Une cinquième tentation du Christ ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

J’avais, jusqu’à aujourd'hui, minimisé le rôle de Satan dans les Évangiles et pas assez examiné Jésus dans son « humanité ». On a toujours tendance à éliminer Satan car il n'est pas à la mode et on le  relègue souvent dans le cinéma des films d'épouvante ou fantastiques, or il figure bien présent, dans les quatre évangiles.

Je vais partir des tentations au désert de Luc 4 , 1 -13 :

    - Première tentation toute matérielle : faire passer le confort de son existence avant toute spiritualité : vivre uniquement de pain.

      - Deuxième tentation : le pouvoir, la richesse, le culte de l’argent.

      - Troisième tentation : celle de la toute puissance sur les éléments et sur Dieu lui-même.

Satan s’attaque ainsi directement à Jésus peut-être en utilisant certaines pensées négatives qui lui ont traversé l’esprit au cours de son jeûne dans le désert. Mais, c’est sans succès.

Je repars avec : Lc 9,52 « Il prit résolument le chemin de Jérusalem » et je rejoins Lc 21,37  : « Pendant le jour il était dans le Temple à enseigner… ». Et là, je suppose que, effectivement, l’épisode de « la femme adultère » fait partie de Luc et non de Jean 8 et qu’il constitue la quatrième tentation du Christ ainsi définie par René Guyon.

Mais à partir de cette dernière tentation, le mode d’opération de Satan va changer. Il va utiliser une toute nouvelle forme de tentation : la tentation par personne interposée. Celle-ci ne se fait plus au moyen des ambitions de la personne tentée : du confort matériel, de la richesse, du pouvoir, ou encore de la magie, mais au moyen d’une femme. C’est la tentation par la sexualité pour lui faire enfreindre la loi de Moïse. Là il s’attaque à « l’humanité » de Jésus. Mais il va encore échouer.

Satan  revient à la charge. Et là il va s’attaquer à Judas Lc 22,3 « Or Satan entra dans Judas appelé Iscariote ». Satan se fait alors infiniment discret laissant seulement sur la scène : Judas, Jésus et les autres disciples. En entrant  en Judas (dans son humanité), Satan entre aussi en Jésus (dans sa spiritualité) ceci par répercussion, le choix de Jésus s’étant porté sur Judas comme un de ses apôtres. Et là, se situe, peut-être, l’ultime tentation, non plus celle du pouvoir, de l’argent ou du sexe, mais celle de la « Parole », celle de l’Esprit. Ce n’est pas dit car pas perçu, mais Satan s’est infiltré dans la « Parole ».

Par deux fois, Satan revient à la charge envers les disciples : Lc 21,3 et 31 « Voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment ». Jésus s’adresse à Simon-Pierre en disant cela car il sait que celui-ci va le renier mais tous les autres disciples sont aussi sous la coupe de Satan.

 On dit que les apôtres n’ont pas compris ce que Judas allait faire mais je crois qu’ils ont été « empêchés de comprendre ». Ensuite, Satan ne fera plus parler de lui. C’est la ruse ultime.

Jésus va alors prononcer cette parole fatidique qui rappelle l’envers des Béatitudes : « les malédictions » : Lc 6,24-26 « Malheur à vous les riches… ». Mais là, il s’agissait de généralisations donc sans portée précise sur quelqu’un en particulier et donc moins graves. Là, il s’agit d’une personne précise : Judas.

Lc 22, 22 « Malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’Homme est livré » parole que l’on retrouvera aussi dans Mt 26,24 et Mc 14,21. Ces deux derniers ajouteront : « Mieux eût valu pour cet homme-là,  de ne pas naître ».

Satan s’emparera ainsi de l’Esprit de la Parole de Jésus jusqu’à ses derniers mots : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » encore que là Jésus s’adresse au Père mais sans l'appeler Père Mt 27, 46 et Mc 15,34

Ainsi, nous voyons soudain un Jésus capable de douter, d’éprouver des sentiments vindicatifs, de contester à Dieu la naissance d’un être humain1 donc de se retourner contre  la Création de Dieu et, par là, contre sa propre mission envers l’humanité, un Jésus qui pactise soudain avec l'esprit du Mal. On s’aperçoit, avec l’entrée dans la Passion, que Satan gagne du terrain.

