L’Union Européenne, facteur de paix
L’Europe va économiquement mal. Dans un contexte général de mondialisation et de financiarisation des relations économiques, elle ne résiste pas à la montée des pays émergents et au réveil de l’Afrique. Le taux de chômage des jeunes a atteint des niveaux sans précédent, le chômage de longue durée augmente dans tous les pays, la précarisation du travail et la pauvreté se généralisent partout.
Son modèle socio- libéral est remis en cause, sa zone euro contestée. Les élections au parlement européen de mai 2014 ont montré la poussée des eurosceptiques de tout bord qui voient dans son fonctionnement, et notamment monétaire, la source de leurs difficultés. 58% des électeurs n’ont pas voté. 15% des voix sont allées à des formations anti-européennes. Les mouvements qui défendent des autonomies régionales en Catalogne, en Écosse, en Belgique gagnent du terrain. La Grande-Bretagne menace régulièrement de quitter le navire. L’hégémonie allemande s’impose à tous les autres pays.
Au niveau international, et en l’absence d’une politique étrangère commune, l’Union pèse peu dans les grands conflits qui bouleversent ses pays voisins. Sa voix est inaudible dans le conflit entre la Palestine et Israël, la guerre civile en Ukraine, les lendemains incertains des révolutions arabes, la montée des Islamismes radicaux. La Méditerranée est devenue une source d’inquiétudes. La politique étrangère et de sécurité commune, définie par le traité de Maastricht de 1992, est très insuffisante en l’absence d’une véritable capacité de défense.
Pourtant, dans cette tourmente, l’Union Européenne a reçu en 2012 le prix Nobel de la paix pour son rôle dans la transformation « d’un continent de guerre en continent de paix ». Cette nomination surprenante doit être comprise dans une approche historique qui renvoie aux idéaux des « pères de l’Europe » qui ont engagé la construction européenne : Robert Schuman, Konrad Adenauer, Jean Monnet, Alcide de Gasperi, Paul-Henri Spaak notamment qui ont placé la paix au centre de leur combat.
Il faut faire un salutaire retour en arrière pour comprendre l’apport de l’Union à la paix entre ses membres. Il faut se rappeler l’état de l’Europe en 1952, tout juste sortie de la deuxième guerre mondiale, lors du traité de Paris qui instituait la communauté européenne du charbon et de l’acier pour soustraire aux compétences nationales les bases de l’industrie de l’armement. Il faut se souvenir de la référence à la paix au cœur du traité de Rome en 1957 instituant un marché commun. L’Europe a permis la réconciliation de la France et de l’Allemagne après trois conflits meurtriers. Ce n’est pas rien !
Les élargissements successifs des pays de l’Union ont aussi contribué au retour de la démocratie en Grèce (1981), en Espagne et au Portugal (1986). La chute du mur de Berlin en 1989 fût un évènement considérable avec l’entrée en 2003 de 9 pays autrefois relevant du bloc socialiste : Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie. En 2013 l’adhésion de la Croatie porte à 28 le nombre de pays membres représentant plus de 500 millions d’habitants sur un territoire de 3,9 millions de Km². D’autres pays souhaitent rejoindre l’Union : la Turquie, le Monténégro, l’Albanie, la Macédoine, la Serbie, la Bosnie, le Kosovo élargissant ainsi l’Union vers les Balkans. L’Europe, bien que malade, continue à attirer de nouveaux membres.
Pour tous ces peuples, l’Europe est un espoir.
Entre ces 28 pays, la paix va de soi. La guerre est devenue impensable. Bien sûr, chacun avance à son rythme. Mais tous reconnaissent l’importance du projet politique porté par l’Europe, ses valeurs de liberté, de tolérance et de démocratie, son ordre juridique fondé sur l’équilibre des pouvoirs entre nations et le libre consentement au partage de souveraineté. Ce dépassement de l’État-Nation, concrétisé par la légitimité d’institutions supranationales, protège l’intérêt général Européen, défend le bien commun et construit une communauté de destin. La paix est le premier de ces biens communs. Les européens peuvent en mesurer le prix devant les images épouvantables des peuples en guerre dans le voisinage de son territoire.
Avec le reste du monde, l’ambition pacifiste est la même. Beaucoup plus difficile à exercer, elle affronte des conflits à proximité de ses limites qui ne sont pas des frontières. L’Union fait face au retour des conflits armés, aux guerres civiles, à la montée des intégrismes qui secouent notamment le Moyen-Orient, l’Afrique et la Méditerranée. Elle le fait avec le souci de restaurer des dialogues rompus et des sociétés fracturées.
Mais la route est longue et difficile. L’Europe n’est pas un long fleuve tranquille. La crise a généré partout des replis sur soi, des craintes, des peurs souvent traduites par le refus de l’autre. Elles peuvent s’expliquer par l’incapacité de l’Union à avoir su faire face aux crises de 2007 et 2009, le traitement infligé à la Grèce, à l’Irlande ou au Portugal par les pays plus riches, une Union monétaire de 17 membres de l’Union trop fragile pour être efficace. Le refus d’accepter des migrants africains transforme le détroit de Gibraltar et celui de Messine en cimetière d’illusions perdues.
Pourtant, malgré ses limites évidentes, l’Union reste une œuvre de paix. Quelles que soient ses incertitudes et ses imperfections, elle porte une nouvelle morale universelle, une vision qui dépasse les égoïsmes nationaux, une culture d’échanges, de commerce, de territoires partenaires d’un espace immense qui construit laborieusement son projet.
Lors de la remise du prix Nobel d la paix, le président du comité Nobel Norvégien n’a pas éludé ce débat « Nous ne sommes pas rassemblés ici aujourd’hui avec la conviction que l’Union Européenne est parfaite. Nous sommes rassemblés avec la conviction que l’on doit résoudre nos problèmes ensemble : sauvegarder ce qui a été gagné et améliorer ce qui a été créé est la seule façon de résoudre les problèmes provoqués par la crise financière » Plus lyrique, le président du Conseil Européen soulignait à cette occasion : « En ces temps d’incertitude, cette journée vient rappeler aux citoyens d’Europe et du monde la raison d’être de l’Union : resserrer les liens de fraternité qui unissent les nations européennes, maintenant et à l’avenir. »
Philippe Langevin
Économiste