Les 7 laïcités françaises de Jean Bauberot
Le modèle français de laïcité n’existe pas1
Le titre déjà plante le décor. Le propos de Jean Bauberot2 est de montrer que derrière le mot laïcité, qui n’est d’ailleurs jamais défini même si le préambule de notre constitution affirme que la France est une république laïque, se cachent différentes conceptions entre lesquelles les rapports de force évoluent et ce, depuis le début.
Au moment du débat sur la loi de 1905 qui est une loi de séparation des Églises et de l’État et non une loi de laïcité, plusieurs courants se sont affrontés. Ils ont perduré par la suite et d’autres courants sont apparus. C’est ainsi qu’on peut dénombrer « 7 laïcités ».
1 – Les laïcités historiques battues en 1905, fortes aujourd’hui
La laïcité antireligieuse
Ce courant défendu en 1905 par Maurice Allard3 affirme que la laïcité a pour objectif de diminuer au maximum l’influence des religions. Celles–ci sont accusées d’opprimer les consciences, d’être un frein à l’émancipation de l’homme et au progrès. La liberté de conscience n’implique pas la liberté de religion. La laïcité est un combat contre les religions ; l’État ne peut donc pas être neutre et se doit de promouvoir l’athéisme. Ce courant a été battu lors du débat de 1905 mais il existe encore aujourd’hui des partisans d’une telle laïcité où moins on est religieux, plus on est laïque, jusqu’à refuser comme Guy Mollet ou Michel Charasse de rentrer dans une Eglise même pour des obsèques.
Ces courants antireligieux existent aussi bien à droite qu’à gauche. Si au XIXe siècle ils étaient surtout anticatholiques (l’Islam à l’époque était vu comme plus compatible avec la laïcité), ils sont aujourd’hui essentiellement anti Islam. Les tenants de cette laïcité antireligieuse demandent au moins la disparition de toute visibilité des religions (vêtement, participation à des débats…).
Cette laïcité paradoxalement est en fait une « religion civile ». Demander une adhésion à un principe républicain érigé en valeur, relève de ce courant.
La laïcité gallicane
Représentée en 1905 par Emile Combes4, la laïcité gallicane veut augmenter la tutelle de l’État sur les religions, établir la surveillance des congrégations. Le gallicanisme est héritier de la politique des rois donnant à l’Etat le droit d’intervenir dans les affaires religieuses, protégeant la religion d’État (le catholicisme) qui de ce fait va s’autonomiser par rapport à Rome. Napoléon élargira à quatre cultes (catholique, luthérien, réformé, juif) le contrôle de l’État.
Le projet Combes (rejeté) prônait l’interdiction de la soutane signe d’allégeance à une transcendance et de prosélytisme. L’espace public doit être homogène. Au contraire Aristide Briand défendra l’idée que dans l’espace public chacun s’habille comme il le veut, l’espace public est pluraliste.
La laïcité gallicane a connu un renouveau depuis 1989 et « l’affaire du foulard ». Le vêtement redevient un signe de servitude et de prosélytisme et comme il s’agit d’un vêtement féminin, refleurit l’idée que les femmes sont plus facilement soumises à la religion et qu’il faut les émanciper. Pour la laïcité gallicane, seule l’école est facteur de liberté, il faut donc diminuer l’influence de la famille.
La laïcité gallicane se veut « la » laïcité républicaine. Elle met le principe de laïcité au dessus de la liberté de conscience limitée à certains lieux et refusée aux intégristes et fondamentalistes (très vague !!).
2 – Les laïcités victorieuses en 1905, dominées aujourd’hui
Il s’agit au départ de « la » laïcité séparatiste qui accorde la priorité à la séparation des religions et de l’Etat par rapport à l’anticléricalisme qui veut faire disparaître les religions. La loi est proposée par la commissions parlementaire présidée par le radical Fernand Buisson5 et dont le socialiste Aristide Briand6 est le rapporteur. Mais dans la discussion de l’article 4 les deux hommes vont s’affronter et finalement se séparer.
