La rentrée des classes

Publié le par G&S

Dans quelques heures sur notre terre de France nombreuses seront les têtes blondes qui prendront pour la première fois la route de l'école. Depuis de longues semaines les mamans s’évertuent à faire disparaître du caddy du supermarché les paquets de couches de leurs chers bambins. « Tu es un grand maintenant, tu vas bientôt aller à l’école, tu ne dois plus faire pipi dans les couches ! ».

Difficile apprentissage de la propreté et dur casse-tête pour l’ensemble de la famille, tout entière mobilisée pour préparer le grand événement de la rentrée en maternelle. En effet, pour accéder au chemin de l’école il faut savoir emprunter le chemin des toilettes.

Les quelques semaines de vacances passées auprès de mes enfants m’ont permis d’enfourcher la machine à remonter le temps puisque j'ai eu la joie de participer au difficile apprentissage de la propreté de mon petit-fils. Quels prodiges d’ingéniosité à mettre en oeuvre pour inciter à demander à temps l’aide nécesaire pour satisfaire ce besoin bien élémentaire.

Le reproche et la remontrance face à la petite flaque derrière la porte de la cuisine alternent avec l’extase et la ola familiale lorsque les précieuses gouttes sont déposées dans les toilettes .

Une fois la case de la propreté cochée, une autre épreuve attend le parent non prévoyant. Le samedi qui précède la rentrée est un jour où les grandes surfaces sont à éviter. Patience et maîtrise des émotions sont nécessaires si par malchance le parent mal organisé doit emprunter le chemin de la grande surface pour acheter la tenue vestimentaire neuve et le premier cartable sensés immortaliser l’événement. En maternelle le cartable n'est pas nécessaire, mais une fois qu’il a remplacé dans le caddie le paquet de couches sus-cité il permet au petit de devenir grand lorsque le tiroir-caisse s'est refermé.

Samedi dernier toute l’énergie de quelques amies fut mobilisée car un grand événement se préparait dans un squatt de la ville où s'entassent quelques familles romes : six petites têtes, non blondes celles-là, se préparent, elles aussi, à emprunter le chemin de l'école publique. Si la mobilisation générale s'était déjà produite au moment des grands froids, cette rentrée scolaire a de nouveau donné lieu a une belle aventure humaine, dont la rue fut le premier témoin. Les deux éléments précédemment cités, la propreté et les courses au supermarché furent donc vécus aussi... mais de manière bien inattendue.

Rendez-vous fut donné pour regrouper enfants et maman en vue des achats pour le grand jour. Mais stupeur au moment de monter dans les voitures : impossible de passer inaperçues dans les grands magasins avec nos petits bouts au visage radieux mais bien crasseux, à la tête ébouriffée bien que décorée de beaux rubans colorés, aux mains toutes poisseuses bien qu’aux ongles vernis. Impossible d'envisager d’essayer une paire de baskets avec des petits pieds tout noircis par toutes ces heures à arpenter les trottoirs de notre ville tout à la fois salle de jeu et chambre à coucher. Une toilette s’avérait nécessaire.

Une bouteille d'eau, une savonnette et une serviette ont donc particpé à transformer des petites souillons noiraudes en petites princesses tendant leur visage pour donner et recevoir un baiser.

Nous nous étions mis à l’écart, mais bien vite toute la communauté nous rejoignit pour participer joyeusement à l’événement, me rappelant les cris de joie des grand-père, soeur et cousin à l'instant précis du 1er pipi autonome.

Certains événements ne peuvent se vivre qu’en famille quel que soit le pays d’origine.

