Un rêve étrange et pénétrant
Le 1er mai 2012 j’ai fêté dans une solitude librement choisie le quarantième anniversaire de mon ordination épiscopale, passant une bonne partie de la journée à rendre grâces. Et la nuit suivante je faisais un rêve…
Un pape (lequel ? Quand ? Je ne sais…) décidait de nommer Congrégation romaine pour la Révélation chrétienne l’ancienne Congrégation pour la doctrine de la foi, qui avait succédé au Saint Office, lui-même ayant remplacé la Sainte Inquisition. Il lui confiait la fonction primordiale de veiller à ce que toute doctrine ou décision soit examinée, jugée, retenue ou rejetée selon la fidélité de son rapport avec la Révélation chrétienne essentiellement exprimée dans la Bible. L’intention du Pape fut clairement perçue : l’annonce de la Bonne Nouvelle devait reprendre la première place dans le Message, la Mission et l’organisation de l’Église catholique.
Il s’en suivit une grande ferveur chez les chrétiens pour lire et méditer les Saintes Écritures. Dans tous les Continents les groupes de lectio divina se multipliaient. Les dialogues sur le sens de la Vie gagnaient Internet. Pasteurs, théologiens et philosophes s’associaient pour faire resplendir les harmonies de la Sagesse révélée. Un Souffle de printemps, offert à tous les humains, faisait jaillir des initiatives pour éclairer, réconforter, guérir et faire communier les frères et sœurs de toutes les Églises chrétiennes, libérés de leurs différences séparatrices. Ensemble, ils dialoguaient avec les croyants monothéistes du monde, en priorité avec leurs « frères Juifs, ainés dans la foi ».
Observant ce nouveau Souffle dynamisant les chrétiens, des Multitudes recommençaient à s’intéresser aux valeurs spirituelles, à l’humanisation de l’Humanité et de ses institutions sociales, politiques, économiques, intergénérationnelles, familiales et mondiales. Ces multitudes, lassées des conflits engendrés par des gens prétendument croyants qui imposaient leurs intégrismes, recommençaient à écouter le murmure des invitations à la Paix, aux réconciliations et aux pardons prononcées par Jésus de Nazareth, qui avaient trouvé un large écho dans les siècles passés et sous toutes les latitudes.
Convaincu par les miracles engendrés par la Parole de Dieu, reconnue comme la Source de Lumière, le Pape (lequel ? quand ? je ne sais) se comportait en serviteur des serviteurs de Dieu. Il revendiquait, comme Simon Pierre, d’être considéré comme co-Ancien, sumpresbuteros, l’un des Douze, chargé de présider à la communion. Ses Dicastères étaient pressés d’assurer prioritairement un ministère de service et non pas d’autorité suprême. Il profitait d’Internet pour questionner périodiquement tous les évêques du monde sur les façons meilleures de vivre la collégialité, de répondre aux questions que ses prédécesseurs s’étaient récemment réservées, notamment sur certains éléments de la vie des couples, sur la place des femmes dans les responsabilités et les ministères, sur le rôle des Anciens dans l’évangélisation et les communautés chrétiennes, sur la place décisive de la conscience dans le jugement moral, sur le juste rapport entre le magistère et le sensus fidelium et sur les problèmes nouveaux posés par les évolutions du Monde...
Il demanda même de revenir au vocabulaire respecté par la Tradition des dix premiers siècles, en évitant d’appeler prêtres, ceux que le Christ n’avait jamais appelés ainsi, les ayant toujours considérés comme ses Envoyés : des Missionnaires ou Apôtres choisis parmi les Disciples, ayant entre autres la possibilité de vivre en couple selon la pensée du Créateur exprimée en tête de la Bible. Par voie de conséquence, la vocation chrétienne et la mission de tous les fidèles du Christ furent présentées de façon plus conforme aux lettres de Paul, de Pierre, de Jacques, de Jean, aux Actes des Apôtres.
On remit en honneur des textes quelque peu perdus de vue : ils avaient été rédigés par un Concile tenu dans les années 1962-1965. Leur redécouverte suscita une plus juste conformité des multiples habitudes, traditions, interprétations et prescriptions imposées dans l’Eglise romaine au gré de l’histoire - avec la grande Tradition Révélée.
Un jour (quand ? je ne sais) ce Pape providentiel interdit les appellations de Très Saint Père, de Souverain Pontife, en expliquant qu’elles devaient être réservées à Dieu. Il lança une réflexion pour savoir s’il était judicieux de mieux distinguer la Mission d’Évêque de Rome, « primus inter pares », de la fonction de Chef de l’État du Vatican, cette dernière créant souvent des confusions lorsque le Pape se déplaçait hors du Vatican pour visiter pastoralement et encourager des fidèles du Christ.
Il revint à l’antique Tradition en ce qui concerne la nomination des évêques, constatant que la centralisation en ce domaine était devenue ingérable, malgré la présence des Nonces qui s’employaient à trouver de nouveaux évêques tout en assurant leurs fonctions officielles de Diplomates de l’État du Vatican…
L’aube naissante interrompit ce rêve.
Je me réveillai.
Dehors, il pleuvait. Le temps était maussade.
Jean- Charles Thomas
Jean-Charles Thomas est né en 1929, devenu évêque coadjuteur de Versailles le 23 décembre 1986. Il est devenu évêque titulaire le 4 juin 1988 et s’est retiré de ses fonctions le 11 janvier 2001, pour raison d’âge.
Note de G&S : ce texte nous est parvenu sans titre ; il nous a semblé qu'on pouvait
l'emprunter à Paul Verlaine, car on pourrait peit-être lire :
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une Eglise connue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend...