La laïcité comme un bien commun, pas un rempart
La laïcité revient au cœur des débats, avec une réelle volonté politique d'aller plus loin. Vous devez être heureux...
Il n’est pas neuf que des politiques plaident pour l’inscription de la laïcité dans le texte constitutionnel. La différence aujourd’hui se situe peut-être du côté des personnalités en question, qui sont les ténors de la vie politique… Laurette Onckelinckx, Patrick Dewael, etc. Cependant, pour moi – et je ne suis pas le seul à le dire, la laïcité est déjà dans la Constitution, même si elle n'est pas inscrite comme telle... Tout simplement parce qu'au moment où cette constitution a été rédigée. le terme n'existait pas encore ! Mais notre Constitution est fondamentalement laïque puisqu'elle consacre la séparation stricte de l'Église et de l’État. Ce serait en ce sens inutile d’insérer le mot.
Vous disiez même que la Belgique était d'une certaine façon plus laïque que la France. L'Hexagone ne serait donc pas cet exemple que l'on brandit aujourd'hui ?
Nous ne devrions pas avoir de problème à parler d'une laïcité à la belge sans faire référence en permanence à la France. La distinction que l'on peut opérer entre nos deux laïcités est d'abord historique, le régime de régulation du religieux s'étant construit de façon différente. En France, cette régulation est le produit d'un affrontement très vif entre l'État, en l'occurrence la IIIe République, et l'Église catholique. La laïcité française a toujours été le théâtre d'affrontements. En Belgique, cette laïcité de fait est davantage le fruit d'un consensus entre catholiques et libéraux d'opinion. La séparation Église/État ne s'est pas faite dans le cadre d'affrontements, même s'ils sont survenus plus tard, sur le terrain scolaire. Ensuite, la France est certes considérée comme l'exemple de la laïcité stricte... Mais ça ne l'empêche pas de continuer à financer les cultes, à concéder des émissions télévisuelles aux différentes convictions, à financer l'aumônerie, etc. Nous n'avons pas à chercher du côté de la France un modèle à copier, d'autant plus qu'en Belgique nous ne partageons pas cette sorte de religion civile qu'est l'idéologie républicaine française. Assumons notre spécificité belge. Tout en prenant garde à ne pas tomber dans ce piège qui nous est propre : la laïcité apparaît chez nous comme l’idéologie d’un segment convictionnel particulier, à savoir la laïcité organisée.
Selon vous, l'inscription de la laïcité dans la Constitution n'est pas nécessaire, alors ? Nous pouvons continuer à avancer dans le cadre qui est le nôtre actuellement...
Oui, on peut encore avancer avec le cadre actuel. Je ne dis pas que l'intérêt pour cette question serait une erreur politique. S'il y a un consensus, allons-y. On pourrait marquer encore plus clairement ce caractère laïque, mais à condition que cela ne reste pas juste rhétorique et déclamatoire. Et surtout, qu'on ne prenne pas la laïcité pour ce qu'en font certains aujourd'hui à droite et à l'extrême droite, à savoir une laïcité uniquement défensive, qui aurait pour seul but de brider l'expression convictionnelle de l'islam et du protestantisme évangélique. La laïcité ne doit pas être brandie comme un outil défensif, un rempart civilisationnel contre une supposée menace des fondamentalismes religieux.
Au vu du contexte actuel, n'est-on pas précisément pleinement dans cette vision ?
Nous sommes évidemment dans l'émotionnel et le recours au symbole, comme à chaque fois que se produisent de grands événements tragiques. Mais je pense aussi que, certains moments, nourris par l'émotion, sont importants et qu'ils peuvent constituer des opportunités pour avancer sur des débats aussi fondamentaux que ceux des valeurs et du bien commun. En Belgique, on a enterré la hache de guerre du débat politico-religieux avec le pacte scolaire, Or, nous sommes dans un contexte intéressant, et il n'est pas forcément négatif de lancer ce débat maintenant, à condition qu'il y ait un réel débat de fond. Nous avons l'occasion de faire table rase et de réfléchir à ce que l'on veut proposer comme voûte idéologique commune à tous les citoyens, à l’heure où la cohésion sociale se délite.
D’autant plus que depuis le pacte scolaire la société a énormément évolué. La Belgique, sur le plan symbolique, s'est quand même fortement laïcisée sur des sujets comme l'euthanasie, le mariage gay, le tout de façon sereine et avec beaucoup de maturité. Si on décide de rouvrir ce débat, il faut clairement laïciser la Belgique dans tous les lieux, dans tous es aspects où elle ne l’est pas encore.
Ce qui est loin de concerner uniquement le port du voile...
Si on est capable d'aborder les choses sereinement, il serait bon de s'atteler à réformer de grands secteurs où le droit n'est plus du tout en adéquation avec l'état de la société actuelle : l'école, avec les cours de religion – on a avancé, certes, mais on n'a fait que la moitié du chemin –, le financement des cultes, certains événements archaïques comme le « Te Deum », etc.
La question du port du voile dans la fonction publique est à l’origine, entre autres, de ce débat sur la laïcité. Elle doit en faire partie, selon vous, ou c’est anecdotique ?
Mais est-ce que c’est ça, la laïcité ? Est-ce interdire les signes religieux partout ? Il faut arrêter de se braquer sur des symboles. Si on veut inscrire la laïcité dans la Constitution juste pour lutter contre le port du voile, alors on rate complètement une occasion. Inscrire la laïcité pour prohiber, comme un rempart culturel ou un outil juridique, c’est aller à l’inverse de la laïcité même, qui vise d’abord à mettre tous les citoyens sur le même pied. Nous devons être attentifs à ce que cette « laïcité » n’entraîne pas un rejet brutal des particularismes, ce qui irait à rebours par ailleurs de l’évolution de nos sociétés. Travailler à la laïcité, c’est travailler à l’égalité, une valeur en crise aujourd’hui. Nous devons nous réapproprier la laïcité comme le bien commun de tous.
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