Dans sa rédaction primitive, l’article 4 (tendance Buisson soutenu par Clémenceau) laissait aux adeptes des religions la totale liberté pour fonder des associations afin de gérer les lieux de culte, propriétés publiques. C’était donner de fait à ces futures associations une possible autonomie par rapport à leur hiérarchie, difficilement acceptable pour l’Église catholique où le pouvoir vient du haut vers le bas.
Ne voulant pas risquer l’échec de la loi, dans un souci d’apaisement et pour que l’Église ne puisse pas crier à la persécution, A. Briand soutenu par Jaurès propose : « les associations cultuelles gérant les lieux de culte devront se conformer aux règles générales du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice ». Ceci est contraire pour Fernand Buisson à la séparation puisque l’État reconnaît l’Église comme institution mais il sera battu.
Même si le pape refuse la séparation et malgré la crise des inventaires, le pari d’Aristide Briand sera gagné. La séparation va se réaliser complètement. Le climat s’apaise avec les lois de 1907-1908, un accord avec le Saint Siège (1923-1924) est signé qui va permettre la création d’associations diocésaines (à la place des associations cultuelles) et c’est sans heurt que la laïcité sera inscrite dans la constitution de 1946.
Cet affrontement sur l’article 4 dévoile effectivement deux visions de la laïcité séparatrice. L’une très stricte, individualiste, quelque part héritière de 1791 : « tout homme a le droit d’exercer le culte auquel il est attaché ». Si les individus veulent s’associer, cela ne regarde pas l’État. L’État est neutre, on pourrait dire indiffèrent (3e laïcité : la laïcité séparatiste stricte). L’autre prend en compte la dimension collective de la religion. Les « Églises » qui vont être séparées se constituent librement et l’État a vis-à-vis d’elles une neutralité de respect (4e laïcité ; la laïcité séparatiste inclusive).
Aujourd’hui
Ces deux courants existent toujours et sont bien représentés par la Libre pensée (3e laïcité), et la Ligue de l’Enseignement (4e laïcité).
La Libre pensée est pour la liberté absolue de conscience. Elle critique aussi bien les positions des autorités religieuses que celle de Michel Onfray militant pour un État athée. La Libre Pensée qui milite pour une laïcité de combat est très vigilante sur tout ce qui lui semble empiéter sur la séparation : elle est contre le voile mais aussi contre son interdiction, au nom des franchises universitaires elle refuse l’interdiction des signes religieux à l’université, elle dénonce l’accord entre le ministre de l’intérieur et le Conseil Français du Culte Musulman. La libre pensée s’insurge contre tout financement déguisé (location gratuite des lieux de culte, abattement fiscal pour les dons aux associations cultuelles…). Pour la Libre pensée il y a la sphère publique où doit régner la neutralité et la sphère privée où c’est la liberté de conscience qui doit dominer.
La Ligue de l’enseignement 7, si elle s’oppose à une modification de la loi de 1905 qui renierait ses principes fondamentaux, considère qu’il peut y avoir des aménagements compte tenu de la diversité culturelle. Dans la droite ligne des idées de Briand elle se méfie des discours incantatoires qui ne règlent rien.
Au moment de la loi Savary, qui générait beaucoup de craintes chez les laïques, la Ligue affirme que l’école doit prendre en compte les différences et prône déjà ce qui deviendra l’enseignement du fait religieux. En 1986 elle se lance même dans un dialogue avec toutes les Églises, religions, convictions, ce qui crée des remous y compris en son sein.
Au moment de l’affaire des foulards, la Ligue mène des assises de la laïcité plurielle, terme ambigu qui sera abandonné. La Ligue milite pour que la diversité soit reconnue et encouragée mais refuse le droit à la différence.
