Pour une solidarité cosmopolitique
Les enjeux de la COP 21 ne sont rien de moins que de savoir si l’humanité est capable d’entrer dans un processus de régulation concertée des enjeux de la planète. La mondialisation du désastre écologique ne cesse de s’accroître tandis que s’étalent les heurts entre des nationalismes concurrents.
Le philosophe allemand Jürgen Habermas donne la mesure de l’ampleur de la tâche : « Si les élites politiques ne trouvent pas de résonance dans des valeurs préalablement réformées de leur population, aucune innovation ne sera possible. Or, si la conception que les gouvernements capables d’agir à l’échelle de la planète ont d’eux-mêmes ne change que sous la pression d’une modification préalable du climat de politique intérieure, la question décisive est la suivante : verra-t-on se développer, dans les sociétés civiles et les espaces publics politiques des régimes en voie d’unification à grande échelle, ici en Europe, une conscience cosmopolitique, c’est-à-dire en quelque sorte une conscience de solidarité cosmopolitique ? »1.
Jamais peut-être autant que dans les temps actuels se vérifie l’adage selon lequel les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent. Les évolutions majeures ne sont possibles que grâce au long travail de conscientisation des citoyens. Les jeux débilitants auxquels conduit la crispation de la politique française sur l’élection présidentielle, s’ils régalent les médias, sont évidemment très éloignés des nécessités de l’époque.
Le philosophe espagnol Daniel Innerarity me semble avoir défini avec justesse le climat actuel lorsqu’il écrit : « On pourrait dire que nous vivons dans des sociétés à espérance limitée. Parler d’espoir ou de désespoir n’a de sens que si l’on compte avec le long terme, si cette perspective reste d’une manière ou d’une autre présente. Sans elle, il ne reste qu’une forme de désespoir qui consiste à limiter le champ de conscience à la gratification immédiate. L’ère postmoderne n’a de relation ni épique ni tragique avec le futur. Nous évoluons à mi-chemin entre l’espérance limitée et le désespoir soft. Et, dans cet intervalle, c’est à peine s’il y a une place pour le futur proprement dit, absent quand l’idée de progrès s'épuise, négligé là où règne la tyrannie du présent, privatisé dans la nouvelle configuration des aspirations utopiques, et rien moins que feint dans les rhétoriques de l’innovation »2.
L’enjeu capital n’est donc pas la focalisation sur tel ou tel « sauveur suprême » qui pourrait nous éviter l’indispensable travail collectif d’éducation à une conscience planétaire. Sinon, comme le note Jean-François Simonin, « en l’absence de vision partagée sur le long terme, nous avons entériné le principe du recoupement d’intérêts divergents arbitrés par les lois et de l’offre et de la demande sur le marché comme principe de détermination de la valeur. La valeur boursière est devenu le paradigme fondateur de toutes valeurs (…) Il n’y a plus réellement de valeur, il reste des placements »3.
Bernard Ginisty
1 – Jürgen Habermas : Après l’État-nation. Une nouvelle constellation politique, éditions Fayard, 2000, page 126.
2 – Daniel Innerarity : Le futur et ses ennemis : de la confiscation de l’avenir à l’espérance politique, éditions Flammarion, 2008, page 162.
3 – Jean-François Simonin : Généalogie de la prospective. L’anthropologie prospective de Gaston Berger : une philosophie pour le XXIe siècle. Thèse de philosophie soutenue en Sorbonne le 30 novembre 2015 (mention très honorable avec les félicitations du jury).