« Il n’est pas déraisonnable d’espérer » (Bernard Perret)

Publié le par Garrigues et Sentiers

Face au malaise d’une épidémie qui ne cesse de rebondir, certains « experts » nous promettent, si nous sommes patients, de « retrouver le monde d’avant ». D’autres nous annoncent que « le monde d’après » ne saurait être un retour à celui d’avant ! Des responsables politiques se hasardent à fixer, avec plus ou moins de bonheur, des dates de sortie de la crise. Mais jusqu’ici, la plupart des discours voudraient nous faire croire que nous traversons une de ces crises passagères qui ponctuent régulièrement notre marche glorieuse vers une croissance permanente.  Dans un des meilleurs ouvrages écrits sur la pandémie, Bernard Perret analyse « ce qui se profile derrière la crise » : « La pandémie nous a brutalement rappelé notre dépendance à l’égard des équilibres qui régissent notre milieu de vie, d’où découle l’interdépendance de tous les humains. Elle nous renvoie à l’urgence de vivre en paix avec la nature et de mieux coopérer avec nos semblables, faisant apparaître au grand jour la fragilité d’un monde unifié par le marché, mais totalement inorganisé sur d’autres plans. (…) La crise sanitaire peut être vue comme une sorte de répétition générale, un signal d’alerte avant des catastrophes de plus grande ampleur qui nous trouveront tout aussi surpris » (1).

Pour lui, « c’en est fini d’une humanité qui dispose à sa guise d’une nature aux ressources infinies. N’est-ce pas le sens même de l’aventure humaine qui est à reconsidérer ? (…) Le fait pour l’humanité d’être confrontée à la finitude du monde aura des conséquences anthropologiques : c’est la figure de l’individu issue de la modernité qui est atteinte. Nous allons être encore plus interdépendants, obligés de tenir compte les uns des autres dans un nombre croissant de situations et d’inscrire plus consciemment nos projets personnels dans le cadre d’un devenir collectif » (2).

Nous sommes invités à une militance de l'art de vivre qui suppose ce minimum de lucidité avec soi-même permettant d’éviter que l’espace public devienne le refuge des névroses de ceux qui le construisent. Si le combat pour « les lendemains qui chantent » est révolu, il laisse place à des luttes concrètes sur des enjeux de citoyenneté, de culture, de solidarité. L’acteur sociétal n’oublie pas qu’il est un sujet dont l’engagement prend sa signification par un « dégagement préalable » par lequel il est un être de désir et de sens. L’écroulement des grandes idéologies permet de sortir du tout ou rien du maximalisme pour entrer dans des démarches intermédiaires. L’engagement a perdu ses petits soldats sans problèmes et ses gourous auto-proclamés porteurs du sens de l’histoire. Au schéma hiérarchique et doctrinaire d'une théorie surplombant des pratiques qui en découlent se substitue le schéma dialectique où l'action elle-même et l'événement sont porteurs de significations pour travailler à la construction patiente et quotidienne de la fraternité.

A l’heure de « l’épuisement du cœur du réacteur de l’économie capitaliste, à savoir le processus de marchandisation des besoins, qui permet de convertir ces besoins en demandes de biens marchands, en flux monétaires et en profits financiers » (3) Bernard Perret nous invite à une pensée « apocalyptique » comprise comme « révélation et philosophie de l’évènement » : « Le réel s’impose parfois à nous sans que nous l’ayons préalablement imaginé, obligeant à concevoir de nouvelles idées et, parfois à inventer un nouveau langage. (…) En fin de compte, notre existence, dans ce qu’elle de vraiment vivant et créatif, n’est qu’une suite d’événements au travers desquels nous devenons nous-mêmes en devenant autres, en réponse à des défis toujours nouveaux » (4). Cela amène Bernard Perret à définir ce que serait aujourd’hui un discours politique responsable : « Transformer un constat d’impasse collective en énergie politique, inciter à se préparer, à la fois moralement et par le développement d’un nouvel imaginaire et de nouveaux savoir-faire, à des événements dramatiques qui nous feront faire ce que nous ne sommes pas prêts à faire aujourd’hui : voilà le cahier des charges d’un discours politique qui prendrait en compte le caractère apocalyptique de notre situation historique » (5).

Bernard Ginisty

  1. Bernard PERRET : Quand l’avenir nous échappe. Ce qui se profile derrière la crise, éditions Desclée de Brouwer, 2020, p. 15 et 18.
  2. Id. p. 44.
  3. Id. p. 54.
  4. Id. p. 190.
  5. Id. p. 208.

Publié dans Réflexions en chemin

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