Vive la cinéma : Septième art, mais aussi industrie et commerce

Publié le par Garrigues et Sentiers

Parvenus au terme du Festival de Cannes 2023, osons poser aux professionnels du cinéma quelques questions naïves, mais pratiques, de consommateur quotidien, hors caméra et hors tapis rouge.

Nous ne parlerons pas d’ailleurs, ici, des faux ors et paillettes, ils sont faits pour attirer le public et donc, comme toute publicité, ont leurs excès et leurs mensonges ; ni de la vie des vedettes généreuses ou scandaleuses : pour les mêmes raisons. On ne citera pas de titre de film précis, mais le lecteur, s’il est un habitué des salles obscures ou des émissions de cinéma à la télévision, trouvera facilement dans ses souvenirs des exemples de ce que nous mettons en question.

D’où vient et jusqu’à quand durera la mode si généralisée d’une musique assourdissante qui, souvent, couvre les paroles des protagonistes ? Ce peut être, ponctuellement, un effet spécial pour préserver un secret, mais cela devient assez systématique. Généralement des noms d’« ingénieur du son » ou de « directeur artistique » figurent dans les génériques. Quelles sont leurs fonctions ? Les metteurs en scène ou les producteurs ne voient-ils pas le film, et donc ne l’« entendent »-ils pas avant sa commercialisation ? Une bonne musique de film n’est-elle pas celle qui l’accompagne le plus discrètement possible, et non le concurrence ?

Toujours à propos de la musique (?), pourquoi faut-il que, dans de nombreux films « à suspens » ou qualifiés de « thrillers », on se sente obligé de placer, au moment où grandit une angoisse prévisible, si le scénario est bien troussé, un vibrato envahissant, long, tenace, agaçant, sans doute destiné à activer les battements de notre cœur ? Le spectateur est-il présumé insensible ou imbécile au point de ne pas comprendre qu’il doit redoubler d’attention à un instant crucial du récit ?

Quand les producteurs et metteurs en scène se préoccuperont-ils de la qualité d’élocution de certains de leurs acteurs, en particulier parmi les plus novices ? Pourquoi ceux-ci, outre leurs bafouillements inaudibles parce qu’ultra-rapides, s’escriment-ils parfois à garder un lourd accent « quartiers sensibles » ? Excepté, bien entendu, si le rôle l’exige.

Dans quelques films, on garde l’impression que le scénario est une partie accessoire, relativement inutile, comme s’il ne s’agissait que d’improvisations. On ne s’y ennuie pas forcément, les images peuvent être belles, les acteurs talentueux, mais après un temps normal de mise en place de ce qui devrait être une histoire construite, « mise en scène », on se demande de quoi il s’agit et où ça va.

De plus en plus fréquentes dans le scénario, les scènes de sexe. Parfois dès l’entame. Ne soyons pas bégueules, il y a des cas où elles sont « normales », attendues compte tenu du sujet. On ne peut pas exposer les Liaisons dangereuses en collet monté. Mais parfois elles sont totalement inutiles par rapport à l’histoire et, frisant le « X », sollicitent en nous non le « spectateur », mais le « voyeur ». Elles semblent alors être là soit en appât « torride », soit par une exigence politico-commerciale, comme la présence obligée d’acteurs d’ethnies ou de mœurs différentes des héros principaux.

Toujours à propos de scénario, rappelons cette phrase de La Bruyère (1696) : « Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent ». Évidemment, cette remarque s’applique aux sujets que peut traiter le cinéma. De ce fait, il est légitime, sans doute presque nécessaire, de pouvoir écrire des histoires s’inspirant de tel grand « mythe humain » : le désir de pouvoir de Macbeth, la jalousie d’Othello, le goût du lucre du Marchand de Venise, mais n’est pas Shakespeare qui veut. Donc, messieurs (et mesdames) les scénaristes laissez vos imaginations créer à partir d’un thème déjà traité, mais respectez l’esprit des œuvres originales vous servant de prétexte. Que l’on transpose un type de situation dans une autre époque, un autre pays, une autre culture n’est pas gênant en soi, mais si on se réfère expressément à un auteur désigné, qu’on évite — sous prétexte de « moderniser » une œuvre ancienne ou de renoncer au tournage « en costumes » — d’habiller (au sens propre et au sens figuré) un aristocrate en mafieux, même si le fond de son caractère est le même. Utilisez un autre titre, sinon, il y a tromperie.

À propos de titres, pourquoi cette écrasante majorité de titres de film en anglais ? Certes la production anglo-saxonne est quantitativement dominante. Mais est-il interdit de traduire des titres anglais ? On frise le ridicule quand un film français se croit obligé d’angliciser son titre, c’est rare mais ça existe. Et, plus encore, j’en ai repéré un cas cette semaine, quand un film espagnol, dont le titre original est tout naturellement en espagnol, se retrouve en anglais dans la version française.

Pourquoi jamais ou presque – excepté si l’on épluche les remerciements des producteurs ou des metteurs en scène à la fin du générique terminal et s’ils ne défilent pas trop vite – ne pas préciser la région où « ça se passe » ? Les grandes villes aujourd’hui se ressemblent beaucoup… et les campagnes ou les montagnes aussi. les campagnes ou les montagnes aussi. Il est compréhensible, cependant, que, pour des raisons économiques ou d’opportunité politique, un film censé se passer dans un endroit difficile d’accès soit tourné dans un autre dont les paysages rappellent ceux du lieu « originel ». Les westerns spaghetti tournés en Espagne ou en Italie font aussi « vrai » que ceux filmés en Arizona, en Californie ou au Nouveau Mexique. Une exigence de la localisation fictionnelle n’en parait pas moindre pour autant.

Qu’on ne croie pas que le rédacteur de ces lignes est « cinéphobe », au contraire, c’est parce qu’il aime le cinéma qu’il se désole que, dans l’actuelle prolifération de films (et qui, aujourd’hui, ne s’estime capable de s’installer derrière la caméra ?), certains d’entre eux paraissent à ce point bâclés et parfois « inaudibles ».

 

Albert Olivier

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H
Bien d'accord avec l'article d'Albert Olivier, notamment sur les musiques qui couvrent la voix des acteurs et qui empêchent de bien suivre l'histoire. Idem pour des scènes tournées dans l'obscurité, où l'on ne distingue plus rien. Aussi sur les transpositions hasardeuses dans une autre époque ou un autre lieu.<br /> Cela existe aussi dans le théâtre : dans les années 1990, j'ai assisté à une transposition du Cid avec des soldats d'opérette - uniformes sudaméricains style "général Tapioca", le rôle du Cid joué par un noir s'écriant au dernier acte "sus aux africains" - la salle a éclaté de rire, ce qui est rare pour cette pièce, et une Chimène se traînant à moitié nue sur la scène : Corneille a dû se retourner dans sa tombe! Les metteurs en scène devraient d'abord respecter l'œuvre, au lieu de se prendre pour des génies ! <br /> <br /> En complément, je suis effaré et en colère contre la prolifération à la TV de séries policières où l'on est gavés de crimes, d'armes à feu, comme si c'était la vie normale. Le but de ces séries (souvent d'origine des USA) est-il de nous habituer à la violence ? Les jeunes gavés de scènes violentes sont-ils induits à imiter ces héros de pacotille ? Heureusement, chez nous les armes ne sont pas en vente libre... Les scénarios sont souvent manichéens, avec les "bons" d'un côté (la police) et les "méchants" de l'autre. (Il en est de même pour les dessins animés destinés aux enfants). Cela rappelle le "camp des bons" (Bush Jr) contre les "méchants" Irakiens...
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