2 – Les nouvelles laïcités
La laïcité ouverte
Jean Bauberot donne sa définition de cette laïcité : « type de laïcité généralement adoptée par des groupes et des individus se réclamant d’une religion qui s’oppose aux trois premiers types de laïcité et qui privilégient dans le quatrième les aspects d’ouverture envers les religions ». C’est le courant qui conteste une laïcité trop « laïcarde ». Il hérisse bien sûr tous ceux qui ne conçoivent pas qu’on puisse qualifier la laïcité (comme Henri Pena Ruiz).
C’est à propos de la querelle sur l’école que Paul Ricoeur8 emploie le terme de laïcité ouverte et milite pour une école unifiée laïque, gérée par l’État, les enseignants, les parents, contre les partisans du monopole de l’État. Cela réglerait en plus le problème de l’Alsace-Moselle (voir la 7e laïcité). En 1989, les partisans de la laïcité ouverte répondent au manifeste « profs ne capitulons pas »9 par un article « Pour une laïcité ouverte »10. Ils craignent qu’une laïcité qui veut gommer les différences ne favorise l’exclusion, l’intégrisme… et le Front national. S’ils sont gagnants sur le plan juridique, et politique, ils perdent la bataille médiatique et idéologique.
Quelles sont donc les positions des différentes religions par rapport à la laïcité ouverte :
- Pour l’Église Catholique, la déclaration de l’épiscopat en 1945 approuve la souveraine autonomie de l’Etat, rejette le cléricalisme, se réjouit de la liberté de pratique de la religion. Mais les évêques rejettent une conception matérialiste et athée qui serait imposée à la société et la volonté de l’Etat de ne se soumettre à aucune morale supérieure. Ils voudraient une reconnaissance du rôle positif des religions et mettent en avant la « loi naturelle » comme devant s’imposer à tous. Le rapport Dagens (1996)11 ne dit rien sur la prétention de la loi naturelle à s’imposer à toute la société. Les catholiques sont invités à œuvrer comme les autres dans les institutions publiques.
- Le judaïsme demande une attention particulière à la liberté religieuse qui est placée au dessus de tout. D’où des requêtes sur les examens le samedi ou l’installation de portails électriques dans les immeubles. Le judaïsme demande « une laïcité intelligente » qui reconnaît l’utilité sociale des religions.
- Le conseil national des évangélistes a toujours été favorable à la loi de 1905, ne veut pas d’un qualificatif accolé au mot laïcité. Très attentifs aux manquements à la liberté de conscience, ils conseillent aux associations les procédures judiciaires.
- La fédération protestante de France, elle aussi favorable à la loi dès le départ demande une modification de l’article 19 pour que les associations cultuelles puissent englober les activités caritatives, problème que n’a pas l’Eglise catholique avec les associations diocésaines. Son principal combat actuellement est la lutte contre la séparation société-religion (et non plus simplement Eglises-Etat) qui en cantonnant la religion dans la sphère privée, exclut les croyants contrairement à tout autre militant.
- Le Conseil français du Culte Musulman publie en 2014 la « Convention citoyenne des musulmans de France pour le vivre-ensemble »12. Il déclare l’Islam parfaitement compatible avec les lois de la république et ne demande pas de modifications ou d’aménagement de la loi. La création souvent contestée du CFCM a malgré tout permis la création d’aumôneries musulmanes (armée, prisons, hôpitaux).
La dernière manifestation des tenants de la laïcité ouverte a eu lieu au moment du débat sur le mariage pour tous et leurs revendications sont allées encore plus loin. Refuser une loi sur les mœurs au nom de « sa » morale revient à imposer « son » éthique à tous jusqu’à affirmer que cette loi serait illégitime même votée ! La laïcité ouverte rêve même d’une collaboration entre l’Etat et l’institution religieuse mais la reconnaissance de « l’utilité des religions » n’introduit-elle pas de fait une inégalité entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, jugés moins utiles ?
