Ascension

Publié le par Garrigues et Sentiers

Les évangiles synoptiques ne parlent pas de quarante jours d’attente, c’est presque immédiatement que le Christ quitte ses apôtres. Jean n’évoque même pas l’Ascension. Ce sont les Actes qui parlent de quarante jours. Leur auteur s’intéresse aux premiers pas des Chrétiens, à la compréhension qu’ils devaient avoir pour être à mêmes de suivre le Christ. S’il évoque cette quarantaine, c’est évidemment en référence à d’autres qui les ont précédés sur la route de la rencontre de Dieu.

 

Dieu a accompagné son peuple en fuite pendant quarante ans au désert pour qu’enfin il le reconnaisse comme son protecteur unique et soit alors à même de s’installer en terre promise. Élie a marché quarante jours pour Le trouver sur l’Horeb. Il fuyait ses responsabilités, menacé par Achab, mais Dieu l’a rattrapé, a pris soin de lui pour qu’il puisse enfin le rencontrer : « L’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! Autrement le chemin serait trop long pour toi. » Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu (1 Rois 18, 7-8). »

 

Quarante jours au désert dans l’intimité du Père pour que Jésus se sente prêt à commencer sa mission après avoir rejeté les autres idoles, qui sont encore les nôtres, soif de possession, soif de pouvoir, soif de nous-mêmes. Cela lui permettra de ne pas fuir comme Élie lorsque le drame arrivera. Il faut enfin quarante jours après Pâques pour que les Apôtres, en fuite eux aussi, retournés à leur vie de pêcheurs galiléens ou s’éloignant de Jérusalem comme les disciples d’Emmaüs, acceptent de faire leur deuil de toutes leurs illusions, de leurs espoirs bien concrets (ils se disputent encore les places et comptent sur l’instauration d’un royaume en Israël). Alors ils reviennent à Jérusalem, centre de la mort-résurrection, d’où ils pourront partir en mission et non pas pour revenir sur leurs pas à leur vie antérieure.

 

Ce temps après Pâques est celui de la rencontre de Jésus qui tente de faire comprendre aux disciples qu’il n’est pas venu pour établir un royaume terrestre et leur ouvrir l’esprit sur le sens de sa mission. Quarante jours pour les accompagner dans la compréhension des voies du Père. Leur faire comprendre que la Croix est le centre du mystère : elle manifeste la relation entre le Père et le Fils qui Lui confie l’humanité, elle est le chemin nécessaire pour faire de nous des fils comme Jésus est le Fils. Il faut passer de la religion du Père tout-puissant auquel tout est soumis, à celle du Fils et du Dieu faible qui invite les hommes à vivre dans son amour. La résurrection n’a pas de sens sans la Croix, elle est l’achèvement du processus de l’Incarnation qui permet à Dieu de nous faire entrer dans sa vie, dans sa relation trinitaire. On sort d’une relation de dépendance, finalement assez confortable si on se soumet, à une relation d’amour libéré qui prend toute la vie, qui chamboule tout, qui détruit les repères habituels, qui exige tout en n’exigeant rien.

 

Les disciples étaient repartis à leurs affaires, mais Jésus vient les prendre les uns et les autres par la main, de façon plutôt incognito, pour les remettre sur le bon chemin en leur ouvrant les yeux. Et l’autorité qu’il leur octroie pour la mission est légitimée par l’amour qu’ils ont pour lui (on ne parle pas d’obéissance) : « Pierre, m’aimes-tu ? Oui, Seigneur. Pais mes brebis » (Jn 21, 15).

 

Cette démarche, Jésus la fait avec nous aussi, de façon tout aussi discrète. Pour faire le deuil de tous nos espoirs de puissance, de réussite (1), pour pouvoir nous mettre en chemin avec lui . Qu’est-ce qui dirige nos vies ? A la fin de ce temps pascal qui nous a fait revivre l’essentiel de notre foi, il est temps de savoir où nous voulons nous diriger. Il est temps de savoir écouter, d’être attentifs. Il est temps de nous déprendre pour recevoir. Il est temps d’entrer dans l’intimité de Dieu, et non dans sa dépendance.

 

Bientôt nous serons envoyés en mission, avec la venue du Paraclet. La route se déroule dans le brouillard et l’obscurité. Comme pour les disciples d’Emmaüs, c’est en marchant que nous serons éclairés.

 

Marc Durand

Ascension 2019

 

1 – Il ne s’agit évidement pas de dénigrer la réussite humaine, Jésus est justement venu nous humaniser. Il s’agit de la mettre à sa place et ne pas en faire une idole.

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D
"La route se déroule dans le brouillard et l’obscurité". Un très précieux commentaire ! Et surtout chargé de lumières, ou à tout le moins ouvrant des chemins de lumière : les métaphores spirituelles qui dérivent dans l'Ecriture de ce "quarante" - jours ou années, ce qui n'importe pas - nous ouvrent à la perception de l'inclusion du temps messianique dans le temps hébraïque, et à celle de ce "copier-collé" <br /> inter-testamentaire dont l'intelligence, pour parcellaire que celle-ci doive être à ce point de la route où nous sommes, échappe à jamais à la lecture littéraliste. La lettre ne tue pas quand l'esprit la vivifie.
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V
Eclairage intéressant sur le sens des 40 jours, Dieu nous "tire" par le Haut.
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