Le Mal

Publié le par Garrigues et Sentiers

Pour parler du Mal, il faudrait le définir, première difficulté. On peut au moins dire ce que ce n’est pas : ni une substance, ni une personne (le Démon, Lucifer, etc.). Il faut distinguer le Mal du Péché. Le Péché est une notion religieuse, le Mal est un concept indépendant de toute religion. Pour les Chrétiens, le mal moral est lié avec le péché, mais parler d’abord de péché semble une façon d’éviter de voir l’ampleur de la question du Mal.1

      

Il est ce qui brise notre humanité – d’aucuns ouvrent encore plus la question en le définissant comme ce qui détruit la Nature. Mais nous n’avancerons pas beaucoup sur ce dernier terrain, car le concept de Nature est lui-même difficile à cerner. L’explosion d’un volcan détruit la nature (avec un petit « n ») autour de lui, mais est-il destructeur de la Nature ? Le monde, tel qu’il est, est une agglomération de forces en mouvement, de heurts, de bouleversements, etc. qui peuvent être très violents, destructeurs, mais absolument pas en opposition avec la « Nature ». Si l’on s’en tient à la Nature animale, ce n’est pas simple non plus. Faire souffrir un animal est un mal... cela dépend de l’intention. Est-ce un mal que le lion attaque l’antilope ? Si c’est un homme qui la tue, la réponse peut être différente. Notre conception du Mal est liée à l’action de l’homme, à son humanité. Les souffrances infligées dans et par la nature dépassent notre compréhension, nous pouvons être atteints ou nous émouvoir de celles qui éprouvent d’autres êtres. Nous pouvons souffrir dans une sorte de communion avec les autres, dire que c’est « normal » ou « naturel » n’est en rien une consolation, il est nécessaire de reconnaître cette souffrance, mais notre condition humaine ne nous permet pas d’aller beaucoup plus loin.

Pour simplifier et espérer avancer un peu, nous nous limiterons au Mal comme le briseur de ce qui fait de nous l’humanité, le Mal qui concerne les hommes. S’il n’est pas défini formellement, au moins peut-on saisir en quoi il nous concerne, partir des terrains où nous le rencontrons pour en saisir la réalité.

 

Nous trouvons trois niveaux essentiels du Mal.

 

Le « Mal radical ».

 

Il y a ce que les philosophes appellent le « Mal radical ». Il s’agit de la négation de ce qui fait de nous des hommes. Cela va de l’affirmation que telle ou telle population n’a pas de caractère humain, ou n’appartient pas à ce que nous appelons l’humanité, jusqu’à la simple négation d’un autre, le refus de le voir. C’est au-delà du mépris, c’est une néantisation, néant qui est le contraire du Monde existant. Ce Mal est dit radical parce qu’il est à la racine de notre humanité, et non parce qu’il serait plus horrifiant qu’un autre. Le pire « monstre » qui s’attaque à quelqu’un n’est d’ordinaire pas dans ce « Mal radical » : la haine de l’autre peut mener à le supprimer, mais cette haine fait que l’autre est considéré comme un humain aussi. Nous sommes tous plongés dans ce « Mal radical », mais cela est hors de notre conscience. C’est quand l’homme renonce à ce qu’il est, quand il est dans l’inauthenticité, dira Heidegger, qu’il peut être l’instrument de ce Mal. Sartre appelle cela la « mauvaise foi » dans laquelle l’homme renonce à ce qu’il est pour endosser l’habit de sa fonction. On ne décide pas d’être de mauvaise foi (nous ne sommes pas dans un cours de morale), on vient à elle comme on s’endort. On s’efface derrière le « on », il n’y a plus de distance entre soi et le rôle social que l’on joue.

 

Le militaire en Algérie, du moins dans certaines unités, torture parce que lorsqu’« on » est militaire dans ce contexte, « on » torture. Cela n’empêche pas, après cette séance, de retrouver ses amis, de partager des sentiments avec eux, d’être soi-même. L’exemple de l’extermination nazie est éclairant. Il s’agissait de nier l’humanité d’une partie des hommes. S’il y avait des monstres qui s’attachaient à cette œuvre de mort, la plupart de ceux qui l’ont accomplie ne l’étaient pas, ils l’ont réalisée en toute bonne conscience. Il s’agissait de fonctionnaires qui agissaient en fonctionnaires. Ils obéissaient aux ordres, ont-ils plaidé, mais surtout ils ne se permettaient pas, même in petto, d’avoir un jugement sur ces ordres. Ils n’étaient que fonctionnaires et dans leur fonction ils niaient leur « soi-même ». Hannah Arendt a alors parlé de la banalité du Mal. Ces fonctionnaires (elle s’intéresse surtout à Eichmann) étaient ordinaires, avaient une famille (Himmler était dit un bon père de famille). Ils ont été des dizaines de milliers à participer à cette extermination, et Hannah Arendt ajoute que nous sommes tous susceptibles de participer, car tous capables de renoncer à notre authenticité en nous cachant derrière le « on ». Il s’agit bien du Mal que l’homme fait à l’homme, mais sans volonté déterminée, il y a renoncé dans la négation de l’humanité de celui qu’on extermine. Lorsque récemment une policière de Briançon a arrêté une voiture dans laquelle une femme migrante commençait à accoucher et l’a bloquée une heure avant qu’une intervention des pompiers la sauve in extremis, elle était dans son rôle de « fonctionnaire » chargée de bloquer une migrante, l’humanité de cette mère en train d’accoucher lui était invisible. Cette « brave » policière a dû rentrer chez elle le soir embrasser ses enfants après une « bonne » journée de travail...