La laïcité identitaire
Ce courant est celui qui affirme que « la laïcité en France existe sur fond de catholicisme »13. En 1905 déjà, la droite (majoritairement favorable au Concordat) revendiquait les racines chrétiennes de la France. Même si on n’est pas revenu au calendrier révolutionnaire et qu’on gardé les fêtes catholiques comme jours chômés, l’identité politique de la France est affirmée comme sans dimension religieuse.
Cette laïcité identitaire est le fruit du glissement de la laïcité de la gauche vers la droite et même l’extrême droite. Le glissement commence avec la loi Debré (1959) sur le financement des écoles privées qui pourront garder leur caractère propre même si elles sont tenues par les programmes officiels et doivent accepter les élèves quelles que soient leurs croyances. Atteinte à la laïcité proclament les laïques militants qui promettent d’abroger la loi. Mais quand après l’arrivée de la gauche au pouvoir, Alain Savary tente de réconcilier « les deux France », les surenchères des deux camps font échouer le projet. Et la loi Debré ne sera pas abolie par la gauche !
Avec l’histoire du foulard, la droite commence à s’approprier la laïcité qui va surtout être perçue comme « anti Islam » et mise en avant de l’identité française. Cette laïcité de droite va grandir, associée au rejet de l’Islam et des immigrés. La laïcité de gauche restant tout autant opposée à l’Église catholique qu’à l’islam et acceptant les immigrés.
Quand Nicolas Sarkozy parle de « laïcité positive », c’est évidemment une laïcité identitaire. La neutralité est mise à mal dans ses discours14, le catholicisme limité à l’invocation d’une transcendance est marqueur de l’identité française. Le passé est magnifié (pas d’expulsion de juifs au Moyen-Age, pas de croisades, pas de guerres de religion, pas de révocation de l’Édit de Nantes…). En face l’Islam est considéré comme extérieur à notre culture.
La laïcité identitaire se rapproche de la laïcité gallicane puisque l’Etat peut limiter la liberté de conscience, mais n’en garde que sa composante restrictive. À partir de 2012, c’est le FN qui s’approprie la laïcité identitaire et dénonce, au nom de cette laïcité, les dangers liés à l’immigration et à la présence d’une forte communauté musulmane.
La laïcité identitaire veut obliger les individus à une neutralité absolue alors que la neutralité de l’Etat peut être transgressée. La laïcité ayant pour objet de préserver une culture et une identité modelées par le christianisme, l’égalité des citoyens est mise à mal, la liberté de conscience et la séparation des Eglise et de l’Etat limitées.
La laïcité concordataire
L’Alsace-Moselle : Dans les trois départements d’Alsace-Moselle, le Concordat de 1801-1802 n’a jamais été aboli. D’où l’existence d’un droit local et la non application de la loi de 1905. Ceci est pour le moins surprenant dans une république qui s’affirme indivisible et laïque. Mais différents arrêtés du conseil constitutionnel ont validé cette exception.
S’il est vrai que la loi de 1905 a été votée alors que ces départements étaient allemands, on aurait pu penser qu’après une période transitoire suivant 1918, l’exception serait levée. Mais comme en 1871 où le clergé, seule « ossature sociale » encore en place après le départ des cadres français, avait obtenu de Bismarck le maintien du Concordat, en 1918 après le départ des cadres allemands « importés » depuis 1870, la tentative de supprimer le particularisme échoue.
Seuls les nazis de 1940 à 1944 ont imposé la séparation des Églises et de l’État. Mais en 1944 de Gaulle rétablit « provisoirement » la législation de 1940, donc le régime concordataire. Mais jusqu’à aujourd’hui toutes les négociations avec le Saint Siège sur ce sujet ont échoué.
