Trancher sans être tranchant

Publié le par G&S

« Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre mais le glaive »
Matthieu 10,34

Accueillir dans la foi l’Incarnation du Christ, messager de Dieu, et par le Baptême entrer dans la Résurrection de Jésus par le passage constant du poids de la mort au jaillissement de la vie, donnent aux humains et à l’humanité entière une plénitude de leur nature, du moins je le crois.

Bien loin d’asservir les hommes et les femmes et de les empêtrer dans le « sacré », les « mystères fondamentaux » chrétiens soulignent leur grandeur et accomplissent en vérité leur amplitude de pèlerins marcheurs d’éternité, du moins je le pense.

Tout en « revêtant » le Christ, tout en vivant leur vie concrète, les humains restent des terrestres cheminant dans le temps, ils n’échappent pas à leurs conditions de mortels vulnérables. S’ensevelir pour renaître dans les eaux du baptême, moudre déjà les grains d’éternité, se nourrir régulièrement du Pain Ressuscité, ne rendent pas divin ce qui est humain, éternel ce qui est temporel, immortel ce qui est mortel, illimité ce qui est limité, mais lui donnent pleine stature dans ce qu’il a de plus grand dans la conjoncture du temps.

Avant leur mort physique, les habitants du monde sont des sujets transitoires qui font ensemble une histoire collective qui les dépasse mais reste aléatoire et précaire…

Comme elle ne peut pas tout faire dans le temps et dans l’espace, même si la science et la protection sociale allongent son temps de vie terrestre et agrandit son espace, la personne est contrainte pour survivre et ne pas mourir étouffée : de choisir, de trancher, de retrancher, de jeter et rejeter, de se désencombrer, de s’alléger, de faire de la place en elle et autour d’elle.

L’être humain choisit… cette option obligatoire est à la fois grandeur et limite, liberté et servitude, adhésion et séparation.

Le choix nécessaire à la vie humaine est d’une certaine manière une violence : une force qui tranche.

Réduire ses activités augmente une intensité de présence. Spécialiser sa compétence favorise l’efficacité du service. Tout englober, Tout seul, Tout le temps, Partout, rend inhumain de faire naufrage dans l’impossible

Il faut pour vivre, réfléchir, discerner le meilleur, décider, chercher des appuis et des moyens, éliminer mais en « même temps » respecter, honorer, donner chance, promouvoir, éduquer, élever, aimer autrui… ne jamais le tuer volontairement…

Tout cela est violent, très violent.

Trancher exige de ne pas être tranchant, c'est-à-dire ne pas être brutal mais juste et ajusté, doux et pas doucereux, bon et pas bonasse, bienveillant et pas naïf.

Cet exercice de domination de soi accroît encore une sorte de violence intérieure puisqu’il faudra se vaincre soi même, c'est-à-dire allier les contraires en les connaissant, assumer des choix difficiles, vivre paisiblement la « tension » qui engendre liberté et fidélité, mettre en harmonie désirs, pulsions, souhaits, jugement pour l’action concrète, supporter durablement les ambiguïtés, faire concourir la fidélité de son choix au plaisir du vagabondage afin d’être cohérent.

Mais cette « violence » cohabite avec la « sérénité ». Car à toutes les jointures intimes de l’individu :

Là se trouvent en connivence la grandeur humaine et la douceur chrétienne

Là se trouve le rendez vous permanent de la paix et de la justice

Là se trouve l’humble courage de trancher au risque de se tromper  

Là se trouvent le glaive et le rameau d’olivier

 se trouve la force d’aimer : combat, violence, douceur, tendresse.

En soi : l’affrontement bien traité intensifie la Vie.

Christian Montfalcon

Publié dans Réflexions en chemin

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