Méditation pour un grand-père
Ayant fui l'Église pour les multiples raisons que j'ai dites dans un article précédent Et pourtant, je sors de l’Église catholique, me voilà précipité dans une magnifique église au plus profond des Ardennes profondes. Un grand ami m'a invité à préparer la célébration d'enterrement de son grand-père tant aimé.
L'amitié n'a pas de prix. J'ai donc négocié quelque peu la liturgie comme je le faisais tant de fois quand j'étais engagé dans l'Église corps et âme. Bref.
Après les témoignages, j'ai pris la parole sur la mort et du coup sur la vie. Une homélie qu'on a appelée « méditation » pour ne pas choquer d'éventuels cathos cléricaux. Rebref.
Voici donc :
Ton absence grand-père
est une présence encore plus intense.
J'avais un ami intime Jean Cardonnel, un prêtre révolutionnaire.
On venait quelque fois le solliciter pour célébrer un enterrement. Il répondait toujours : « Je ne célèbre jamais des enterrements, je ne célèbre que des résurrections. »
Je vous invite donc à une résurrection, à une nouvelle naissance.
Il aimait dire : « Celui qui est mort n'est plus là où on avait l'habitude de le voir. Peut-on en déduire qu'il n'est plus ? Quel manque de rigueur et quel manque d'imagination. »
L'existence ne serait donc que visible ? L'invisible n'existerait pas ?
On comprend mieux pourquoi un certain Jésus, poète de l'amour, ose nous dire en pleine gueule : « Vous avez des yeux et vous ne voyez pas ». Nous y voilà.
Il s'agit de voir ailleurs, il s'agit de voir dans les cœurs, Il s'agit de voir au-delà de nos peurs, au-delà des apparences, au-delà de la mort.
Le poète Christian Bobin déclare : « Qui n'a pas connu l'absence ne sait rien de l'amour ». Et si tu permets Pierre, (je parle au mort dans son cercueil), toi qui es père, grand-père, frère, oncle et ami, si tu permets sans trop te déranger dans ta conversation avec le ciel et le divin, notre cadeau en ce jour, c'est de te faire et de nous faire le cadeau de la fraternité.
« Aimez-vous les uns les autres », ne cesse de clamer un certain Jésus à temps et à contre-temps. Mes amis, notre cadeau de ce jour :
Aimons nous les uns les autres, Là où est l'amour, là est Dieu.
Nous le chantons en latin Ubi caritas Deus ibi est.
« La poésie est celle qui fait voir les absents autour de la table. »
La poésie c'est simple et intime, ça va droit à l'essentiel et ça change la vie.
La liturgie que nous vivons là en ce moment est un acte de poésie.
« La poésie est celle qui fait voir les absents autour de la table. »
Vous avez remarqué comme moi, chers amis, que l'absence de nos morts nous les rend encore plus présents. Leur absence nous les rend d'une présence encore plus intense.
Pour le poète de l'invisible : « Les morts ne sont pas morts. Les absents qu'on a aimés ne sont pas absents. Quand quelque chose a été vrai, c'est à l'abri. Si vous les avez aimés, les visages des disparus vous reviennent de temps en temps, comme s'ils étaient dans la vie. C'est bien la preuve d'ailleurs qu'ils ne sont pas morts. »
Cette église m'émeut parce qu'elle a traversé des siècles, elle en a vu des croyants, des priants, des baptêmes, des confirmations, des mariages et des morts.
Du coup, même si nous ne savons pas prier, même si nous ne savons pas converser avec Dieu, pas grave, les vitraux et les pierres et les colonnes prient pour nous.
Du coup, j'en suis reposé, apaisé, habité.
Au fond, ce poète reprend le message de Jésus le révolté et l'empêcheur de tourner en rond :
« Nous passons notre vie devant une porte sans voir qu'elle est déjà ouverte et que ce qui est derrière est déjà là, devant nos yeux. »
Que c'est beau, c'est géant, voilà une clé de la foi.
Puis-je la redire tellement elle nous ressuscite et les morts avec :
« Nous passons notre vie devant une porte sans voir qu'elle est déjà ouverte et que ce qui est derrière est déjà là, devant nos yeux. »
C’est lumineux, c'est bouleversant.
« Les vivants sont un peu durs d'oreille. Au cas où vous l'auriez oublié, les vivants c'est nous. Les vivants sont un peu durs d'oreille, ils sont souvent remplis de bruit. Il n'y a que les morts et ceux qui vont naître qui peuvent absolument tout entendre. »
Et toi Pépère, tu entends ce que nous n'entendons pas
et tu vois ce que nous ne voyons pas.
Pierre Castaner