La lettre des évêques de France sur la lutte contre la pédophilie : un pas en avant ?
La Conférence des évêques de France (CEF) a adressé le 25 mars aux fidèles catholiques de notre pays une Lettre sur la lutte contre la pédophilie que la Conférence catholique des Baptisé-e-s francophones (CCBF) a saluée sur son sur site le 30 mars comme « un pas en avant ».
Dans une première lecture nous avons éprouvé ce sentiment : « Enfin ! ». Enfin, la CEF reconnaît les agressions sexuelles commises par des prêtres, des religieux des religieuses, reconnaît le silence et la complicité de la hiérarchie, reconnaît les blessures des victimes et leurs conséquences dommageables. Mais ? Mais… Plusieurs passages ont exigé une relecture attentive et ils insinuent en nous des doutes sur la pleine reconnaissance des faits évoqués et sur la volonté d’y remédier.
Certes, la théorie du « mouton noir » est abandonnée. Depuis que ces affaires de pédo-criminalité ont été rendues publiques, les prêtres, la hiérarchie dans son ensemble, en dehors de quelques personnalités comme le théologien et bibliste Philippe Lefebvre, n’avaient de cesse de répéter qu’il s’agissait de faits isolés, en rapport avec des personnalités déviantes. La lettre du CEF reconnaît et définit dorénavant les actes de pédophilie comme un fait social, des faits en relation avec une culture.
Mais il n’est pas dit, arrêtons-nous sur cette omission, que ce sont des faits institutionnels, qu’à ce titre, l’institution Église de par son organisation même peut être mise en cause. En parlant de fait social, de culture on renvoie à un ensemble plus vaste, à toute une société et à sa culture. Certes ! Mais cela n’est pas contradictoire avec l’analyse d’institution qui renforce tout à la fois la possibilité des déviances, des abus, et la possibilité de se soustraire à la justice.
Paule Zellitch, présidente de la CCBF, en introduction des vidéos sur « Les abus dans l’Église, les dégâts du cléricalisme dit : « les abus font leur lit sur des discours sur l’amour qui évacuent la loi » (1). C’est clair, limpide cela questionne le rapport à la loi dans l’Église catholique. Insistons, nous n’évoquons pas ici que la loi de Moïse, mais les lois de la Justice de notre société démocratique. L’Église n’est pas une contre-société dont les règles s’affranchissent du cadre social républicain.
Dans la Lettre des évêques il est réaffirmé le pouvoir sacré des prêtres et des évêques ; or le sacré, le saint, le parfait, a besoin d’être questionné au sein de l’Église. De même que dans la société laïque les droits des citoyens s’équilibrent par des devoirs sous peine d’abus, l’Église ne doit-elle pas admettre un contre-pouvoir des fidèles face au pouvoir « sacré » des clercs ?
Les évêques n’ont-ils pas entendu les victimes, notamment celles qui ne se dédouanent pas de leurs responsabilités, mais qui insistent avec juste raison sur le lieu opaque, isolé, où elles se sont trouvées entraînées par leur confiance « a priori » dans les personnes qui ne parlaient que d’amour, de sainteté, d’obéissance aux règles… tous ces termes utilisés pour couvrir d’un brouillard religieux des rapports d’oppression. Combien de personnes se sont laissé abuser par des maîtres, des accompagnants spirituels ? Ces dérives ne sont pas propres à l’Église catholique mais cela se passe aussi dans l’Église catholique. Il est vrai que ce genre d’abus psycho-spirituels, doublés de sévices sexuels, ne sont pas réservé aux mineurs, souvent ils s’abattent sur des adultes volontaires en quête de havre spirituel pour apaiser les tourments de leur vie. Notons que la lettre de la CEF fait l’impasse des abus sur adultes.
Ajoutons – mais cela a été amplement signifié par d’autres– que la CEF publie ses solutions avant d’avoir entendu les conclusions de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE). Pour avoir entendu M. Antoine Garapon, magistrat qui a participé aux travaux de la CIASE, je subodore que les solutions de la CEF sont une façon de tracer un cadre à la CIASE pour lui signifier que ses conclusions doivent s’y inscrire pour être retenues.
Si mon hypothèse est la bonne, alors se profile une fois de plus une déception des fidèles et des victimes, bien loin de souscrire aux recommandations du défunt théologien Hans Küng : mettre fin au célibat des prêtres, ouvrir les ministères aux femmes, impliquer à nouveau le clergé et les laïcs dans le choix des évêques, sortir d’une doctrine bioéthique étriquée… (2). Nous allons (ré)entendre les litanies habituelles sur : la prière, les appels à la sainteté de tous, accompagnées d’un catalogue de bonnes intentions dont en quelques années nous n’entendrons plus parler…
Le pire n’est jamais certain, il se pourrait que la honte ressentie et exprimée par les évêques accouche de réformes ; nous l’espérons, mais surtout faisons confiance au peuple des fidèles, parions qu’avec la reconnaissance du mal qui ronge l’institution, germe une vigilance salutaire qui fasse obstacle à une reprise en mains dogmatique, aveugle, à une énième répétition de l’appel à l’obéissance, au respect de la hiérarchie pour que s’ouvrent les portails des églises, de nos églises !
Que le souffle de l’Esprit s’y engouffre, balaye toutes ces fautes et engendre un renouveau de la foi !
Christiane Giraud-Barra
(1) Les abus dans l’Église, les dégâts du cléricalisme : lien YouTube La voix des Baptisé-e-s
(2) Hans Küng, Peut-on encore sauver l’Église ?, éd. du Seuil, 2012 ; sur Hans Küng, consulter l’article de Jean-Louis Schlegel publié sur le site de La Vie