En quête de « radicalité »…
Étrange destin que l’utilisation du mot « radical » dans l’histoire politique française. Depuis la troisième République, où il fleurait bon le cassoulet des banquets républicains et les combinaisons politiciennes jusqu’à ces jeunes islamistes « radicalisés » permettant à Ben Laden de proclamer à la face de l’Occident : « il y a autant de jeunes musulmans prêts à mourir que d’américains qui veulent vivre », le mot « radical » a occupé tout le spectre de l’engagement politique. Et, face à cette dérive, la République ouvre, avec plus ou moins de bonheur, des centres de « déradicalisation » !
La panne de sens d’un monde orphelin des grandes utopies mobilisatrices conduit à rechercher de la radicalité. Poser la question de la « radicalité » c’est poser celle des « racines », c’est-à-dire d’une sève nouvelle qui permettrait enfin de sortir du mal-être pour revitaliser nos modes de vie personnels, politiques ou sociétaux. On a voulu nous faire croire que la seule croissance économique dispenserait de nous interroger sur ce qui fait le socle de la vie en société. Nous étions occupés à la production et à la consommation tandis que l’État, baptisé État-Providence nous dispensait d’être acteur de lien social et de l’attention à autrui. On ne peut plus prolonger indéfiniment des courbes de croissance, on ne peut plus rêver d’un accroissement sans fin d’une consommation universelle qui augmente les désastres écologiques, nous ne pouvons plus continuer de demander aux institutions et aux politiques de faire les évolutions et d’avoir les comportements responsables auxquels nous nous refusons.
Ce malaise conduit alors certains à se ruer, au nom de la radicalité, dans les impasses les plus diverses : retour agressif à un identitaire nationaliste ou religieux qui fait les beaux jours des partis nationalistes et des religieux fanatiques, rage destructrice de jeunes de banlieues sans perspectives, guerre contre ceux qui incarneraient le mal.
Toutes ces fausses quêtes de radicalité ont un point commun. Elles oublient que l’évolution de notre monde ne se fera que si chacun d’entre nous devient plus conscient, plus intelligent, plus altruiste. La radicalité n’est pas dans le cri, le discours, la diabolisation de l’autre, la recherche d’un leader charismatique, mais dans le travail spirituel, intellectuel et politique sur nos modes de vie et nos systèmes de pensée et de valeurs.
C’est ce chemin que propose Maurice Bellet dont toute l’œuvre tend à retrouver la radicalité fondatrice du Christianisme. Pour lui, « Les choses tout à fait premières sont donation et pas objet ». Aussi, poursuit-il « Le progrès se fait – selon la loi de toutes les grandes choses humaines – non en ajoutant et en ajoutant encore à l’acquis, mais par une reprise héroïque de la primitive ouverture, pour que cette naissance soit aujourd’hui dans toute sa force »1.
Bernard Ginisty
1 – Maurice Bellet : L’Église morte ou vive, éditions Desclée de Brouwer, 1991, page 50