Richesse de la pauvreté

Publié le par G&S

Yalla ! En avant Emmanuelle ! Il faut toujours recommencer à se battre. Viens, mon frère, viens t’asseoir à mon côté. Cherchons ensemble ce qui peut te rendre ton visage d’homme.

Ça, c’est l’homme : cette opiniâtreté à se traîner, à avancer, malgré tout, malgré les échecs, malgré les rechutes, malgré l’épuisement, étape après étape. Un jour, il atteindra le sommet. Il faut donc bien souligner que tous les paliers suivants de l’échelle ne se gagnent pas par la force conquérante, mais par cet acharnement en dépit de la faiblesse et de l’impuissance. Ce qui est émouvant dans l’homme, ce n’est pas l’homme victorieux, mais celui qui lutte.

Même s’il s’agit d’égaliser le terrain de la rencontre, on ne devient jamais pauvre comme les pauvres. Eux vivent leur situation comme une contrainte ; ils n’ont pas de position de repli si l’expérience  tourne mal.

Chacun doit réaliser son affranchissement personnel selon sa vocation propre. C’est en découvrant EN LUI, en faisant jaillir DE LUI, ses qualités À LUI qu’il atteint sa stature d’homme.

Aucun humain, ici bas, ne sera jamais totalement désapproprié de soi, de la tête aux pieds. Toujours, il se raccroche en quelque manière à ses parcelles de propriété. Toujours, il est tenté de se centrer narcissiquement sur son moi pour se détester, se culpabiliser, s’admirer… Le souci de l’autre, le décentrement sont à regagner sans cesse sur nos pentes naturelles. Un jour, nous entreprenons l’ascension, nous nous hissons sur ce pic pour de courts instants d’éternité. Pauvres Sisyphe, nous redégringolons ! Ce n’est que par éclairs que nous nous tenons au sommet.

Avoir moins pour que d’autres aient plus.

Dans la totale nudité de l’être, uniquement tourné vers Dieu et vers les hommes, il a retrouvé le jaillissement originel de l’humanité. Chaque fois donc qu’un homme entre dans la nudité , sort du vide de l’ego pour aller vers l’autre, il entre dans la suite du Christ dans la ressemblance avec Dieu. Sans s’en douter, il vit dans le même acte l’humanisation et la divinisation. De plus , et c’est capital, c’est la seule manière de le rencontrer lui, le Christ, qu’on soit croyant ou non….. En effet, c’est par un homme que Dieu vint à l’Homme. L’homme est le lieu de la rencontre de Dieu.

Courage Emmanuelle ! Laisse le Christ réaliser en toi ses deux dynamiques d’anéantissement et de libération.

Nous ne sommes pas ici dans le domaine traditionnel des relations humaines, mais dans un domaine mystérieux de transcendance. Le lieu du cœur à cœur avec le Christ pauvre est scellé comme la pierre du tombeau. Ceux qui, par une grâce singulière, trouvent la pierre roulée, entrent dans le tombeau. Le Christ n’y est plus mais l’humanité y est gisante. La rencontre avec la chair crucifiée de l’homme est rencontre du Christ. Ceux qui le vivent, entrent déjà, fût-ce obscurément, dans le mystère de la résurrection.

Ainsi, c’est dans l’acte seulement que s’effectue le passage de l’humain au divin. Selon moi, en, effet, toute oblation de soi dans un acte de fraternité atteint un sommet qui dépasse largement la simple démarche de solidarité. Se pencher vers le pauvre, c’est le toucher, Lui, le Christ, homme-dieu. Ce qui paraît n’ouvrir qu’une dimension humaine contient une dimension divine. C’est, dans ce sens, une déification.

Cette métamorphose du regard quant à la valeur de l’action ne se réalise pas au moyen d’une tentative idéologique cloîtrée sur elle-même, mais grâce à une mouvance relationnelle. Tout être, à l’instant du don à un autre être, dans l’acte même du dépouillement de soi au bénéfice de l’autre, s’apparente au Christ qui se désapproprie pour l’humanité.

Notre bonne petite vie terrestre… Il y a pourtant moyen d’en sortir, car le but ultime de l’incarnation, c’est notre divinisation. Oui, nous sommes comme des dieux, mais dans la mesure où, dans notre liberté retrouvée, nous devenons frères, alliés, solidaires.. Oui, la vie terrestre, l’humble vie quotidienne, recèle des instants de paradis, mais dans l’exacte mesure de la dimension d’amour. C’est ici que se joue pour chacun sa ressemblance avec le Christ.. C’est ici que chacun retrouve l’image et de l’homme et de Dieu. C’est ici que sont réconciliées l’espérance de l’homme et l’œuvre de Dieu. Je suis convaincue que ceux qui n’arrivent pas à croire mais agissent dans la fraternité , Dieu croit en lui.

Dieu le père, dans son exigence de justice, a choisi de se lier d’amour à part égale avec l’homme, l’homme dans sa faiblesse, l’homme opprimé.

Bonhoeffer creuse, il cherche dans la solitude de sa cellule, au milieu de ceux que l’on torture… Enfin, il trouve Dieu : non pas le seigneur des armées, le suprême potentat triomphant, mais le Père qui a choisi Jésus Christ, sauveur du mal. En lui, Dieu a pris toute la condition humaine. En Jésus, il a à la fois son énergie et sa faiblesse. Depuis lors, l’oppression et même la mort portent en elles la possibilité de la résurrection.

Opprimer le pauvre, c’est outrager le créateur (Proverbes 14,41)

Ils mangent mon peuple, voilà le pain qu’ils mangent (Psaume 14,4)

Qui voudra donc entrer dans cette insurrection divine ?

Sœur Emmanuelle
(extraits de son livre Richesse de la pauvreté)

Publié dans DOSSIER PAUVRE(TE)S

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