Le sourire du curé

Publié le par Garrigues et Sentiers

Je voudrais partager avec vous cette anecdote ; c’est l’histoire d’une paroisse dont le curé est âgé. « Un dimanche récent », me dit la correspondante qui m’en a fait part, « pendant la messe, il consacre le pain, puis s’arrête…. Un blanc total ! Immédiatement, sans aucune concertation toute l’assemblée a dit en chœur les paroles de la consécration du vin ! Le prêtre a souri et la célébration a repris son cours ». 

Belle histoire, non !  Ma correspondante conclut en disant : « Pourquoi faut-il toujours rappeler que nous sommes tous prêtres, prophètes et rois ? » 

Ce qui m’attendrit dans cette petite histoire, c’est le sourire du curé. Pourtant, il aurait pu trouver un peu inquiétant et humiliant ce coup de semonce du destin : une phrase qu’il rumine peut-être depuis 40 ou 50 ans, LA phrase qui est au cœur de son ministère de prêtre, voilà qu’il l’oublie ! 

Il pourrait se rebiffer, en vouloir à Dieu de le priver du cœur de son ministère, croire que Dieu le persécute, qu’il est un maître cruel, comme le soutient le serviteur de la parabole des talents qui n’a pas fait fructifier le capital de son maître. Eh bien non, cet homme ne maudit pas Dieu, il n’y pense peut-être même pas. 

Par-contre, il voit que son Dieu l’entraîne ailleurs. Cela me rappelle la parole de Galilée tentant d’entraîner ailleurs ses accusateurs au sujet du mouvement de la terre : « Et pourtant, elle tourne », leur disait-il. « Eh oui, je cale !», semble dire notre curé. Il y a des moments où l’évidence devient notre maître. Et s’y soumettre n’est pas déchoir, mais rejoindre le Seigneur là où il se trouve : dans l’acceptation du réel, parfois rude et exigeant. 

Est-ce pour cela que les Juifs du temps de Jésus pensaient que l’aphasie était le signe d’une vision ? L’évangéliste Luc le rappelle lorsqu’il raconte comment Zacharie, le père de Jean-le-Baptiste a perdu la parole. Que voit notre curé ? C’est son secret. Mais de manière très délicate, il nous en partage le fruit : il sourit. 

Oui, ce sourire, c’est vraiment ce que je préfère dans cette petite histoire. Monsieur le curé sourit aux gens qui sont là et qui, subitement plongés dans un silence inattendu, forcent le silence pour entonner les paroles de la consécration du vin. 

Il sourit parce que Dieu lui a donné des paroissiens qui peuvent faire le job à sa place. « Ouf, je ne suis pas indispensable, ils sont là ! » La Bonne Nouvelle, elle est dans ce souffle des paroissiens qui passe les gorges et ose des mots. Courageux ces gens… En tous cas, directs, simples, autonomes, conscients de leur utilité. En somme, prêts. Déjà prophètes, désormais prêtres, demain rois ? Ah, si plus de curés et de paroissiens leur ressemblaient, la « transition » de l’Église vers son avenir ne serait-elle pas plus évidente ? 

Merci, Monsieur le Curé ; merci, vous les paroissiens qui prenez le relais. Vous nous rappelez, tout simplement, ce qu’est l’espérance chrétienne : d’un côté, s’en remettre avec confiance à l’avenir, de l’autre, être toujours « en tenue de service ». Cette histoire nous oblige. Au seuil de l’été, nous aurons souvent l’occasion de constater les dégâts causés à notre planète. C’est le moment d’associer à nos efforts, à notre travail pour la planète, pour ceux et celles qui l’habiteront demain, cette confiance en l’avenir. Demain existe, même si je ne l’habite plus de la même manière qu’hier. Et notre prochain habite l’avenir.

 

Anne Soupa

 

Ndlr : le titre originel de cet article, « Une anecdote », a été modifié.

Publié dans Fioretti

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L'à propos qui se saisit de cette anecdote, le sourire qui prend place dans celle-ci et qu'on partage, l'attendrissement qui ramène à l'espérance, sont ici plus efficients que les subversions raisonnées que nous ne cessons pas d'essayer de faire valoir. Un grand et profond merci à Anne Soupa.
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