 

La considération de ce « Mal radical » a mené saint Augustin à la notion de péché originel. Il ne pouvait pas accepter qu’en face du Bien, assimilé à Dieu, existe un être du Mal. Et pourtant il constatait l’existence de ce Mal dans lequel nous sommes tous plongés, indépendamment de notre volonté. Sa conception avait du sens, mais elle avait la tare d’être biologique, le Mal se propagerait par la naissance, d’être religieuse (ce qui est normal pour l’époque) alors que le « Mal radical » est un concept bien plus vaste, et finalement de chercher un coupable parmi les hommes : Adam, voilà le coupable, et par filiation nous le sommes tous !

 

Cette notion de péché originel, de Mal dans lequel on baigne, nous amène à un autre type de  « Mal radical », dans lequel l’homme est impliqué. Il s’agit d’un état du monde, de la société, qui nie notre humanité. Nous ne sommes pas directement responsables de l’immense pauvreté d’une partie du monde, pauvreté qui participe à la richesse de l’autre partie. Il y a bien sûr une responsabilité des hommes, par exemple le fait qu’ils ont pillé le monde pauvre, mais hors même de leur intervention certaines parties de l’humanité, pour de multiples raisons, entre autres géographiques, n’ont pas profité d’un certain développement et sont restées « sur le bord de la route ». Le partage des richesses dans nos sociétés est tout sauf satisfaisant, mais cela est aussi une question de structures que nous ne savons pas mettre en place. Là encore, ne soyons pas naïfs, la main de l’homme est bien présente pour développer les injustices, mais il y a aussi sous-jacente une incapacité des hommes à s’organiser afin de faire disparaître ce Mal. Quelles que soient les raisons historiques, il existe actuellement une situation du monde qui est un mal, par notre naissance nous sommes projetés dans ce « monde mauvais » dont nous ne sommes pas responsables à la naissance et sur lequel nous avons si peu de prise par la suite qu’il est difficile de nous l’imputer. En ce sens, il semble que l’état de la société participe au « Mal radical ».

 

Les frontières entre les diverses acceptions du Mal ne sont pas étanches, l’humanité peut avoir sa responsabilité dans l’établissement du « Mal radical », même si en principe il est plus originaire que l’action de l’homme. D’ailleurs dans les exemples donnés plus haut, les fonctionnaires acteurs « involontaires » du Mal étaient aussi souvent porteurs de haine, ou de lâcheté. Ils avaient accepté leur statut de marionnettes, mais la vie d’un homme ne se découpe pas si facilement avec des cloisons étanches entre le « bon père de famille » et le bourreau de gens qu’on déshumanise. La psychanalyse nous informe sur ces pulsions de destruction qui peuvent nous habiter, et l’homme peut vouloir détruire, nier l’autre jusqu’au plus profond de son être. Eichmann et les Nazis n’étaient probablement pas uniquement des fonctionnaires obéissants. Plongés dans le « Mal radical », ils y ont ajouté leur touche humaine et volontaire qui les rend responsables du mal moral.

 

Le « Mal moral ».

 

Ce Mal, dans lequel nous baignons, nous amène à la morale. Dans le monde marqué par le Mal, il faut faire des choix, et ces choix peuvent mener à « faire le mal ». Il est manifeste que la morale publique n’est pas la même que la morale individuelle. Je peux refuser de tuer un agresseur, quitte à en mourir, mais qu’en est-il de la protection que je dois aux autres, que l’État doit à ses citoyens ? On pourrait reprendre chacune des valeurs morales pour s’apercevoir que dans certaines situations on est amené à les trahir. Paul Ricoeur parle d’une morale de responsabilité en tension dialectique avec une morale de conviction. La première a trait à nos engagements dans la société, si on y renonce, on tombe dans le cynisme, le machiavélisme. La seconde aspire à une pureté totale, celle de ceux qui ne peuvent pas avancer, incapables d’agir. L’homme doit vivre la tension entre les deux, dans une « dialectique de l’absolu souhaitable et l’optimum réalisable » écrit Ricoeur. On touche donc encore une fois à un Mal originaire. A notre naissance nous sommes jetés dans un monde marqué par ce Mal. A moins de s’interdire toute action, n’avoir pas de mains comme on l’a reproché à la morale de Kant, l’homme est sans cesse confronté à la nécessité de faire du mal d’où ne sort pas un bien, comme on a l’habitude de dire, mais que l’on ne peut éviter dans la quotidienneté de la vie. Le Droit a été conçu pour décider ce que l’on peut ou ne peut pas faire. Il n’est pas moral, il gère les conflits qui impliquent notre morale. Ce Mal est profondément humain, il s’attaque à nos valeurs, à notre humanité, et nous ne pouvons pas nous en abstraire.

