17 octobre : Journée mondiale du refus de la misère
Encore une journée mondiale ! Cette journée, initiée par ATD Quart-Monde en 1987, aurait pu se limiter aux « bons chrétiens français ». Mais le développement de la pauvreté dans le monde est tel qu’en 1992 les Nations Unies l’ont reprise à leur compte et cette journée se déroule donc partout sur la Terre à l’appel de l’ONU. Le thème de cette année est le partage de la Terre : « vers la justice sociale et environnementale ».
La Terre est notre habitat commun, hommes, animaux, tout le vivant. L’homme et tous les êtres de l’Univers sont liés par des liens invisibles, ils composent une famille universelle. L’humanité qui a pour but de vivre pleinement, puise son épanouissement et son bonheur de cet habitat. Elle ne doit pas en priver le reste du vivant. Elle est de passage, quelques millions d’années sur une quinzaine de milliards. Elle est locataire, avec droit d’usage, pas propriétaire. Quant aux hommes d’aujourd’hui, ils sont aussi de passage, quelques dizaines d’années. Ils ne possèdent pas la terre et doivent la léguer en bon état à leurs successeurs.
Ce droit d’usage de la Terre est un cadeau, donné à la naissance. L’usage est universel, non privatisé. L’homme n’est pas le seigneur de l’Univers mais un administrateur qui en est responsable. Il a pour charge de gérer la cohabitation de tous, de tous les hommes (contre les ségrégations entre riches et pauvres, puissants et faibles, blancs et noirs, etc.) dans le respect de tout le vivant qui est aussi locataire avec droit d’usage.
Les animaux sont régis par l’instinct. Leur pouvoir, ainsi que leurs désirs, ne sont pas infinis mais se déploient dans un équilibre écologique. Le lion qui a mangé la gazelle n’en demande pas une autre, il dort et attend que la faim le reprenne.
L’homme, pour vivre de façon humanisée, est libéré de ses instincts. Il a donc un statut particulier lié à sa liberté. La libération du carcan de l’instinct lui permet de développer son désir, mais s’il ne le domine pas, s’il le laisse augmenter à l’infini, il en devient esclave et retourne au statut de l’animal soumis à l’instinct. Et l’instinct qui domine l’homme est alors volonté de puissance sans limite, appropriation de tout ce qui l’entoure. Ce désir de pouvoir et de possession illimités introduit dans le monde un désordre destructeur. Alors que l’environnement est un bien collectif, patrimoine de l’humanité, l’homme incapable de réguler son instinct de puissance ou de possession détruit ce bien collectif dont il est responsable. Il est amené à une lutte à tout prix pour s’assurer une vie selon ses désirs, y compris le prix de la mort. Il croit gagner en imposant tout son pouvoir à la Terre, en l’imposant aux autres hommes qui pourraient entraver sa volonté de puissance et de possession. En fait il détruit son être d’homme, la base de son existence s’écroule. Celui qui détruit, esclave de son désir, détruit les autres hommes en même temps qu’il détruit l’environnement et qu’il se condamne lui-même.
Le non-respect de la Nature a la même source que celui de l’humanité. Avec l’exploitation effrénée de l’environnement on constate celle des autres, rejetés s’ils ne peuvent pas servir, exploités quand ils sont utiles. Discriminés, ces autres se retrouvent à la périphérie :
- périphérie sociale, les uns se croient plus humains que les autres, d’où toutes les discriminations. Actuellement on assiste encore au racisme, à la xénophobie, aux discriminations sociales, aux rejets de toutes sortes, de ceux qui sont considérés comme des bons à utiliser puis à abandonner.
- périphérie géographique, avec renforcement, ou création de frontières. Les pays pauvres ne doivent pas troubler les pays riches. Et dans nos villes se trouvent des quartiers bien délimités, avec de réelles frontières, non écrites mais appliquées.
- périphérie de la pauvreté. On admet qu’une grande partie de la population vive sous le seuil de pauvreté (10 millions actuellement en France !). Disparité des revenus de plus en plus importante : les biens de la Terre sont pour certains, pas pour tous.
- discrimination par l’habitat : chacun a son habitat propre sans lequel il est impossible de s’épanouir. Pour aller vers les autres il faut partir d’un lieu où l’on est chez soi. L’usage actuel des lieux à habiter, marqué par la destruction des paysages, par l’entassement des populations dans des quartiers de béton, est destructeur de ceux qui y sont soumis. Sans compter tous ceux qui n’ont aucun lieu, SDF, bidonvilles, ouvriers déplacés entassés dans des dortoirs, « logements » constitués de box qui peuvent se réduire à 3 mètres cubes.
Plus directement on pratique l’exploitation des uns par les autres : esclavage moderne, travail déshumanisant, destruction des libertés de ceux qui ne sont pas considérés comme des humains à part entière, des égaux.
La destruction de la Nature réserve aux riches ce qui leur permet de s’épanouir, les pauvres n’y ont pas accès :
- pays désertifiés par l’exploitation de l’Occident dans lesquels les habitants sont assignés à résidence (question des migrants).
- cultures vivrières détruites au profit d’une agriculture intensive à destination des pays donneurs d’ordre.
- habitats détruits par l’exploitation minière, des forêts, etc.
- quartiers misérables de nos villes, bidonvilles, ou pour les derniers la rue.
- mauvaise nourriture pour les pauvres, avec tous les problèmes de santé afférents.
- système de santé au profit des riches. Peu d’argent pour la prévention et la protection de la santé, mais énormes dépenses pour une médecine de pointe qui sert essentiellement les riches. Abandon de l’hôpital sauf pour les services très spécialisés qui ne concernent qu’une infime partie de la population.
La destruction de l’habitat des animaux (déforestation, exploitation minière, etc.) a détruit les frontières entre eux et les hommes. Ajoutons l’élevage intensif, les trafics d’animaux que l’on entasse sur des marchés : le résultat est le passage des virus à l’homme, virus adaptés à ces animaux mais mortifères pour l’homme. Tous les hommes sont concernés, l’érection de frontières en la matière est ridicule. Mais ils ne sont pas tous égaux. Les pauvres doivent continuer à servir pendant que les puissants restent à l’abri. La famille confinée dans un T3 de banlieue n’a pas la même vie qu’un cadre en télé-travail dans sa villa. Ce sont les riches qui ont quitté les grandes villes pour vivre le confinement dans leurs résidences secondaires. Et ce sont les pauvres qui vont être confrontés le plus durement aux conséquences économiques.
Alors, désespoir total ? Surtout pas. Sachons regarder tout ce qui se fait pour enrayer ce processus destructeur. Combien d’associations, de personnes se donnent corps et âme pour aider à sortir de la misère ceux qui y sont enfouis ! Voyons aussi les luttes politiques et sociales visant une véritable justice. La charité, c’est bien, la justice vient avant. Non, l’humanité n’a pas baissé les bras et les chrétiens ont comme premier devoir de s’associer à ceux qui œuvrent à ce combat contre la misère, qui s’inscrivent dans un refus absolu de la misère. Souvenons-nous du chapitre 25 de l’évangile de Mathieu. Le désespoir n’est pas de mise (la naïveté non plus !), et nous pouvons rendre grâces pour tous ces actes d’amour, de justice que nous rencontrons.
La justice sociale, l’écologie et la santé sont liées, ou encore la paix, la justice et la sauvegarde de la Nature. Là s’exerce la charité : « Si quelqu’un possède les biens de ce monde et que, voyant son frère dans le besoin, il lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? ...N’aimons pas en paroles et de langue, mais en actes et en vérité » (1Jn 3, 17-18).
Marc Durand