Nicodème ou l’invitation à renaître

Publié le par Garrigues et Sentiers

L’entretien de Jésus avec Nicodème que nous rappelait l’office liturgique de dimanche dernier illustre l’itinéraire qu’il propose à ses disciples. Nicodème, « maître en Israël », membre du Sanhédrin, vint, de nuit, questionner Jésus dont la notoriété commençait à poser des problèmes aux autorités. Il s’attendait probablement à une discussion permettant la confrontation de points de vue. Mais, au lieu d’une discussion d’expert, il s’entend dire : « À moins de naître de  nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu », ce qui le déconcerte. Face à cette proposition, Nicodème se réfugie derrière deux objections, qui sont deux peurs, celle d’être « trop vieux » pour renaître et celle de la régression dans une matrice originaire : « Faudra-t-il rentrer une seconde fois dans le sein de ma mère ? »

 

Jésus va le déstabiliser davantage lorsqu’il lui dit : « Ne t’étonne pas si je t’ai dit : il vous faut naître d’en haut. Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit » (Évangile de Jean, 3, 1-11). Cet appel à rester disponible à l’événement au lieu de s’enfermer dans des certitudes qui se voudraient définitives est le fondement de toute vie spirituelle et la mise en cause de toute maîtrise. C’est la remarque quelque peu ironique de  Jésus à Nicodème : « Tu es maître en Israël et tu n’as pas connaissance de ces choses ! ». La vie évangélique n’est pas faite de synthèses définitives, mais de perpétuels commencements comme l’exprime avec beaucoup de justesse le jésuite et psychanalyste Denis Vasse : « Si nous croyons que, dans un ordre chronologique, l’homme a d’abord été fabriqué, puis qu’il s’est secondairement amélioré, jusqu’à ce qu’il arrive enfin à un résultat de produit fini, nous nous trompons tout-à-fait (...) Vivre, c’est être suscité à la vie à tous moments :naître et ressusciter sont le même acte de Dieu » (1).

 

Les maîtres des savoirs et des pouvoirs craignent toute naissance d’événements imprévus qui risquent de relativiser leurs sciences et leurs politiques. Et tous les Hérode de la terre seront tentés par la violence par peur d’une naissance qui les « renverserait leur trônes » ou bousculerait leurs certitudes. Voilà pourquoi Jésus recommande à ses disciples de ne pas s’enfermer dans des postures de maîtrise : « Pour vous, ne vous faites pas appeler Rabbi ; car vous n’avez qu’un Maître, et vous êtes tous frères. N’appelez personne votre Père sur la terre : car vous n’en avez qu’un, le Père céleste. Ne vous faites pas non plus appeler Docteurs, car vous n’avez qu’un Docteur : le Christ » (Évangile de Matthieu, 23, 8-11).

 

Jésus invite Nicodème et tous ceux qui choisissent de suivre l’Évangile à refuser de coloniser l’avenir dans des savoirs a priori pour goûter la saveur des commencements. Le monde nous advient alors comme signe de la générosité radicale du Père et appel à la fraternité entre les hommes que le poète René Char nomme « communauté de nos aurores » (2).

 

Bernard Ginisty

 

(1) Denis VASSE, La Vie et les vivants, éd. du Seuil, 2001, p. 218.

(2) René CHAR (1907-1988), Les Matinaux in Œuvres complètes, La Pléiade, éd. Gallimard, 1998, p. 250.

Publié dans Réflexions en chemin

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Excellent article. Nous sommes invités à participer à la création toujours en devenir. Soyons créatifs !
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