À l'écoute de la Parole de Dieu

Publié le par Garrigues et Sentiers

19ème dimanche du temps ordinaire 13/08/2023

1R 19, 9a. 11-13a ; Ps 84 ; Rm 9, 1-5 ; Mt 14, 22-33

 

Rencontrer Dieu en Yahwé ou en Jésus-Christ, mais souffrir de ce que beaucoup de nos frères ne partagent pas notre foi : deux thèmes de ce dimanche.

Tirée du premier Livre des Rois 1 R 19,9 Ss, la première lecture raconte la rencontre de Yahvé avec Élie le prophète, sur la montagne de l’Horeb. C’est un des grands textes de la théologie mystique, relatant la rencontre de Dieu avec un homme. Dans le chapitre précédent Élie, animé par la colère de Dieu a fait massacrer les faux prophètes de Baal et d’Ashera. Mais devant ce massacre, le roi Achab et la reine Jezabel, furieux, le menacent de mort et le forcent à fuir. C’est alors qu’il va rencontrer Dieu. Le contraste entre les deux scènes avec un même héros, le prophète Élie, est révélateur de la rencontre d’un humain avec Dieu, aussi bien du côté de l’homme que du côté de Dieu : Élie n’est plus le prophète tout puissant mais le fugitif épuisé, mourant de faim et Yahvé n’est pas dans un ouragan, ni dans un tremblement de terre, ni dans le feu (1). Mais, après le feu dans « le bruit d’une brise légère (2) » dans laquelle Yahvé réconforte Élie, en le faisant parler et en le renvoyant à sa mission.

 

Dans l'épitre Rm 9, 1-5 Paul révèle à ses correspondants romains la grande tristesse de sa vie, sa douleur incessante : pourquoi ses frères juifs n’ont-ils pas, comme lui, reconnu le Seigneur Jésus-Christ. Telle est sans doute cela l’écharde dans sa chair dont il parle en 2 Cor 12,7. Le Christ Jésus est pour lui la perle rare, pour laquelle le diamantaire de l’Évangile vend tous ses biens. Paul indique là sa profonde solidarité avec ses frères juifs qu'il a gardée, depuis qu’au nom de la synagogue, il persécutait les chrétiens. Malgré sa conversion, il ne nie pas sa solidarité avec ses frères de race pour lesquels il souhaiterait même « être anathème et  séparé de Jésus Christ ». Sa foi n’est pas une simple affaire personnelle entre lui et Dieu. Il éprouve une grande tristesse, parce que ses frères ne partagent pas sa foi.

 

Comment comprendre cet évangile bien particulier où Matthieu 14, 22-33 raconte la marche de Jésus sur la mer, relatée aussi en Mc 6, 45-52 et en Jn 6, 16-21 mais ignorée de Luc. Ce miracle est terriblement déroutant pour nos mentalités modernes, avec ses aspects « fantomatiques » ! De quoi s’agit-il ?

Dans tous les évangélistes qui le relatent, ce miracle est précédé de la multiplication des pains au terme de laquelle, pour une raison non explicitée, Jésus oblige les disciples à monter sans lui dans la barque, pendant qu'il renvoie la foule. Est-ce parce que, comme Jean le précise Jn 6, 15, suite à la multiplication des pains, la foule voulait l'enlever pour le faire roi ? Sans doute, parmi ses disciples, certains partageaient-ils cette espérance, notamment Judas le Zélote, et Juda Iscariote. C’était pour Jésus le contresens total de sa mission, mais probablement espéré par ses disciples, avec des retombées bénéfiques pour eux. « Aussi renvoie-t-il la foule et se retire seul dans la montagne, pour prier » selon Mathieu et Marc. Certains manuscrits au lieu du terme « se retirer » (anachorein), précisent qu'il « fuya » ( pheugein) dans la montagne pour échapper à un danger.