 

Ce Mal nous concerne tous, nous sommes plongés dedans. Il est la conséquence de l’existence du Monde. S’il y a Monde, du même coup il y a négation du Monde, là on trouve le Mal.  Comme dit plus haut, il est course au néant, néantisation.

 

On débouche enfin sur le mal que l’homme fait à l’homme, y compris à lui-même, en connaissance de cause, volontairement. Il s’agit donc du mal moral lié essentiellement à notre liberté. De même que l’homme peut renoncer à être soi en plongeant dans le « on », ce qui le rendra complice du « Mal radical », il peut à chaque instant choisir un mal qu’il estime préférable pour lui, même s’il est destructeur pour les autres, même s’il atteint par là son être propre. Cette liberté est essentielle, elle implique la possibilité de faire le mal. La question qu’on peut se poser est celle de saint Paul en Rm 7, 18-20 : « Ce qui est bon, je le sais, n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair : j'ai la volonté, mais non le pouvoir de faire le bien. Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas. Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui le fais, c'est le péché qui habite en moi... »

 

Nous savons bien que notre « bonne volonté » est souvent prise en défaut, pourquoi ? La question n’est pas « d’où vient le Mal ? » mais « pourquoi le faisons-nous ? » Bien souvent un bien immédiat que nous désirons va nous inciter à pratiquer un mal, notre volonté est faible... Il est inutile d’insister, ce mal que nous pratiquons est le fond de commerce de tous les penseurs, de toute la littérature, et de notre culpabilité. Nous n’avons pas besoin du « Tentateur », notre liberté et notre faiblesse suffisent.

 

La souffrance.

 

Enfin, il faut considérer le mal qui nous affecte, la souffrance. La souffrance injuste (mais pourrait-elle être juste ?) est un mal qui nous agresse et peut nous détruire. Ce mal peut participer au « Mal radical », mais pas toujours. Le tort de la plupart des philosophes a été d’ignorer ce mal, ne s’intéressant qu’au mal moral. L’accident qui tue un parent, la souffrance due à une maladie, bien d’autres événements encore, la mort évidement, procurent une souffrance que l’on ne peut imputer à personne. Le Monde est en mouvement, cela entraîne ce mal qui est insupportable à l’homme dans la mesure où il est inexplicable. On peut déceler la cause immédiate, mais pourquoi est-ce moi qui suis atteint ? Pourquoi cette injustice, l’un étant atteint et l’autre non ? C’est un fait incontournable lié à notre état d’êtres finis dans un Monde que nous ne dominons pas, mais savoir cela n’est pas une consolation. Ceux qui croient en un dieu créateur ont l’envie de lui imputer ce mal qu’ils ne comprennent pas. Mais ce serait considérer ce dieu créateur comme un humain. S’il est dieu créateur du monde, on ne peut l’impliquer dans l’évolution naturelle du monde, il l’a créé et le monde suit alors ses propres lois, marqué par la finitude (sinon il serait dieu lui-même), les « accidents » que nous déplorons en font obligatoirement partie. Si Dieu est dieu, il est indéfiniment créateur, par sa création il rentre dans le temps, mais pas en agissant sur les lois de la Nature qu’il doit laisser aller. Dieu accompagne le monde, en a le souci permanent, mais Il ne peut contredire sa création en intervenant comme un magicien. Nous savons peut-être ce que Dieu ne peut pas faire parce que ce serait contraire à son être de dieu, mais comment Il intervient dans le monde – s’il en a le souci permanent, mystère. Nous pouvons le croire, l’espérer, mais évidemment nous ne pouvons pas le savoir. Ce que peuvent penser les croyants, c’est que le Mal est ce que ne veut pas leur dieu. Dieu a créé l’homme pour le bien, mais le fait de le créer implique automatiquement la négation de cette création, son néant. On tombe sur cette contradiction entre la création et sa négation qui est le néant de l’être. Alors que peut faire l’homme ? Pour bien des croyants la réponse est dans le livre de Job : se plaindre, et si Dieu est le Dieu auquel nombre d’hommes croient, il ne peut être insensible à la plainte, même s’il n’est pas le « Tout-Puissant » dont rêvent beaucoup.

 

      

Le Mal et le Péché.

 

Pour les Chrétiens, peut-on parler du Mal sans se plonger dans le péché ? Le péché est une rupture de relation avec Dieu. Dans la mesure où notre humanité est fondée sur cette relation, il est un mal. Lorsque nous faisons le mal, nous détruisons ce qui fait de nous des hommes, nous rompons donc notre relation avec Dieu. Cela est le sens du péché. Le mal moral est donc bien lié avec le péché.