Peut-être, devons-nous accepter que la « Parole » se soit faite piéger, elle aussi. Dés le début de la Genèse 3, 4-5, le serpent piège la Création par les déformations de la parole de Dieu. Pas étonnant que Satan, avec beaucoup plus de subtilité, ait employé le même procédé avec Jésus, par une personne interposée : Judas.

Le pire c’est que cette dernière tentation (la cinquième ?) vise l’essentiel (le cœur) de la Parole, celle d’enfreindre le commandement nouveau encore jamais autant vécu et répandu jusqu’à ce jour : le « Aimez-vous les uns, les autres comme je vous ai aimés ». Jésus va détester Judas au même point qu’il l’a aimé au sein des autres apôtres. Or, dans Jn 13,34, ce commandement nouveau est énoncé juste après l’entrée de Satan dans Judas comme si le « ... je vous ai aimés » s'adressait à Judas  au passé De même, il est suivi de l’annonce du reniement de Pierre comme si le « Aimez-vous... » s'adressait particulièrement à Pierre, au futur A mon avis, Satan vise le commandement nouveau. La preuve en est que Satan va gagner encore du terrain car Jésus ne pardonnera pas à Judas.

Il y a aussi toutes les paroles de pardon prononcées autour du «Aimez-vous ».

Mt 18,21-22 « Combien de fois mon frère pourra-t-il pécher contre moi et devrai-je lui pardonner et irai-je jusqu’à sept fois ? » Jésus lui dit « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois mais jusqu’à soixante dix-sept fois » C’est-à-dire une infinité de fois.

Au cœur du « Notre Père » cette prière qu’il nous a léguée, il y a le « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ».

Il restera le pardon donné à Pierre mais à la Résurrection, Satan ne sera plus là. Jésus aura retrouvé ses esprits et le sens de son message. La Parole reprendra ses droits.

Au moment où Judas le livre (Mt 26,50) Jésus lui dit « Ami, fais ta besogne » ; Mc 14,45 » Judas s’approcha de Jésus en disant « Rabbi » et lui donna un baiser ; Lc 22,47-48 « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’Homme » ; Jean 18,5 « Or Judas qui le livrait, se tenait là, lui aussi avec eux ».

Jésus2 ne prononcera pas les paroles de pardon de Joseph à ses frères qui l'avait vendu Gn 45,4-8 « Ne vous fâchez pas de m'avoir envoyé ici car c'est pour préserver vos vies que Dieu m'a envoyé pour une plus grande délivrance ». La situation présente de Joseph qui est passé maître sur la maison de Pharaon est très différente de celle de Jésus arrêté et condamné. Joseph aurait-il pardonné à ses frères au moment où il était vendu ? Et Jésus, au moment de sa Résurrection, n'aurait-il pas pardonné à Judas comme il a pardonné à Pierre si Judas avait été encore en vie ? On dirait, avec Jésus, que Satan revient sur l'erreur qu'il a faite avec Joseph. Aussi Jésus ne rendra-t-il pas  un baiser  ou même un regard d'amitié, à Judas.

Un baiser est habituellement signe d’amour. Mais là, le baiser de Judas devient signe de trahison et confirme même cette trahison. Jésus est tout à son horreur d’être trahi au cœur de son message et par l’un des siens qui, en plus, se moque et l’appelle « Rabbi ». Les mots de pardon ne lui viennent pas aux lèvres. Peut-être, englobera-t-il  ces mots de pardon dans le pardon donné à ses bourreaux : Luc 23, 34 « Père pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font », ignorant la mort de Judas avant la sienne ?

Le pardon n'est jamais automatique. Comme pour Joseph envers ses frères, il demande toute une tranche de vie réussie pour la victime en dépit de la volonté extérieure de lui nuire. Il demande que la victime ait le temps et la réflexion d'assumer le tort qui lui a été fait et que sa situation se soit améliorée.

 Au cours de la Passion, il y aura, alors, alternance de présence et d’absence de l’Esprit-Saint

Présence : Luc 22,42 « Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe. Cependant que ce ne soit pas ma volonté mais la tienne ».

