Le chrétien face à la guerre
Malgré les versets de l’Évangile qui appellent les chrétiens à la non-violence radicale
la position de l’Église se partage entre le refus absolu de porter les armes
et l’accompagnement pragmatique d’une violence parfois nécessaire
Face à la guerre, deux réponses sont possibles. La première est prophétique, elle rappelle le commandement de ne pas tuer et son extension non-violente dans l’Évangile lorsque le sermon sur la montagne appelle à tendre la joue droite lorsqu’on nous frappe sur la gauche. C’est l’attitude que Jésus a adoptée face à ses ennemis : il en est mort, et de la pire manière qui soit. Ceux qui défendent jusqu’au bout cette position disent que le rôle des chrétiens n’est pas de gérer le monde mais d’être témoins du Royaume.
La seconde position est pragmatique. Elle prend acte que le mal existe et qu’une société doit l’arrêter. Le droit à la sécurité est aussi un droit de l’homme. L’Évangile appelle à être des citoyens responsables, notamment devant le mal. Les pragmatiques ont réfléchi aux critères d’intervention avec la fameuse théorie de la guerre juste.
Prophétiques et pragmatiques
Les prophétiques s’appuient sur l’autorité de Jésus qui a toujours refusé tout acte de puissance. Il a vaincu le monde par la défaite de la croix qui, par un renversement paradoxal, est aussi la victoire de l’Évangile. Les pragmatiques s’appuient sur les passages du Nouveau Testament disant qu’il faut être soumis aux autorités civiles qui ont pour fonction d’arrêter le mal. La prière pour les autorités qui détiennent la clef de la paix civile appartient à la tradition liturgique de l’Église.
Les pragmatiques reprochent aux prophétiques leur idéalisme en avançant l’exemple de la Dernière Guerre mondiale. N’y a-t-il pas des moments où le pacifisme est une lâcheté et une soumission au règne du mal ? Les prophétiques reprochent aux pragmatiques de sous-estimer l’engrenage de la violence en avançant l’exemple de la Première Guerre mondiale qui ne devait durer que quelques semaines. Il est difficile d’arrêter une logique et le bilan de la Grande Guerre se solde par dix millions de morts sans compter les innombrables blessés.
Le débat entre les prophétiques et les pragmatiques est aussi vieux que le christianisme. Il n’est pas sûr qu’il puisse y avoir une position absolue et intemporelle. La vérité se trouve peut-être dans la tension entre les deux attitudes. Dans son essai Tactique du diable, C.S. Lewis rapporte les lettres de Screwtape à son neveu qui a la mission d’entraîner un jeune gentleman anglais sur la mauvaise pente. Lorsque la guerre est déclarée, le démon expérimenté écrit : « Fais-moi sans faute le récit détaillé des réactions de ton protégé à la nouvelle de la guerre, pour que nous puissions examiner s’il est préférable que tu en fasses un patriote ardent ou un pacifiste acharné ». Cela dit, il ne faut jamais oublier trois points.
Tout le monde est contre la guerre… sauf les marchands de canons qui ont toujours des arguments humanitaires pour la justifier. Il ne faut pas être dupe, ces arguments ne sont que le cache-sexe de leurs intérêts économiques. Les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont coûté des centaines de milliards de dollars. Si, dans leur grande générosité, les pays occidentaux avaient cette somme à offrir aux Afghans et aux Irakiens, n’y avait-il pas une façon plus intelligente de l’utiliser ?
La guerre est toujours sale et injuste. Il n’y a jamais de guerre juste même si on peut envisager qu’il y ait des guerres parfois nécessaires. La guerre, c’est d’abord et avant tout un gigantesque gaspillage d’énergie, de vie, de familles, d’espérance et d’avenir. À partir de sa propre expérience, Hélie de Saint Marc a écrit : « Il n’y a pas de guerre joyeuse ou de guerre triste, de belle guerre ou de sale guerre. La guerre, c’est le sang, la souffrance, les visages brûlés, les yeux agrandis par la fièvre, la pluie, la boue, les excréments, les ordures, les rats qui courent sur les corps, les blessures monstrueuses, les femmes et les enfants transformés en charogne. La guerre humilie, déshonore, dégrade. C’est l’horreur du monde rassemblée dans un paroxysme de sang et de larmes. »
Il est difficile de justifier la guerre au nom de Dieu. Dietrich Bonhoeffer a été un des organisateurs de l’Église confessante en Allemagne. Son étude du sermon sur la montagne l’a enraciné dans la conviction que le chrétien devait être pacifiste. Mais quand il a été convaincu qu’il devait apporter sa collaboration à la préparation d’un attentat contre Hitler, il n’a pas cherché à justifier son attitude, il a reconnu que son comportement était condamnable d’un point de vue évangélique. Il a simplement ajouté : « Je préfère prendre ce risque que de laisser massacrer des gens… et j’espère en la grâce de Dieu. »
Cette réflexion est remarquable dans la mesure où elle ne cherche pas à édulcorer la parole de l’Évangile. Jacques Ellul a théorisé cette attitude en disant que, que si un jour on était contraint à la violence, il fallait continuer à croire à la fécondité de l’affirmation radicale de la non-violence.
Mettre fin à la spirale de la violence
Au Mali et en Centrafrique, la France a envoyé des soldats non pour faire la guerre mais pour arrêter la violence. Le but de ces interventions armées n’est pas de détruire l’adversaire mais de le neutraliser, même si c’est par la contrainte. Dans ce contexte, le militaire n’est pas un violent qui se défoule au combat mais un professionnel entraîné à résister à la spirale de la violence. Pour arriver à cette fin, la formation des soldats devrait autant porter sur les techniques de non-violence que sur le maniement des armes.
Dans ce registre, la guerre est éminemment politique mais elle ne peut se justifier que si elle est au service d’un projet politique juste comme la restauration d’un État de droit. C’est cet objectif qui doit se trouver derrière toute décision selon cette réflexion de Simone Weil : « Une victoire est plus ou moins juste non pas en fonction de la cause qui a fait prendre les armes, mais en fonction de l’ordre qui s’établit une fois les armes déposées. L’écrasement du vaincu est non seulement toujours injuste, mais aussi toujours funeste à tous, vaincus, vainqueurs et spectateurs. »
L’objectif est louable mais il est difficile tant la guerre porte en elle-même une logique de destruction. Nous ne devons jamais oublier l’exemple des Américains en Irak qui sont arrivés comme des libérateurs et qui sont partis en laissant derrière eux un champ de ruines qui a ouvert les vannes de la guerre civile.
Antoine Nouis
Réforme n°3543 - 9 janvier 2014