 

Il faut en finir avec l’idée de punition de la part de Dieu. Punir, c’est infliger un mal pour répondre à un mal, c’est donc ajouter un mal au mal, comment Dieu le pourrait-il ? Il est vrai que dans l’Ancien Testament, Dieu punit, mais on trouve aussi des passages dans lesquels les prophètes font dire à Dieu son aversion pour la punition. Le péché, la trahison à l’égard de Yahvé le bouleversent et entraînent des désordres et des souffrances, mais Yahvé n’est pas un homme qui se venge et il ne veut pas ajouter à cette souffrance : « Par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, je ne prends pas du plaisir à la mort du méchant, mais à la conversion du méchant qui change de conduite pour avoir la vie » (Ez 33, 11) Ou encore : « Mon peuple est cramponné à son infidélité […] Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent. Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère, je ne détruirai pas à nouveau Ephraïm, car je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis le Saint, et je ne viendrai pas avec fureur » (Os 11, 7-9).

 

Il est vrai que les Évangélistes et surtout les chrétiens par la suite ont parlé de l’expiation de nos péchés par la mort du Christ. On est passé d’une mort à cause du mal à une mort en offrande d’expiation. Cela montre à quel point le besoin de punition est profondément ancré dans les mentalités, il n’en semble pas moins une déviation du message du Christ et des prophètes.

 

Dans Lc 13, 4-5, Jésus évoque la chute de la tour de Siloé : « Ou bien, ces dix-huit personnes sur qui est tombée la tour de Siloé et qu'elle a tuées, croyez-vous qu'elles fussent plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem? Non, je vous le dis. Mais si vous ne vous repentez, vous périrez tous également. » La leçon est claire, les souffrances qui nous arrivent ne sont pas une punition de Dieu. Par contre le péché, c’est-à-dire la rupture de la relation avec Dieu, est mortifère. Mais Dieu ne punit pas.

 

Nous avons passé en revue trois sources du Mal. La question pour les croyants, et ici nous nous limiterons aux Chrétiens, est de savoir quel lien cela peut avoir avec Dieu. 

Il faut d’abord renoncer définitivement au « Dieu Tout-Puissant » que l’on prend pour un magicien qui pourrait avec sa baguette nous éviter le mal et la souffrance. Par le fait de créer le Monde, Dieu a introduit une contradiction, la négation de cette création. Là se situe le Mal. Dieu ne le veut pas, il est une conséquence de sa création et il veut le combattre. En s’incarnant Dieu prend sur lui ce Mal dont nous souffrons pour l’annihiler. Y compris le mal qui ne peut être imputé à l’homme. Jésus s’est présenté sans cesse comme un guérisseur. Bien sûr chaque fois qu’il guérissait, il donnait un sens plus vaste à la guérison, remettant les gens debout. Mais en les guérissant il montrait aussi que toute souffrance l’affectait et sa volonté de la combattre.

 

La mort du Christ, qu’il n’a pas voulue mais acceptée est le sommet du combat de Dieu contre le Mal, combat dont il nous signifie la victoire par la Résurrection. Mais cette victoire est en devenir. La résurrection de Jésus en est les prémisses, elle nous appelle à entrer dans sa mort pour ressusciter avec lui, et cela jusqu’à la fin du monde. Cette espérance serait impossible sans le passage de Jésus par la mort et la résurrection, mais le travail n’est pas terminé car il s’agit de l’homme, qui est dans le temps, et qui par sa liberté (et non par la Loi) peut s’associer chaque jour à cette lutte contre le mal. Saint Paul, qui identifie le mal au péché, écrit dans Rm 6, 4-5 : « Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts. Car, si nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne. » Ou encore, dans Rm 6, 10-11 : « Sa mort fut une mort au péché une fois pour toutes ; sa vie est une vie pour Dieu. Et vous de même : regardez-vous comme morts au péché, et comme vivants pour Dieu dans le Christ Jésus.»

 

Notre plainte devant la souffrance est donc écoutée, et validée. Il n’y a pas de raison de souffrir, c’est un fait. Dire à Dieu notre souffrance par notre plainte, c’est rentrer dans la plainte de Jésus et sa compassion. Au-delà de la souffrance inintelligible, il y a notre acquiescement à la vie fondée sur notre confiance en Jésus ressuscité. Mais au moment culminant de ce combat contre le Mal, il a dit « demeurez en moi comme je demeure en vous ». C’est avec lui que nous devons mener ce combat. Nous sommes cobelligérants. Ce Mal que nous faisons aux autres, ce Mal dans lequel nous sommes jetés dès notre naissance, ce Mal insupportable qui nous fait souffrir, nous devons les combattre avec lui, et si la victoire est assurée, le combat dure encore et le scandale du Mal demeure.

 

Marc Durand

 

 

(1)  En fin d’article nous construisons un discours chrétien sur le Mal et le Péché.

