Ne m’appelez plus « Monseigneur » !

Publié le par Garrigues et Sentiers

Qu’il me soit pardonné d’usurper dans cet article le statut d’évêque pour relever le multiple préjudice qu’entraîne – pour l’image de l’Église dans notre société et pour sa propre gouverne – l’emploi anachronique du titre de Monseigneur ! Ce détour personnalisé facilitera peut-être le propos et en concrétisera la portée. De fait, le christianisme charrie maintes coutumes plus discutables que cette appellation ; mais, aux antipodes des valeurs qu’elle est censée honorer, celle-ci apparaît aujourd’hui particulièrement désuète et plus que jamais décalée par rapport à l’Évangile. Nombre de Monseigneurs en conviendront – j’en suis sûr ».

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« Je sais bien que ce n’est pas mon individu que ce titre honore, mais le ministère dont je suis chargé. C’est à l’Église tout entière qu’il est ainsi rendu hommage. Aussi ne m’appartient-il pas, ni à aucun de mes confrères, de refuser pour convenance personnelle cette appellation qui relève d’une longue histoire et transcende nos personnes. Et pourtant, je demande de ne plus être appelé Monseigneur » !

Bien que j’aie toujours récusé les honneurs dans l’Église, j’avoue avoir été touché lorsque j’en ai bénéficié à mon tour. N’avais-je pas, sous couvert de service et comme d’autres sans doute, rêvé de l’aura entourant les hautes fonctions ecclésiastiques ? Sagement, l’humilité commande aux dignitaires de ne pas accorder trop d’attention à la déférence qui leur revient. En prenant ma place dans la succession apostolique, c’est donc en toute modestie que j’ai fini par m’habituer à la mitre et aux rituels séculaires qui l’accompagnent.

Mais jusqu’où assumer l’héritage ? La symbolique véhiculée par ces honneurs s’étant perdue, ne faut-il pas renoncer à un usage qui s’est dégradé en banale mondanité aux yeux de nos contemporains ? C’est la crédibilité même de l’Église qui, hors de nos communautés, est aujourd’hui menacée par un affichage et des cérémonies qui offensent la foi évangélique. Et plus dramatique encore : le décorum ecclésiastique mis en scène par nos manières et nos rites atteint jusqu’à la perception de Dieu qui s’offre à travers la religion, brouillant gravement le message originel du christianisme.

La divinité est imaginée à l’image des rois, le faste de la cour céleste est construit à l’avenant, et nos pratiques en fournissent depuis des siècles une transposition qui doit légitimer la suprématie du domaine religieux. Mais le monde a changé tandis que nous restons entravés dans un passé indûment sacralisé au profit de nos institutions, et dans une conception archaïque de la divinité. Non, notre Dieu n’occupe pas les trônes que l’humanité s’obstine depuis toujours à ériger à ses dieux comme à ses rois. Nos représentations, notre langage et notre gestuelle sont à repenser.

Comme la parole ne peut se communiquer qu’à travers des langages, l’Église ne peut se perpétuer qu’à travers des institutions. Et toutes les institutions ayant tendance à sacraliser les pouvoirs qui les gouvernent, l’Église a absolutisé l’autorité ecclésiastique en l’assimilant à l’autorité divine. Mais, paradoxe : les responsabilités d’ordre évangélique, tout en étant des plus éminentes, constituent en un sens le moins sacré de tous les pouvoirs – le moins séparé – parce que foncièrement subordonné à l’humble service des hommes, et des plus petits en priorité.

« Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations leur commandent en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous se fera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier parmi vous se fera l’esclave de tous. » (Marc 10,42-43). Adressé par Jésus aux disciples qui allaient fonder et conduire les premières communautés chrétiennes, ce précepte vaut toujours et se passe de commentaire. À suivre, tout simplement…

Alors, adieu Constantin et Théodose qui ont promu le christianisme religion officielle de l’empire romain, adieu l’apparat et les compromissions qui s’en sont suivis au prix de la fraternelle simplicité des origines ! S’il n’est guère possible et s’il ne sert à rien de juger le passé, il nous incombe par contre de construire l’avenir. Pour demeurer fidèles à la Parole reçue, les communautés chrétiennes ont vocation à inventer, par delà les modèles hiérarchiques légués au catholicisme par la Rome antique et la féodalité médiévale, des formes de service et de pouvoir inédites. Le dernier concile en avait déjà pris conscience avec Jean XXIII. Et, malgré d’âpres résistances, on s’en préoccupe de nouveau au Vatican sous la houlette du pape François ! »

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D’aucuns trouveront ce billet outrecuidant – de quoi se mêle donc ce laïc qui feint d’ignorer la modestie de l’immense majorité des prélats ? D’autres estimeront qu’il ne s’agit là que de futiles élucubrations au regard des graves problèmes que connaissent le monde et l’Église – n’est-il pas plus urgent de soutenir les initiatives qui témoignent de l’Évangile en dépit de tous les manquements ? Mais la question soulevée est moins anodine qu'elle ne semble au premier abord. Les titres n’ont évidemment aucune importance en tant que tels, mais ils sont révélateurs de l’idéologie et des structures qui les produisent et qu’ils illustrent, et ils contribuent à en assurer la reproduction.

