Par peur de la mort, conjurer le risque de la vie ?
Avec la Toussaint, les cimetières se parent de chrysanthèmes et un certain nombre de familles se retrouvent pour manifester la force de la continuité familiale par delà la mort des chers disparus.
Toute société, face à la mort, invente des rites. De nombreux anthropologues nous disent même qu’un des premiers signes du passage du monde animal au monde humain réside dans la conscience de la mort et la création de gestes rituels rudimentaires pour tenter de donner sens à la disparition de son congénère.
En faisant de la résurrection du Christ l’événement central de son message, le Christianisme se situe délibérément au cœur de cette rencontre de l’homme et de la mort. Bien loin de se manifester par le vacarme médiatique ou le triomphe d’un courant religieux sur un autre, la résurrection est présentée par l’Évangile comme l’accès de chacun à ce qu’il a de plus essentiel.
Dans son ouvrage sur Marie de Magdala, cette femme qui, la première, témoigne de la résurrection du Christ, l’écrivain genevois Georges Haldas traduit le cœur de cette relation de chacun à la vie et à la mort. « Le Ressuscité, écrit-il, pour répandre la grande nouvelle, n’a nullement porté son choix sur un docteur, un savant en théologie, un notable de la culture ou du pouvoir, mais bien sur une simple femme (…) Qui de surcroît n’allait pas dans le sens de la foi judaïque. (…) Pas d’éclat, ici, ni de fanfare ; pas de démonstration spectaculaire. Ni médias, si médias il y avait eu. Mais une transmission d’être à être, une sorte d’insémination confidentielle. Oui, d’être à être. Dans la mesure où la Résurrection ne touche nullement une collectivité mais des êtres particuliers. Chaque être. La personne de chacun. Parce que seule celle-ci est confrontée à la mort » 1.
Notre naissance et notre mort sont les deux moments fondamentaux que nous ne pouvons pas vivre par procuration ni gérer dans un quelconque plan de carrière ! Ce sont des événements qui nous arrivent. La confrontation à ces événements ouvre le chemin pour accéder à ce qui constitue notre « nom propre ». Or, trop souvent, nous cherchons à éviter cette rude naissance à nous-mêmes en basculant dans les lieux communs des systèmes économiques, politiques ou religieux.
Notre époque est obsédée par la longévité et la quantité d’années. Au nom d’un principe de précaution mal compris, on voudrait, par peur de la mort, conjurer le risque de la vie. C’est la source de l’aliénation fondamentale, dit l’auteur de l'Épître aux Hébreux, « de ceux qui par crainte de la mort passent toute leur vie dans une situation d’esclaves » 2. Au lieu de nous enfermer dans nos peurs, la conscience de la mort peut nous conduire à retrouver notre identité de passant et notre capacité permanente à naître à ce que nous ne connaissons pas.
Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône &Loire le 01.10.10
1 – Georges HALDAS : Marie de Magdala - Éditions L’Âge d’Homme. Collection Poche Suisse n°182, 2006 pages 78-79
2 – Épitre aux Hébreux 2,15