Publié dans Réflexions en chemin

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V
Dans votre article «Toussaint: raconter des histoires» (31/10/2018), vous écriviez: «La réflexion théologique est nécessaire pour mieux comprendre notre foi, pour nous éviter trop de fausses pistes, mais elle ne peut pas nous dire qui est Dieu car il est inatteignable, sinon il n’est pas Dieu.» Comment pouvez-vous donc vous permettre la moindre affirmation sur lui? En stricte logique vous n’en pourriez rien dire. Vous affirmez ici qu’il n’est pas tout-puissant, qu’il n’intervient pas dans sa création, qu’il ne punit pas, par exemple. Comment pouvez-vous le savoir? En fait, que vous le vouliez ou pas, vous faites le tri entre des énoncés de foi le concernant et choisissez bien entre des AFFIRMATIONS sur lui, en rejetant celles qui ne vous conviennent pas. Contrairement à ce que pensent d’autres chrétiens, il n’est PAS tout-puissant, il ne fait PAS de miracles, il n’est PAS punisseur, etc. Or, s’il est inatteignable, il n’est pas plus qu’il n’est pas ceci ou cela. Il n’est RIEN dont je puisse dire quoi que ce soit. On ne pourrait même pas en concevoir l’idée. Même la théologie apophatique ne règle pas le problème. Un énoncé négatif reste un énoncé.<br /> <br /> Quant à l’origine du mal et à la raison que vous en donnez: «Par le fait de créer le Monde, Dieu a introduit une contradiction, la négation de cette création. Là se situe le Mal», en supposant qu’elle soit exacte et qu’il soit exact aussi que «Dieu ne le veut pas, il est une conséquence de sa création et il veut le combattre», est-ce que cela met sa responsabilité hors de cause? Quand vous écrivez que «le mal que l’homme fait à l’homme […] en connaissance de cause, volontairement», le «mal moral», est «lié essentiellement à notre liberté», je suppose que vous sous-entendez que Dieu, qui est bon, a choisi de créer l’homme libre parce que la liberté est un bien supérieur à son absence. Comme vous ne croyez pas à la toute-puissance de Dieu, je ne sais pas si vous ne croyez pas non plus à son omniscience, mais même en supposant qu’il ne soit pas omniscient sa responsabilité n’est pas mise hors jeu. «Quoique […] Dieu eût pu ne pas savoir ce qu’Adam et Ève [...] feraient s’il les créait, il pouvait certainement savoir ce qu’ils pourraient faire […] Si c’est le cas, il prenait, littéralement, un risque infernal […]. La liberté de faire des choix imprévisibles était-elle un si grand bien qu’elle prévale sur ce risque? On doit répondre à cette question non seulement en référence au degré de malignité humaine qui a effectivement eu lieu; les hommes auraient pu (aussi étrange que cela puisse paraître) être bien pires qu’ils ne le sont, et Dieu (dans ce cas) acceptait aussi ce risque. Il n’aurait alors pas été l’auteur du péché dans le sens où il l’aurait sciemment produit; on ne pourrait pas l’accuser de malveillance préméditée; mais on pourrait le charger des griefs de négligence et d’imprudence crasses.» (J.L.Mackie, The Miracle of Theism. Arguments for and against the Existence of God, p.175-176.)[1]<br /> <br /> Vous exonérez Dieu de tout lien avec l’existence du mal parce que c’est le seul moyen de maintenir sa bonté. Et votre manière de tenir le coup est pathétique: «se plaindre» comme Job car Dieu «ne peut être insensible à la plainte», qui est «écoutée, et validée». Dans Naissance de Dieu. La Bible et l’historien (1992, p.296, 297), Jean Bottéro s’extasiait: dans «La littérature biblique d’après l’Exil, Psaumes, Proverbes et écrits prophétiques notamment, [...] La thèse qui reparaît constamment, c’est celle des “théologiens” du temps, lesquels tenaient opiniâtrement pour l’équation traditionnelle: bonheur = sainteté (et vice versa); malheur = impiété (et réciproquement). Au temps du Christ encore, une question comme Jean, IX, 2: Maître, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il naisse aveugle? en dit long sur la persistance de ce théorème.../Le seul qui ait vu clair, c’est l’auteur du livre de Job [...], qui, à ce titre, mérite d’être réputé un penseur religieux de première grandeur [...] à la fin Dieu parle [...] il en ressort cette vérité, à la fois simple et formidable, que lui le Maître de l’Univers, dépasse de si haut les pensées humaines que devant Lui, et QUOI QU’IL FASSE, on ne peut que se taire et admirer: ce ne peut être qu’admirable, même et surtout si nul ne peut comprendre. […] Ses contemporains ont été fort loin de l’entendre […] Mais, en dépit qu’ils en aient eu, il n’existe pas, dans la ligne de la religion israélite, d’autre “solution” religieuse au problème qu’eux et lui se posaient.»<br /> <br /> Heureusement que Bottéro a mis solution entre guillemets et qu’il ne cite pas la réponse, à pleurer, de Jésus à la question posée: «Ni lui, ni ses parents. Mais c’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui.»