Mais, il y a absence de l’Esprit-Saint quand Jésus se tait devant le pardon à accorder à Judas. Il traduit bien cela en disant à ceux qui viennent l’arrêter Lc 22,53 « Mais, c’est votre heure et le pouvoir des Ténèbres ». Jésus avoue ainsi son impuissance à faire la lumière et donc à pardonner. Il est aussi, malgré lui entraîné dans le pouvoir des Ténèbres.

Dans Mc 14,27 il y a le rappel de cette parole « Tous, vous allez succomber, car il est écrit : je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées ».

Il y a ce que Jésus dit et ne devrait pas dire ; ce que Jésus tait alors qu’il devrait le dire. Satan brouille les pistes démontrant ainsi qu’il peut s’emparer de la Parole et la manipuler à son profit.

Judas perdra alors son identité de « louange à Dieu »(en Hébreu Judas signifie louange à Dieu) et son identité d’apôtre. Il ne sera plus que Lc 22,22 « Cet homme-là ». Mais l’identité de Jésus « le Seigneur sauve » en sera ébranlée momentanément. Avec Judas quelque chose s’interrompt comme inachevé : la Parole prononcée et vécue jusqu’au bout  qui  piétine et balaye Satan.

A moins que, comme dit Charles Aznavour dans sa chanson : « Il faut savoir retenir les cris de haine qui sont les derniers mots d’amour ». Et il ajoute : « Mais moi, je n’ai pas su ». Envers Judas, Jésus, non plus, n’a pas su.

Pour Jésus, la trahison de Judas c'était bien le pire qui pouvait lui arriver. Au point où il aimait ses amis : Lazare, Marthe, Marie et les siens, ses apôtres aimés jusqu'au bout de son existence terrestre, cette trahison a dû être pour Lui terriblement traumatisante au point d'en arriver à ces paroles de malédiction. Il n'est jamais allé jusque là dans ses propos envers les Pharisiens et les grands-prêtres qui lui étaient pourtant hostiles. Le désamour est à la mesure de l'amour qui a été donné.

Nous oublions, trop souvent, que Jésus était un homme aussi et  que, non seulement, il y a des pardons impossibles à notre nature humaine, mais que certains êtres n’attirent jamais le pardon car ils sont plongés totalement dans les ténèbres et ignorent l'existence même de la lumière. Se tromper, faire erreur sur les motivations d'une personne, ne doit pas aller jusqu'à la trahison et la tentative d'assassinat. La Passion du Christ nous amène à réfléchir sur l'impossibilité du pardon dans certaines situations notamment quand la lumière est totalement éclipsée par les ténèbres.

Or dans Lc 23,46 Jésus dit « Père, en tes mains, je remets mon esprit ». Ce sont ses derniers mots. Il se reconnaît comme Fils et il  s’en remet à son Père pour tout ce qui s’est passé. A Lui de pardonner à Judas si telle est Sa volonté car le Père est plus grand que notre cœur. Lui seul peut suppléer.

 La Parole, un instant obscurcie, reprendra  ainsi le dessus car elle demeure vivante. Mais il y aura eu ce temps de non-pardon, ce moment où Jésus restera uniquement homme et qui justifiera l'existence d'une Géhenne qui conduit aux Ténèbres éternelles.

En fait, devant l’Homme, le divin échoue car l’Homme ne peut-être à sa hauteur totale. Mais l’Homme est vivant, la Création est vivante et cela même, Dieu ne peut y retoucher. L’Homme est appelé à la Résurrection et ceci malgré Satan, malgré l’entreprise du mal. C'est l'Espérance contre toute espérance.

Entre l'Ascension et Pentecôte c'est Matthias qui sera élu pour remplacer Judas, cette élection montrant que Jésus peut toujours continuer à choisir même si ce n'est plus de son vivant sur cette terre, simplement par l'intermédiaire de ses disciples, justifiant ainsi une continuité dans la diffusion du message évangélique.

Christiane Guès

(1) Expression de René Guyon

(2) Midrash (comparaison entre l'attitude de Joseph envers ses frères et l'attitude de Jésus envers Judas) découvert par René Guyon

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