 

Manifestement Jésus a voulu cette rupture, aussi bien avec la foule qu'avec ses disciples pour éviter une perversion de sa mission. Les disciples ont dû mal vivre ce renvoi par Jésus. Laissés à eux-mêmes, ils ne sont pas au bout de leur peine : le vent monte, une mini-tempête éclate, comme souvent dans le lac de Tibériade. Les disciples ont des difficultés mais ils ne sont pas en danger. C’étaient des marins professionnels. Il ne s'agit donc pas d'un récit classique d’intervention pour sauver quelqu’un d’une situation difficile suivant un scénario bien établi dans ce genre de miracle, notamment de guérison : description du patient, intervention de Jésus, réaction du malade et de l’environnement, suivi souvent d'un envoi en mission. Ce qui est spécial ici, c'est que Jésus marche sur la mer à la rencontre les disciples affolés (3) qui poussent des cris croyant voir un fantôme (4) (phantasma). Jésus les rassure : « C'est moi, n'ayez pas peur. » C'est moi (ego eimi)  a un premier sens ordinaire : c'est moi Jésus. Mais la plupart des exégètes lui donnent un sens plénier en référence à tous les « Je suis » du Premier Testament par lesquels Yahvé se révèle, notamment dans l’Exode, à Moïse (Ex 3,6). Il ne s'agit pas ici d'un miracle ordinaire de guérison : Dieu, dans le Premier Testament, est souvent célébré dans les courants de Sagesse, comme Celui qui peut marcher sur la mer comme à pied ferme (Jb 9,8b, Hab 3,15, Is 51,9-10, Si 24,4-6). La mer étant aussi le symbole de la mort, marcher sur la mer est une prérogative divine ; il s’agit d’une « théophanie » où Jésus se manifeste à ses disciples avec des attributs de la puissance divine. L’effroi des disciples manifeste qu’il s’agit bien d’une théophanie ; ils le prennent pour une apparition ou un fantôme (4).

 

Ce récit remonte-t-il au Jésus historique ? L’accent est mis sur la reconnaissance par les apôtres de la divinité de Jésus. Il correspond à la préoccupation centrale de l'Église primitive post pascale : affirmer que Jésus-Christ est Fils de Dieu. Alors que l’axe des actions du Jésus historique est de témoigner que, par son action, ses guérisons et sa parole, Jésus rend le royaume de Dieu tout proche et qu’en Lui se manifeste cette action de Dieu auprès des hommes. C'est ce qui fait penser à J. P. Meier (6) que ce texte ne remonterait pas au Jésus-Christ historique mais serait un témoignage de foi de l'Église primitive envers Jésus-Christ Seigneur, Fils de Dieu.

 

A quelles conversions nous invitent ces trois textes ?

Quelle est, à l’exemple d’ Élie, la qualité de nos rencontres avec Dieu dans nos prières, au plus profond de notre vie et de nos difficultés, loin du tumulte de la vie ordinaire et cependant très en lien avec elle ? Sachons nous réserver ces temps de rencontre avec le Seigneur, indispensables pour accomplir notre mission de croyants dans un monde qui, majoritairement, ne l’est plus.

Paul nous questionne sur notre solidarité avec l’ensemble des hommes et notamment les juifs qui ne partagent malheureusement pas notre foi à Jésus : Quelle attitude prendre : tristesse, indifférence, respect, souci missionnaire ?

Comme les apôtres, sachons reconnaître cette présence de Jésus au cœur même de nos difficultés de la vie quotidienne sans le prendre pour un fantôme, mais pour Jésus Christ ressuscité.

Rencontrer personnellement Dieu dans son Fils Jésus Christ et être présent à nos frères, ce dimanche aborde deux thèmes fondamentaux de la foi chrétienne.

 

Antoine Duprez

 

 

(1) Images classiques de la présence de la divinité dans l’Antiquité.

(2) Littéralement : «  la voix d’un silence subtil.  » 

(3) « furent terrifiés » (etarachthesa)

(4) Le terme phantasma, hapax chez Mt et Mc signifie aussi bien « apparition » que « fantôme. »

(5) Un certain juif, Jésus. Les données de l'histoire, 5 vol., Paris, 2004-2018.

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