[2] En quoi le discours de l’«admirable» YHWH, «même et surtout si nul ne peut comprendre», est-il différent de la réponse du nazi à Primo Levi: «Hier ist kein warum»? Augustin, lui, cherchait désespérément à comprendre les raisons des souffrances que spontanément tout le monde considère comme injustes: «quand on en vient aux peines de petits enfants, je suis, crois-moi, en butte à de grandes angoisses, et je ne vois pas du tout que répondre. Je ne parle pas seulement des peines qu’implique cette damnation qui suit la vie, à laquelle ils sont nécessairement entraînés, s’ils quittent leurs corps sans avoir reçu le sacrement de la grâce chrétienne, mais celles-là mêmes dont ils souffrent dans cette vie; le spectacle nous en afflige. Si je voulais les énumérer, le temps me manquerait avant les exemples. Ils languissent dans les maladies, sont tourmentés par les douleurs, souffrent de la faim et de la soif, leurs membres sont affaiblis, les sens leur manquent, ils sont maltraités par les esprits immondes. Il faut certainement démontrer comment ils souffrent tout cela avec justice, sans aucune faute personnelle de leur part. Car on ne peut pas dire que cela se passe à l’insu de Dieu, ni qu’il ne peut résister à ceux qui agissent, ni qu’il fait ou laisse faire tout cela injustement. Est-ce que —comme nous disons correctement que les animaux privés de raison sont livrés à l’usage des êtres plus excellents, même vicieux— (ainsi que de toute évidence nous voyons dans l’Évangile que les porcs ont été concédés aux démons pour en faire l’usage qu’ils avaient désiré), nous pourrions dire correctement la même chose aussi à propos de l’homme? C’est un animal, mais raisonnable, bien que mortel. Il y a une âme raisonnable dans ces membres, qui par ces afflictions si douloureuses semble subir un châtiment. Dieu est bon; Dieu est juste; Dieu est tout-puissant; qui en doute est un fou total. Qu’à des maux si douloureux que subissent les tout-petits on assigne une cause juste! C’est un fait que, quand ce sont de grandes personnes qui endurent ces souffrances, nous avons coutume de dire ou bien, comme dans le cas de Job, que sa vertu est mise à l’épreuve, ou, comme dans le cas d’Hérode, ses péchés sont punis; à partir de ces exemples, que Dieu a voulu être clairs, d’autres exemples qui demeurent obscurs sont abandonnés aux conjectures humaines; mais il s’agit des grandes personnes. Pour les tout-petits, explique-moi ce qu’il faut répondre, puisqu’en eux aucun péché n’est à punir, et par tant de peines, car certainement à cet âge-là nul problème de justice ne peut se poser.» (Saint Jérôme, Correspondance, tome VIII, lettre CXXXI, Les Belles Lettres, p.21-22.) Jérôme ne répondit pas (et pour cause!) et Augustin fut bien obligé de trouver une réponse tout seul: le péché originel. Vous lui objectez que «sa volonté de trouver une solution rationnelle à une question qu'on peut seulement aborder sous de multiples facettes sans jamais la résoudre totalement, l'amène à cette simplification qui fait du mal soit un péché soit la peine que l'on encourt comme punition divine. Il ne peut qu'ignorer la question de la souffrance injuste et il fait de l'homme un pécheur, coupable, sans se préoccuper de l'autre face de l'homme, victime de l'agression du mal, et sauvé par Jésus» (dans votre article «Baptême de Jésus - “Délivrez-nous du mal”», 12/01/2018).<br /> <br /> J’avoue ne pas comprendre ce que peut signifier le verbe «sauver» au sens religieux si ce n’est du péché. Un médecin peut sauver un malade, certes, mais il «sauve» le malade dans un autre sens, en tant que malade et rien d’autre. Vous ne niez pas le mal moral, et Jésus est venu nous sauver de ce mal-là, c’est-à-dire du péché. Vous citez vous-même Paul qui, comme Augustin, identifie le mal au péché et qui prêche que le chrétien doit se regarder mort au péché et vivant pour Dieu dans le Christ Jésus car il doit imiter Jésus qui était mort au péché. C’est bien du péché que Jésus est venu nous sauver et cela n’est pas contradictoire avec le fait qu’il guérisse des malades, au contraire: le malade guérit parce que ses péchés sont remis (innombrables exemples dans les Évangiles). L’homme victime de l’agression du mal au sens de souffrance injuste non liée au péché n’est pas sauvé au sens religieux mais guéri, tout simplement, ou soulagé. Augustin (et donc Paul) ne prend pas en cause ce sens-là parce que ce mal-là ne peut exister pour le chrétien qu’est Augustin. Toute souffrance doit être justifiée par sauvegarder la bonté de Dieu. D’où sa recherche torturée d’une raison à ce qu’il considère à juste titre comme le grand problème: certaines souffrances d’enfants. Il prend le problème à bras le corps et lui donne une réponse, atroce (l’enfant est coupable), mais il donne une réponse -à mon avis la seule réponse qu’on puisse donner en tant que chrétien[3]- et ne se satisfait pas comme vous d’échappatoires («question qu'on peut seulement aborder sous de multiples facettes sans jamais la résoudre totalement»[4]) ou d’affirmations péremptoires et cinglantes qui évacuent purement et simplement la question («La souffrance fait partie de nos vies, elle est un mal, Dieu n'y est pour rien. La souffrance ne touche pas la Foi», dans votre article «Baptême de Jésus - “Libérez-nous du mal”», 12/01/2018).