Le statut particulier est très favorable aux Églises (même celles qui ne sont pas reconnues, Islam, protestantisme évangélique, judaïsme non orthodoxe). Elles se voient accorder par les municipalités des aides financières pour leurs œuvres et la construction de lieux de culte. A l’école qui est devenue interconfessionnelle, les cours de religion sont toujours inscrits à l’emploi du temps mais n’ont plus de caractère obligatoire.
Les habitants d’Alsace-Moselle sont très attachés à leur particularisme et avancent le fait que leur régime est celui d’une partie de l’Europe. Ceci n’est pas tout à fait exact car en Allemagne par exemple, les ministres des cultes sont payés par un impôt volontaire acquitté par les croyants alors que la rémunération des ministres des cultes en Alsace Moselle est prise sur l’impôt de tous ! Cette laïcité concordataire a des adeptes même hors de l’Alsace Moselle chez ceux qui voudraient bien une reconnaissance officielle des religions qui renforcent les valeurs morales communes, ce serait la fin de la loi de 1905.
L’outre-mer : La constitution stipule (article 74) : « les collectivités d’outre-mer… ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune au sein de la République ». Dans la loi de 1905, l’article 43 prévoyait des conditions spécifiques d’application en Algérie et dans les colonies. Aujourd’hui les statuts sont donc différents suivant les lieux.
En Guadeloupe, Martinique et à la Réunion (départements) la loi de 1905 s’applique ainsi qu’à Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Elle ne s’applique pas dans les départements de Mayotte et de Guyane ainsi qu’en Nouvelle Calédonie, Polynésie Française, Wallis et Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon et les terres australes et antarctiques. Les mêmes problèmes de liberté de conscience, de neutralité, d’égalité des citoyens s’y posent comme en Alsace-Moselle.
Conclusion
Dans les deux derniers chapitres de son livre, Jean Bauberot, pour expliquer le glissement de la laïcité dominante de la gauche à la droite, dresse un panorama de l’évolution socio-historique de la laïcité.
Le processus de laïcisation commence quand l’État ne s’occupe plus du salut des citoyens et n’impose plus de doctrine religieuse. Ce qui s’articule autour de trois institutions à forte teneur symbolique, l’école, la médecine, la religion, le type de normes et le pluralisme religieux politiquement légitimés permet de suivre cette évolution.
Avec la loi de 1905, précédée par les lois sur l’école, la liberté de la presse, la liberté syndicale, la liberté d’association, l’école et la médecine deviennent des institutions à part entière, la religion n’est plus « un service public », la liberté de conscience est garantie. La morale laïque est une éducation à la liberté, avec l’enseignement des droits ET des devoirs.
La structuration de cette évolution est en grande partie due à la croyance au progrès qui marque tout le XIXe siècle. Le progrès scientifique induit le progrès technique que l’action publique peut transformer en progrès social. Ce progrès ne peut être que moral et il est porté par l’Europe. On légitimera ainsi quelques « dégâts collatéraux », comme le colonialisme ou l’impérialisme.
À partir des années 30 commence le déclin de la croyance au progrès. Les tueries de la grande guerre puis Auschwitz, Hiroshima, Tchernobyl et Fukushima, sont autant d’événements qui questionnent la science sur ses applications. La religion faisait espérer un autre monde, le progrès laissait entrevoir un monde toujours meilleur et maintenant c’est la disparition du monde qui doit être envisagée. Dans ce contexte certains reconstruisent un passé fondateur « merveilleux », les racines chrétiennes de la laïcité identitaire ou les Lumières pour la laïcité religion civile. La confiance hier presque aveugle dans la médecine et l’école a cédé la place à une méfiance parfois systématique allant de pair avec la revendication de nouveaux droits.
À partir de 1974, la crise, la désindustrialisation, le chômage, la présence durable de familles musulmanes, le délitement de la culture ouvrière, l’échec de la gauche pour changer la vie, vont affecter la laïcité. La chute du Mur de Berlin fait que le système capitaliste s’impose comme seul mode de gouvernement mais le monde restant binaire, c’est l’Islam qui devient l’ennemi.
