l'Eucharistie n'est pas un privilège délégué à un seul homme ou à un seul apôtre (les apôtres ne font qu'enseigner). Il est clair qu'à travers les douze, Jésus vise non pas la future hiérarchie de l’Église mais l'ensemble des chrétiens. Ces derniers sont les seuls destinataires du « Faites ceci en mémoire de moi ».
Je reviens à cette lettre ouverte au pape François de Daniel Duigou : « Je mesure la fracture entre la Parole du Christ qui nous vient des Évangiles et celle de l’Église Institutionnelle. L’Église n'est-elle pas revenue au culte abandonnant l'homme en chemin ? Pourtant c'est ce que Jésus a remis en cause : une pratique religieuse qui privait l'homme de son humanité et par là-même de Dieu ».
Mais voyons comment Jésus réagit par rapport à une tradition nécessaire à l'existence. Il va non pas la supprimer mais comme il dit « l'accomplir », la développer dans une autre dimension. Voyons comment Jésus va « transfigurer » la Tradition.
Le chapitre 4 de l’Évangile de Jean celui de la Samaritaine est très clair là-dessus.
Jésus arrive dans une ville de Samarie et fatigué, s'assoit près d'un puits (la puits de Jacob qui a tout un passé dans le premier testament car situé sur la terre que Jacob avait donné à son fils Joseph). Ce puits est synonyme de toute une tradition qui remonte déjà à plusieurs siècles à ce moment là.
Arrive cette femme de Samarie qui vient puiser l'eau du puits. Elle ne voit que l'eau contenue dans ce puits tout simplement de l'eau pour boire et faire boire les siens. Ce puits pour elle c'est le puits-souvenir des Samaritains, elle est toute accrochée à ses traditions. Jésus, lui, est à un autre niveau, celui de la source d'eau vive. Mais il va partir de ce que cette eau représente pour la Samaritaine : ch4, 7 « Donne-moi à boire » et il va lui offrir un puits-source. On n'est plus au niveau des traditions mais à celui de la Vie dans l'Esprit. Et il lance cette fameuse Parole ch4, 21 « Ce n'est ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père...L'heure vient et c'est maintenant que les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ».
Les temples, les églises et même la montagne pourtant très symbolique où des événements importants se produisent, tout est dépassé. Seul compte l'être humain capable d'entrer dans l'intimité de Dieu et de s'unir à lui en esprit et en vérité.
L'Esprit-Saint est au-delà des cultes, des dogmes, des traditions. Ce n'est plus l'eau canalisée dans un puits qu'on vient utiliser pour boire selon la tradition, c'est le jaillissement d'une source qui n'a pas de frontières capable de désaltérer tous les humains de la terre et de les conduire vers la seule Vérité qui soit, celle de la Vie transfigurée en Vie Éternelle.
Et la femme de Samarie reconnaissant en Jésus le Messie court l'annoncer aux autres membres de son peuple. La mission c'est donc de laisser de côté la tradition et de privilégier l'action de l'Esprit-Saint. Ces ADAP étaient l'expression même de cette action et l'on voyait se profiler une Église renouvelée faisant une plus large place aux évangiles et aux laïcs.
Aujourd'hui on continue sur la même lancée : celle de regrouper géographiquement les paroisses. L'ADAP (1) est devenu un continent évangélique perdu au profit d'espaces de pouvoir. La sécularisation et même la non-croyance ont tout envahi comme une mauvaise herbe, villes et campagnes.
On ne peut plus, depuis longtemps, témoigner d'une Église qui s'est blindée dans sa supériorité et dans ses rites sacrés. On ne veut plus du cléricalisme dans l’Église mais il n'a jamais été aussi vivace.
Les seuls témoins par rapport à la foi sont ceux qui ont fait une expérience de Dieu soit par une rencontre, soit par une vision, soit quelquefois au plus fort d'une maladie, soit simplement dans leur vie quotidienne, dans un élan vers les autres. Tout n'est pas cependant négatif dans ce que l’Église offre encore : les JMJ, les pèlerinages vers des lieux saints. Mais ces derniers mouvements sans suite dans la durée, n'est-ce-pas du grain tombé dans les épines ou sur des endroits rocheux ?
A signaler aussi les groupes Alpha assez prometteurs car il y a un suivi.
La première nécessité pour tous ceux qui sont en recherche c'est de se diriger vers la lecture des Évangiles pour mieux découvrir Celui qu'ils ont rencontré seul ou au sein d'un groupe. Il faut espérer que le Christ les accompagne dans leur cheminement.
Peut-être plus tard feront-ils le lien plus difficile à découvrir avec l’Église et ses rites ou bien suivront-ils le Christ par d'autres chemins ?
Christiane Guès
(1) Aux dernières nouvelles l'ADAP reste tolérée là où il y a trop de regroupements de paroisses. Mais les laïcs sont-ils autant motivés ? Dans les villes beaucoup se sont dirigés vers des groupes évangéliques, dans les campagnes c'est la désertification, l'athéisme qui a pris le nom d'indifférence.