<br /> <br /> C’est profondément honnête de votre part de reconnaître que vous ne possédez pas la réponse, mais c’est malheureusement la réponse standard du chrétien disons «ouvert» («À vue humaine, et c’est la seule nôtre propre, il n’y a pas de réponse [à la souffrance]. Faute de donner le mot de l’énigme, Jésus avec nous en partage le pourquoi» [René Gaillard, dans Golias, n°47, p.63]) et c’est sans s’en rendre compte un moyen commode de se conforter dans sa foi en impliquant que la solution existe dans son cadre mais sans qu’on la connaisse encore. Moi, cette question fondamentale m’empêchera à jamais de croire en Dieu. En fait, je ne pense même pas qu’il s’agisse d’une question, qu’il faudrait donc résoudre. «Dire “le mal est” est une chose, dire “le mal ne devrait pas être” est autre chose. Pour que le mal ait dû ou doive ne pas être, il faut qu’il ait pu ou puisse ne pas être: dire que le mal devrait ne pas être n’a de sens que par la contingence du mal (le mal a été permis, voulu, rendu possible, etc.). Or, la réalité du mal une fois constatée, je ne suis pas forcé de le tenir pour contingent, je puis le considérer comme —en vertu de la concaténation des causes par exemple— ne pouvant pas ne pas se produire (comme nécessaire), auquel cas il n’y a aucun sens à dire qu’il “devrait ne pas être”. Il est, il est le mal et il est inéluctablement. Un enfant est écrasé par l’éboulement d’une falaise. C’est un mal, mais à moins d’admettre que l’événement a été rendu possible, voulu, permis, etc. (contingence), dire qu’il “devrait ne pas être” est parfaitement vide et vain. Dans l’argumentation que l’on dirige contre l’hypothèse théiste, on doit dire: “le mal est et DEVAIT NE PAS ÊTRE”, mais on ne prend pas nécessairement à son compte la deuxième proposition —il suffit qu’elle vaille AD HOMINEM.» (Marcel Conche, «La souffrance des enfants comme mal absolu», in Orientation philosophique, 1974, p.48-49.)<br /> <br /> Armand Vulliet<br /> <br /> [1] «Although […] God could not have known what Adam and Eve […] would do if he created them, he could surely know what they MIGHT do […] If so, he was taking, literally, a hell of a risk when he created Adam and Eve […]. Was the freedom to make unforeseeable choices so great a good that it outweighed this risk? The question must be answered not only with reference to the degree of human wickedness that has actually occured: men might (strange as it may seem) have been worse than they are, and God (on this account) was accepting this risk too. He would not then be the author of sin in the sense of having knowingly produced it; he coud not be accused of malice aforethought; but he would be open to a charge of gross negligence and recklessness.»<br /> [2] Et il se fend d’un miracle en rendant la vue à l’aveugle. À ce propos, Marc se termine par ces ultimes mots de Jésus ressuscité: «Et voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru: en mon nom, ils chasseront les démons, ils parleront des langues nouvelles, ils prendront dans leurs mains des serpents, et s’ils boivent quelque poison mortel, cela ne leur fera aucun mal; ils imposeront les mains à des malades, et ceux-ci seront guéris.» (Mc 16,17-18.) Dans les Actes des Apôtres, ces signes accompagnent les apôtres (ils font même des résurrections). Aujourd’hui, des chrétiens qui se font volontairement piquer par des serpents sont considérés comme des illuminés et j’ai vu une affiche de la fondation Raoul Follereau qui disait en gros: «Aujourd’hui, la lèpre se guérit. Il suffit de médicaments.» Il doit rester bien peu de disciples de Jésus sur la terre.<br /> [3] «vous ne voulez pas admettre que ces maux ont été introduits dans le genre humain par l’homme dans lequel nous étions tous. Vous ne pouvez pourtant pas nier que, sous le gouvernement d’un Dieu souverainement puissant et souverainement juste, les enfants ne souffrent beaucoup, car c’est là un fait qui vous ferme la bouche et qui vous crève les yeux. Ne remarquez-vous pas que vous rendez Dieu injuste, alors que, voyant les peines auxquelles les enfants sont si manifestement soumis, vous les déclarez cependant innocents?… En présence des souffrances si nombreuses et si grandes des enfants, il est impossible de dire que Dieu est juste quand on nie le péché originel.» (Opus imperfectum 5, 64, cité dans Joseph Turmel, Histoire des dogmes 1, 1931, p.135.) Le Catéchisme de l’Église catholique (1992, p.88, &389) a parfaitement résumé la question: «La doctrine du péché originel est pour ainsi dire le “revers” de la Bonne Nouvelle que Jésus est le Sauveur de tous les hommes, que tous ont besoin du salut et que le salut est offert à tous grâce au Christ. L’Église QUI A LE SENS DU CHRIST [c’est moi qui souligne] sait bien qu’on ne peut pas toucher à la révélation du péché originel sans porter atteinte au mystère du Christ.»<br /> [4] Ce qui implique qu’on peut la résoudre dans le cadre de la foi. Simplement, on ne connaît pas encore cette solution.
