Éditorial
Garrigues & Sentiers on the Net
Dossier n°
12
Pauvres et pauvreté : ce douzième dossier thématique constitue comme le second volet d’un diptyque que nous avons ouvert avec le dossier n° 9, L’Économique, auquel on invitera le lecteur à se reporter tant il est complémentaire.
Un même sentiment d’indignation, d’urgence aussi, constitue le fil rouge de ces deux dossiers. Chose que traduit parfaitement l’appel lancé par le Groupe Félicité de Lammenais, Nous refusons le silence imposé aux pauvres que nous avons voulu reprendre ici d’emblée parce que nous le faisons pleinement nôtre.
À preuve la façon dont la contribution d’A. Gianfrancesco, Du bon usage des pauvres, lui répond comme en écho. Les deux textes, pourtant rédigés indépendamment, disent chacun à leur façon la dimension proprement politique du silence que notre société impose aux pauvres (mais aussi sur tout ce qui touche à la pauvreté ou pourrait lui porter remède), tout autant que l’impérieuse nécessité de rompre avec ce silence.
« Politique » : le mot fait parfois peur aux chrétiens (et surtout aux catholiques). Mais il n’a
rien pour étonner sur ce blog : comme nous l’avons dit dans un autre de nos dossiers, le n° 5, Citoyen et chrétien face au politique, il a pour nous valeur d’engagement dans la cité. Et c’est bien de cela qu’il sera question dans les
trois volets de ce dossier.
I. L’enracinement d’un engagement au service des pauvres
Cet enracinement est avant tout scripturaire, comme il se doit en matière de foi et de praxis chrétiennes. On le verra par l’article de R. Guyon, Des pauvres d’argent aux Pauvres du Seigneur qui étudie, dans la même veine que ses contributions à la rubrique « D’une Alliance à l’autre », les deux acceptions du mot dans la Bible. Encore faut-il bien faire part aux deux Alliances dans ce message comme le souffle aux chrétiens P. Orset : Qu’a donc fait l’Église de notre Pauvre Père ? Et surtout traduire le message en actes, comme nous le dit D. Nizieux, Dieu fait la part belle aux pauvres… et nous ?
La réponse à cette question est donnée par un article qu’il nous a libéralement été autorisé de reproduire, celui de M. Rondet, De la sainteté désirée à la pauvreté offerte : il dessine l’itinéraire de ce qu’est (ou devrait être) toute vie chrétienne. Mais autant vaut pour la contribution de N. Gadea, Priez pour nous, pauvres pécheurs, qui en fournit une illustration pratique, toute en délicatesse de ton : ses quelques lignes sont de véritables fioretti.
II. Un engagement à l’épreuve de l’histoire
Après l’Écriture, place à quelques « grands témoins » – lâchons le mot : quelques saints, officiels ou non – qui ont tiré d’elle leur inspiration. Car ils peuvent nous inspirer eux-mêmes.
Saint François d’Assise et Dame Pauvreté, d’abord, que Ch. de La Roncière présente dans un article qui ne dissimule rien du « signe de contradiction » qu’a été François et des difficultés que lui même et les siens ont éprouvées jusque (et surtout ?) dans l’Église. Rien d’étonnant à cela : la chose est de tout temps, comme en témoigne pour l’âge classique la contribution de M. Bernos, Ambiguïté des attitudes ecclésiastiques à l'égard de la pauvreté aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Autant vaut en notre époque pour cet autre « signe de contradiction » évoqué par l’article de K. P. Serbin, Dom Hélder Câmara, père de l’Église brésilienne des pauvres : un saint pour les uns, un « rouge » pour d’autres ! Et si, plus près de nous, une figure comme celle de Sœur Emmanuelle est apparue plus consensuelle, n’est-ce pas faute que l’on ait mesuré à quelle « insurrection divine » elle appelait ? En témoignent quelques autres fioretti que nous avons glanées à votre intention dans son livre si bien nommé, Richesse de la Pauvreté.
III. Un engagement ici et maintenant
Dans cette dernière partie du dossier que nous avons voulue, comme d’ordinaire, ancrer dans les réalités de notre région, l’article de Ph. Langevin, Pauvreté et précarité en Provence, pourra surprendre. Car notre Midi – le sait-on assez ? – n’a rien du Paradis qu’imaginent les touristes. Il est aussi une terre de pauvreté. Et, qui plus est, de pauvreté croissante : « C’est toute notre société qui est interpellée sur cet échec collectif », conclut l’auteur.
Pour répondre à cet interpellation, le point d’interrogation qui ponctue l’article de R. Zibechi, Aider les « pauvres » ou apprendre d’eux ? est évidemment rhétorique : quelle leçon nous livrent en effet les déracinés des « villas » (c’est à dire des bidonvilles) des grandes cités d’Argentine que l’auteur a longuement fréquentés ! Mais autant vaut pour les déshérités de notre hexagone, comme le dit la contribution de M. Hosselet-Herbignat, rédactrice en chef de la revue Quart Monde « Quart Monde » : une dynamique. Ou encore pour les femmes, françaises et étrangères, et leurs combats toujours recommencés que peint R. Aillaud, Une femme lutte pour la cause des femmes : témoignage d’une militante. Sans compter ces déshérités auquel on pense moins d’ordinaire et que présente l’article des aumôniers catholiques de la maison d’arrêt de Luynes, Indigence et handicap en prison : le lire convaincra, s’il en était besoin, que notre pays est bien loin de posséder ces « prisons quatre étoiles » que décrit une certaines presse !
Tout cela vaut engagement. Un engagement de tout l’être. Et un engagement qui n’est pas des plus faciles comme le dit le bel article de Cl. Cursol, Chronique d’un engagement ordinaire par lequel nous avons choisi de clore ce dossier.
Clore ? Non pas. Ce texte bouleversant ne peut que susciter échos et commentaires. Comme les autres témoignages réunis dans cette dernière partie du dossier, il est appel à d’autres témoignages. Alors, amis lecteurs, à vos plumes ! Comment pauvres et pauvreté pourraient-ils vous laisser sans réaction ?