Toussaint : Le souvenir n'est pas la nostalgie

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La Toussaint est suivie de la fête des défunts. A y regarder d'un peu près, nous constatons que ces deux fêtes sont très différentes : l'Église éternelle d'un côté, le souvenir de la vie de nos ancêtres de l'autre. Pourtant elles sont étroitement liées.

 

Le premier jour, la Toussaint est la fête du Royaume, ou de l'Église, c'est tout comme. L'Église est faite de l'ensemble des hommes et des femmes qui se tiennent devant le Père, par sa grâce et le don de l'Esprit. Mais pour ce qui est des vivants cette tenue devant le Père n'est jamais claire ni achevée, elle est dans la foi, soutenue par l'espérance, elle se construit en suivant le Christ – ce qui n'est pas une sinécure ! – et n'est obtenue que par grâce. Tous les humains qui maintenant voient le Père composent cette Église invisible hors de laquelle il n'y a pas de salut. Les vivants composent  l'Église visible, bien imparfaite, sans cesse à réformer. Tous nos actes, sur terre, prennent sens par la transformation radicale qu'ils subissent pour entrer dans l'éternité. Actes temporels, dans l'Histoire, qui construisent le Royaume qui s'établit définitivement hors du temps, ce que nous appelons l'éternité. La fête de la Toussaint, fête du Royaume, est alors aussi celle de notre foi et de notre espérance, célébrant cette Église invisible vers laquelle nous tendons. Ce Royaume se construit dès maintenant, il est parmi nous, c'est chaque jour que nous vivons de la mort et de la résurrection du Christ, c'est chaque jour qu'il transforme notre vie en parcelles d'éternité. Nous n'attendons ni notre mort ni la Parousie, le Royaume est déjà là.

 

Le second jour, nous nous souvenons que tous ces saints ont appartenu à l'Histoire, à notre histoire, ils ont été de notre temps. C'est cette vie terrestre qu'ils ont vécue que nous célébrons. Le Royaume se construit dans le souvenir. Nous faisons à chaque Eucharistie mémoire de la mort et de la résurrection du Christ, la rendant actuelle. Ce n'est pas la nostalgie du temps de Jésus, de suivre ses pas en Palestine, mais l'actualisation du drame par lequel il nous a annoncé le salut, drame qui est hors de la temporalité. C'est une mémoire "bousculante", qui nous transforme chaque jour et transforme le monde.

 

Nous vivons aussi dans le souvenir de tous ceux qui nous ont précédé. Là encore, il n'est pas question de nostalgie, mais de rappeler tous les efforts, toutes les luttes et le souffrances des hommes et des femmes pour construire le monde, pour le créer avec le Père. Ce sont ces hommes et ces femmes que le Christ est allé chercher aux enfers pour entrer avec lui en présence du Père. Dans l'instant de sa mort et de son entrée dans l'éternité, tous ces humains ont basculé du côté du salut éternel. C'est à chaque instant que ce miracle se déroule. C'est à tout instant que le Christ prend avec lui les humains pour les présenter à son Père. Nous ne nous souvenons pas seulement des bons chrétiens, ou des grands hommes, ça c'est l'Histoire du monde imparfait qui s'intéresse au temps par son petit côté. Nul humain n'est laissé de côté, aucun ne peut passer par profits et pertes. Ils sont tous appelés à ce salut, ils ont tous œuvré à la création du monde. Nous leur devons notre place actuelle. 

 

Leur souvenir n'est pas nostalgie des temps passés. De par notre solidarité avec eux, il est aiguillon pour avancer aujourd'hui. La Tradition, qui dans l'Église visible est le second pilier de la Révélation, n'est pas le traditionalisme, le retour en arrière, ni la nostalgie. Nous ne refaisons pas ce que faisaient nos pères. La Tradition est la reconnaissance de notre filiation et la prise en compte de nos ancêtres, de ce qu'ils ont été, de ce qu'ils ont fait, pour continuer l’œuvre à laquelle ils ont participé. Ce souvenir, contrairement au traditionalisme ou à la nostalgie, est dérangeant, car il nous oblige à avancer, à transformer le monde et nous d'abord, de fond en comble, pour répondre à l'appel du Père de nous tenir devant lui. Ce souvenir met en cause toutes les certitudes qui voudraient dominer le monde et l'empêcher de se réformer.

 

Et donc si le jour des défunts nous nous souvenons avec nostalgie de nos proches – et c'est justice – nous célébrons en même temps avec eux tous les autres défunts qui, tous quelques qu'ils soient, ont marqué l'Histoire de l'humanité et nous appellent à l'urgence du travail qui reste au-devant de nous. Nous pouvons les prier, c'est-à-dire vivre en communion avec eux qui maintenant sont auprès du Père.

 

Marc Durand

Publié dans Réflexions en chemin

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L
J'aime aussi l'idée de la célébration de "cette Église invisible vers laquelle nous tendons". A laquelle nous appartenons dans la communion des saints qui nous réunit aux frères humains qui après nous vivront et à ceux qui avant nous ont vécu.Cette communion des saints est parmi nous, et c'est également en elle que "chaque jour que nous vivons de la mort et de la résurrection", et que notre vie se transforme "en parcelles d'éternité". Un communion des saints trop souvent citée comme un item du "croire" énoncé sans trop penser à tout ce qu'elle peut tenir comme place dans le projet de la création. Ne serait-elle pas l'expression de la part active, et en quelque sorte mutualisée, que la transcendance a réservé à la créature humaine dans l'achèvement du créé ? Une communion qui "capitaliserait" (pardon pour le recours, faute de mieux, à ce verbe !) les œuvres, les efforts et, également, les souffrances endurées face à la présence du mal .Un mal qu'elle affronterait solidairement tout au long du temps non encore accompli. Ce temps où se construirait pour et par chaque génération, dans ce qui est pour chacune son "dès maintenant", l'avènement de ce que nous figurons comme le Royaume. Par là, la communion des saints, celle que je fête à la Toussaint, témoigne à la fois de la présence du Royaume, en trace le dessin et le dessein, et fait converger les énergies créatrices qui élèvent le créé vers son "point Oméga".
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B
Vraiment un excellent travail, un grand merci
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