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V
Le Mal « est la conséquence de l’existence du Monde. S’il y a Monde, du même coup il y a négation du Monde, là on trouve le Mal. […] Par le fait de créer le Monde, Dieu a introduit une contradiction, la négation de cette création. Là se situe le Mal. »<br /> Je trouve ce raisonnement tout à fait obscur. Qu’une réalité intramondaine ait sa négation (son contraire ?) par définition, peut-être (et encore : qu’est-ce que la négation d’un serpent ?). Et comment passer d’une notion matérielle, le Monde, à une notion morale, le Mal ? La notion de contre-nature m’a toujours paru incompréhensible, et je suppose que ce que vous appelez le Monde c’est ce qu’on appelle aussi la Nature, dont la définition me semble simple : tout ce qui existe. Comment pourrait-il exister quelque chose de contre-nature ?<br /> Dans ANARCHIE ET CHRISTIANISME, Jacques Ellul ne donne pas le Mal comme conséquence de la création en tant que telle, mais comme conséquence de la rupture de l’homme avec Dieu : « Mais dira-t-on, et les accidents naturels ? les cataclysmes ? […] quand l’homme va rompre avec Dieu, c’est toute la création qui est entraînée avec lui. Il ne reste rien d’intact parce que la partie principale de cette création a décidé de prendre son autonomie et de faire à sa volonté. » (La Table ronde, 1998, p. 66). Il continue, de manière désarmante : « D’ailleurs, dernière remarque, ce que nous appelons des cataclysmes ne sont tels que POUR L’HOMME ET PAR RAPPORT À LUI [c’est lui qui souligne]. Une avalanche, un tremblement de terre, une inondation, n’ont aucun aspect maléfique par eux-mêmes, et ne causent pas de dommages particuliers à la nature ! […] Ils ne deviennent terribles que dans la mesure où l’homme est là, et subit les conséquences de ces changements naturels, qu’il va nommer cataclysmes par rapport à lui. » Je lui répondis : « Ben oui ! c’est bien là le problème ! S’il n’y avait pas d’hommes, il n’y aurait plus de problème, C'EST SÛR ! » Ellul poursuit, de façon encore plus consternante : « Mais, effectivement, nous avons dit que Dieu n’intervient pas sans cesse : il ne va pas empêcher le jeu des lois naturelles parce que l’homme est là, cet homme qui a rompu avec lui ! » Il parle quand même des miracles. Vous, même pas. Vous écrivez : Dieu « ne peut contredire sa création en intervenant comme un magicien ». Ce n’est pas « un magicien qui pourrait avec sa baguette nous éviter le mal et la souffrance. » Comme Hans Küng : « Dieu n’a pas besoin de faire du grand spectacle avec des “miracles” […] Dieu n’est vraiment pas un super-magicien qui devrait mettre en scène des apparitions publiques pour s’affirmer ou se faire reconnaître (DIEU EXISTE-T-IL ?, 1981, p. 754). À croire que les Évangiles ont été écrits par des athées ! Ou ressusciter les morts et marcher sur l’eau font-ils partie des phénomènes naturels ? (Ellul évacue le problème en trois coups de cuiller à pot : les miracles qui ne lui plaisent pas, il n’y croit pas.)<br /> Comme Hans Jonas aussi, dans LE PROBLÈME DE DIEU APRÈS AUSCHWITZ, vous affirmez qu’« Il faut […] renoncer définitivement au « Dieu Tout-Puissant” ». Dans LES NOUVEAUX POSSÉDÉS, Ellul écrivait : « La théologie de la mort de Dieu ne veut pas voir le caractère irréductiblement différent de la Révélation biblique sur Dieu (mais DIEU QUI EXISTE EN TANT QUE TOUT-PUISSANT [c’est moi qui souligne] créateur, etc…, et pas uniquement comme homme humilié, crucifié etc.) et tout ce que les autres religions ont pu dire sur Dieu. Or, c’est cet irréductible qui rend le témoignage sur ce Dieu difficile… Mais précisément, le courant théologique moderne évacue l’irréductible » (Fayard, 1973, p. 266). De même qu’Ellul se débarrasse des miracles qui ne l’arrangent pas en n’y croyant pas, certains croyants se débarrassent de la notion de toute-puissance divine en la jetant allègrement par-dessus bord. Jean Rostand écrivait : « On épure Dieu, on le simplifie, on le dépouille, on accepte son silence et son oisiveté. On consent que tout se passe ici-bas comme s’il n’était pas. On lui demande simplement de garder son nom. »
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