Un exemple à voir : https://www.youtube.com/watch?v=Q4DfrjJjPKc&feature=share

(Le cardinal américain Raymond Leo Burke a occupé jusqu’à récemment le poste de préfet du Tribunal suprême de la signature apostolique, la plus haute juridiction du Saint-Siège.)

Même les dehors les plus dérisoires peuvent cacher des enjeux cruciaux…

Il est entendu que la caricature est toujours caricaturale, mais c’est précisément de cette façon qu’elle dévoile la nature profonde de ce qu’elle représente. Que dire, que faire, quand il arrive que l'idolâtrie le dispute au grotesque à un point tel qu’il ne semble guère possible d'imaginer pire ?

Suffit-il d’admettre que Dieu reconnaîtra les siens ?

Jean-Marie Kohler
http://www.recherche-plurielle.net

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J
Comme Christiane Guès, je n'ai pas eu le courage de regarder cela jusqu'à la fin ! Mais j'ai découvert deux scandales dans le long processus d'habillement de ce prélat : il manque au moins deux clergeons : l'un pour lui recoiffer les cheveux, l'autre pour lui planter les bésicles sur le nez ! On l'a laissé faire cela tout seul, au risque qu'il n'ait plus la force ensuite de bénir à gauche et à droite le long des kilomètres ! Il ne manque pourtant pas de chômeurs en Italie pour occuper ces hautes fonctions...
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G
Le 16/11/1965 peu avant la clôture de Vatican II, 40 évêques se réunirent dans la catacombe de St Domitilla à Rome et diffusèrent 13 résolutions qui fut appelé : "le Pacte des Catacombes".<br /> Voici la 5eme :<br /> Nous refusons d'être appelés oralement ou par écrit des noms et des titres signifiant la grandeur et la puissance (Eminence, Excellence, Monseigneur). Nous préférons être appelés du nom évangélique de Père.<br /> Voilà 50 ans que ce pacte existe. Qu'a-r-on fait de ces résolutions?<br /> Quant à la vidéo je n'ai pu regarder que le début et je suis passée très vite sur le reste craignant qu'elle ne scandalise mon ordinateur lui-même et ne le mette en panne!
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A
Ce texte dit utilement des choses justes, mais de façon un peu alambiquée, si bien qu’on ne perçoit pas tout de suite son but. Mais la question soulevée est importante, l’une de celles qui agacent une grande partie des fidèles dans l'Église romaine, et bien plus ailleurs. L'aggiornamento a permis de supprimer la tiare (Paul VI) et la seda gestatoria (Jean-Paul II ). Ne pourrait-on faire un pas de plus et, non seulement abandonner les pompons et les dentelles qui ne célèbrent pas la Gloire de Dieu, mais la prétention de ceux qui se prétendent des serviteurs, mais encore tout l'appareil pompeux de titres usurpés parmi lesquels : "Monseigneur" ? Car nous n'avons qu'un seul Seigneur chez les chrétiens, et c'est le Christ.<br /> <br /> La réponse de Jésus lui-même à la question se trouve en  Mt 23,3-11, chapitre qui libère des "pouvoirs" de la terre. Le lire suffit, même sans le commenter, ce qui l'affaiblirait : «23, 06 [… ] ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues - 07 et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. - 08 Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. - 09 Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. - 10 Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. - 11  Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.»<br /> <br /> Il est vrai que la vidéo donnée donne la nausée. Comment cette idolâtrie survit-elle  encore après Vatican II  ? Parfois les "princes de l'Église" semblent les disciples du "prince de ce monde", plutôt que de celui qui n'avait pas même une pierre pour poser sa tête et qui a fini en subissant la peine réservée aux esclaves. <br /> Albert Olivier
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M
je signe 77 fois 7 fois cet article!<br /> En plus de ces arguments, j'ajouterai que je ne peux pas dire Monseigneur a l’évêque: le cri du coeur et de foi de Thomas ( "Mon seigneur et mon dieu" ) devant Jésus m'en empêche.
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J
Dans le droit fil de ce texte que j'approuve, je "prie le Seigneur" souvent pour que le mistral (et le droit Canon) emportent à tout jamais les becs de cigognes qui surmontent périodiquement et ridiculement les têtes pourtant souvent bien faites de nos messeigneurs. <br /> J'en connais deux qui en seraient les plus heureux... que ne le décident-ils de leur propre "chef" ! .
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