Lavement-des-pieds--Arcabas-.jpgEt c’est donc à genoux devant nos bouts de chou assis sur un petit muret que m’a été donné de vivre le plus émouvant lavement des pieds. En effet, savonnette obligée en plus, la gestuelle était bien semblable. Passer de pied en pied, entendre l’eau couler de la bouteille, versée dessus par la comparse, essuyer chaque pied avant de se relever pour s’abaisser devant les suivants. En ce samedi de rentrée scolaire le cérémonial du Jeudi-saint se déroulait dans la rue et c’est au moment précis où je pris le dernier petit pied que résonnèrent en sourdine les paroles du refrain tant de fois chanté dans nos assemblées : « Allez vous-en sur les places et sur les parvis, allez vous-en sur les places y chercher des amis »... et je réentendais cette invitation de Jésus : « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai donné l’exemple, pour que vous agissiez comme j’ai agi envers vous. » (Jean 13,14-15)

Le geste du lavement des pieds tel que Jésus nous l’a transmis est la plus extraordinaire révélation et la plus prometteuse révolution. C’est à genoux devant l'homme que Jésus nous invite à percevoir la dimension divine en chaque être humain et à voir que cette présence sacrée est la source première de sa dignité, de sa responsabilité, de son immortalité. Il nous dit qu'une grandeur est à découvrir et à accueillir au plus intime de notre personne, de toute personne, et que c’est une grandeur à faire croître à travers nos attitudes, nos choix, nos engagements. Cette grandeur qui coïncide avec la vie peut rayonner à travers tout ce que nous pouvons vivre. Nos choix de vie nous grandissent et plus nous grandissons plus les autres nous accompagnent dans cette croissance.

Jésus ne cesse de nous dire que Dieu croit en la grandeur de l'homme.

À travers son inclination devant ses disciples, Jésus nous invite à quitter les hiérarchies de grandeur que sont les courses au profit, à la réussite personnelle, à l'humiliation et l'exploitation des plus faibles. Jésus pointe clairement les chemins de la vraie grandeur qui sont ouverts à tous : le don de soi, la générosité, le service gratuit. C'est par l’offrande de nous-mêmes que nous actualiserons la grandeur qui nous est accordée, que nous deviendrons source et origine de notre propre personne, que nous donnerons sens à notre liberté, à notre vie entière, que nous répondrons à l'invitation ultime de Jésus, qui est d'aimer Dieu en aimant l'homme : « Aimez-vous les uns les autres. »

Vivre l’Eucharistie dans nos assemblées pour apprendre à servir les hommes est un chemin du bonheur. Chacun d'entre nous est appelé à la joie de servir et la joie réside dans le service même : « heureux serez-vous si vous le faites ». Nous ne le savons pas à l'avance, mais c'est en servant que nous le découvrirons.  

Le bonheur de servir n'était ni dans le pré ni dans nos églises en ce jour mais bien dans ce jardin public. Alors que nous entendions les trains passer au-delà de la voie ferrée, il nous étourdissait à travers ces cris d’enfants.

Que nous soit donnée la grâce d'expérimenter la grandeur et la beauté de l'amour qui s'incline pour notre bonheur et celui de notre entourage.

Quant à vous les petits, vous qui nous permettez de grandir : Bonne rentrée scolaire !

Nathalie Gadéa
Toulon, mardi 4 septembre 2012

Illustration : Arcabas, Lavement des pieds - église de Saint-Hugues de Chartreuse

Publié dans Réflexions en chemin

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P
<br /> Merci à Nathalie Gadéa pour ce lavage de pied pétri d'humanité et pour l'illustration par le tableau de ce grand artiste et créateur qu'est Arcabas (Il était un ami très proche du théologien<br /> jésuite Pierre Ganne (1904-1979) trop tôt disparu et un peu oublié).<br /> <br /> <br /> Pierre Locher<br />
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G
<br /> <br /> Ravi que vous ayez apprécié le tableau d'Arcabas ! Effectivement, c'est un artiste génial et bien trop peu connu. J'ai pensé que ce tableau dur et paisibleà la fois, avec les mains pas du tout<br /> sulpiciennes de Jésus, irait très bien avec le très bel article de Nathalire Gadéa.<br /> Le blogmestre de G&S<br /> <br /> <br /> <br />