« Tout commence par la communauté locale »
À 51 ans, Didier Travier, normalien, agrégé de philosophie, conseiller presbytéral d’une paroisse cévenole, publie un ouvrage où il s’interroge : « Suis-je encore chrétien ? ». Pour répondre à cette question, il ne va pas se livrer à une longue analyse intellectuelle, mais partir de sa pratique religieuse locale en l’occurrence celle du culte protestant : « Puis-je encore prendre sincèrement part au culte ? ». Il ne s’agit donc pas d’un exposé théologique ou historique, mais de chercher « une signification que je puisse, en conscience, faire mienne comme pratiquant formé aux exigences de la philosophie » (1).
Pour l’auteur, confesser la foi n’est pas exposer une doctrine, mais s’exposer à l’action de l’Esprit et entrer dans la dynamique d’un événement. « La foi n’est pas une affaire d’objectivité – de science exégétique, de spéculation théologique, de démonstration philosophique – ce qui la suspendrait à l’obtention d’une certitude toujours différée. Elle est une décision existentielle prise dans l’urgence de vivre une vie digne de ce nom » (2) Le culte, et plus généralement toute liturgie chrétienne « met au cœur de nos cités, au cœur de nos rythmes, une chorégraphie de l’essentiel » comme l’écrit Olivier Abel dans la préface à l’ouvrage (3). Didier Travier détaille ainsi les moments successifs de cette « chorégraphie » : « Croire en la beauté du monde en dépit de la souffrance, croire en la valeur de la personne en dépit du mal, croire en la puissance de la vie en dépit de la mort, croire en l’avenir en dépit du présent » (4).
Ainsi, le culte vise « à me décentrer en me replaçant dans ce qui est plus originaire que moi : l’être, la vie, l’autre, la parole de pardon et d’espérance. Il est reconnaissance pour les dons desquels je tiens tout mon être et toute ma valeur. Il est en cela l’exact opposé de la religion comprise comme transaction avec le divin » (5). La foi n’est pas la réponse à une question mais à un appel et engage une manière d’être et de vivre. Pour éviter que « la lettre devienne le tombeau de l’esprit et la religion celui de la foi » il y a nécessité de revivifier pratiques, institutions, doctrines par un contact répété avec le mystère de la transcendance. L’auteur reprend ici les analyses de Paul Ricoeur, dans son ouvrage Plaidoyer pour l’utopie ecclésiale, pour qui le culte « est le lieu où la religion meurt sans fin, où cette mort est vécue comme autosuppression » (6). Toute démarche spirituelle chrétienne s’enracine dans le concret d’une communauté locale : « Il n’y a pas de raccourci vers l’universel. Tout commence par la communauté locale. Moins celle qu’on choisirait comme on achète une voiture – la pitoyable liberté du consommateur – que celle qui s’impose, avec plus ou moins de bonheur, du fait de la géographie paroissiale » (7).
Le petit livre d’une centaine de pages de Didier Travier porte en lui, nous dit Olivier Abel, « quelque chose d’immense » : « Immense en effet, puisqu’il ne s’agit rien de moins que d’un éloge du culte, au travers d’une critique de la religion. Ou plutôt l’inverse : la religion est critiquée, mais au travers d’un éloge du culte plus profond, plus vaste, plus important, plus urgent. Au fur et à mesure que je le relis, il devient pour moi un petit « classique », un texte auquel je sais que je reviendrai souvent » (8).
Bernard Ginisty
(1) Didier TRAVIER, Une confiance sans nom. Essai sur la foi, préface d’Olivier Abel, éditions Ampelos, 2017, p. 14-15.
(2) Ibid., p. 60-61.
(3) Ibid., p. 11.
(4) Ibid., p. 83.
(5) Ibid., p. 105.
(6) Paul RICOEUR, Plaidoyer pour l’utopie ecclésiale, éditions Labor et Fides, 2016, cité p.106.
(7) Didier TRAVIER, op. cit., p. 68.
(8) Olivier ABEL, préface à l’ouvrage de Didier Travier, op. cit., p. 1.