Les débats autour de la laïcité ont souvent porté sur l’ajout ou non d’un adjectif. Mais la disparition des adjectifs proposés ne doit pas masquer que l’usage social et politique du mot laïcité a évolué. Il est très souvent demandé un durcissement de la neutralité religieuse pour combattre le communautarisme. Mais les moyens proposés pour donner à chacun le droit de se séparer de sa communauté sont parfois contre-productifs car on interdit indistinctement des comportements libres et contraints, on se focalise sur l’apparence. De ce fait les communautés se sentent stigmatisées et on les soude encore plus. Il faudrait au contraire favoriser les appartenances multiples et lutter contre les discriminations. S’ajoute à cela le ressenti victimaire, présent dans chaque communauté, augmenté par la multiplication des réseaux sociaux et des sites communautaires où n’importe quel incident est répété en boucle. On ne connaît alors que ce qui affecte sa propre communauté.
« La laïcité ne pourrait-elle pas inclure l’idée (politique) d’une gymnastique intellectuelle articulant l’attachement à ses convictions propres et la capacité de prendre une certaine distance avec elles pour considérer l’autre avec empathie ? »15
Joëlle Palesi
Notes
1 – Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme (mars 2015)
2 – Historien et sociologue. Titulaire de la chaire Histoire et sociologie de la laïcité à l’École pratique des hautes études. Il a créé le groupe Sociétés-Religions-Laïcités (CNRS-EPHE)
3 – Maurice Allard (1860-1942) avocat, journaliste à l’Humanité, député du Var. Partisan de la plus stricte application de la loi de séparation, instauration de jours fériés laïcs, confiscation des lieux ce culte.
4 – Émile Combes (1835-1921) fait des études au petit puis au grand séminaire d’Albi où il portera même la soutane. Mais sa vocation ayant été jugée peu sérieuse il passe un doctorat de lettres avec une thèse sur St Thomas d’Aquin. Il entreprendra plus tard des études de médecine. Il entre à ce moment là dans une loge maçonnique. Sénateur radical de Charente-Maritime, il devient ministre de l’Instruction publique puis Président du Conseil. Artisan de la loi de séparation il démissionne avant le vote.
5 – Fernand Buisson (1841-1932) philosophe, homme politique, cofondateur de la Ligue des Droits de l’Homme, président (1902-1906) de la Ligue de l’Enseignement, prix Nobel de la Paix en 1927.
6 – Aristide Briand (1862-1932) fait des études de droit avant de s’engager en politique. 11fois président du conseil, 26 fois ministre, il reçoit en le Prix Nobel de la Paix en 1926 pour son action en faveur de la réconciliation franco-allemande.
7 – Fondée en 1866 par Jean Macé c’est un mouvement d’éducation populaire et laïque regroupant 30.000 associations.
8 – Paul Ricœur (1913-2005) est un philosophe français. Il développa la phénoménologie et l'herméneutique, en dialogue constant avec les sciences humaines et sociales. Il s'intéressa aussi à l'existentialisme chrétien et à la théologie protestante.
9 – www.laïcité.fr/voile-profs-ne-capitulons-pas/
10 – Article paru dans Politis et signé par Joëlle Brunerie-Kauffmann, Harlem Désir, René Dumont, Gilles Perrault et Alain Touraine.
11 – https://iperlyon.wordpresse.com pour télécharger le rapport.
12http://www.lecfcm.fr/wp-content/uploads/2014/06/cfcm_texte_convention__version_finalisee2.pdf
13 – Arrêté du conseil d’État (2004:393).
14 – Discours du Latran où il prône une laïcité qui reconnaîtrait que les religions sont un atout et affirme la supériorité de la morale chrétienne sur la morale laïque.
15 – Les 7 laïcités françaises p. 160.