L’Union Européenne Prix Nobel de la Paix
L’attribution du prix Nobel de la Paix à l’Union Européenne a suscité des réactions les plus diverses. D’aucuns se sont moqués de voir attribuer, à une institution qui ne cesse de se chercher laborieusement, un prix qui honore des artisans de paix. Et pourtant, comment ne pas saluer un processus qui, depuis près de 70 ans, a créé en Europe un zone de paix là où des nations n’ont cessé de se déchirer pendant des siècles.
Interrogé sur cette attribution du prix Nobel, Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, évoque la déclaration du 9 mai 1950 de Robert Schuman, ministre des affaires étrangères. On peut lire ceci dans ce texte fondateur de la construction européenne, largement inspiré par Jean Monnet: « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord des solidarités de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée ». Pour Jacques Delors, les tribulations quotidiennes de la construction européenne ne doivent pas faire oublier l’essentiel du projet européen : « J’ai toujours considéré que cet appel avait un retentissement extraordinaire. Il se comprend dans la formule de Hannah Arendt : le pardon et la promesse. Devant les mémoires terribles de la guerre, de la Shoah, devant les ressentiments et les volontés de revanche, des hommes proposent le pardon, qui n’est pas l’oubli, et la promesse que nos fils et nos filles pourraient vivre ensemble dans une économie humaine. Il a fallu à l’époque que chacun prenne sur lui car cet effort ne va pas de soi. Cet appel de 1950 est donc un événement autant moral que politique. Je l’ai même qualifié d’événement spirituel » 1.
Au moment où le citoyen européen perçoit les solidarités concrètes qu’entraînent les différents plans de « sauvetage » de certains pays de la communauté, il ne peut y souscrire qu’à partir d’un acte de responsabilité citoyenne qui ne découle pas automatiquement du jeu des marchés et des décisions technocratiques ou administratives. Et c’est un observateur aussi averti que l’économiste et essayiste américain, Jeremy Rifkin qui analyse le rôle majeur de la construction européenne pour l’avenir de la planète : « Le rêve européen naissant n’est pas simplement un séduisant slogan politique. On assiste en Europe à de profondes mutations tant au niveau personnel qu’institutionnel, et même métaphysique. Lorsqu’on insiste un peu, la plupart des Européens eux-mêmes reconnaissent ne pas savoir très bien dans quel engrenage ils ont mis le doigt. Les pères fondateurs américains éprouvaient sans doute la même impression. Mais les doutes et les hésitations, les sentiments de déception et de désarroi ne sont-ils pas bien naturels de la part d’un peuple en train de réécrire l’histoire humaine ? (…) Le nouveau rêve européen nous fait accéder à une ère globale » 2.
Bernard Ginisty
1 – Jacques Delors : En Europe, il faut le pompier, mais aussi l’architecte. Entretien dans le journal La Croix du 15 octobre 2012.
2 – Jeremy Rifkin : Le rêve européen ou comment l’Europe se substitue peu à peu à l’Amérique dans notre imaginaire (Éditions Fayard, 2005, pages 115-116).
C’était d’ailleurs l’intuition d’un des « pères » de l’Europe Jean Monnet (1888-1979) qui termine ainsi ses Mémoires : « Ai-je assez fait comprendre que la Communauté que nous avons créée n’a pas sa fin en elle-même ? Elle est un processus de transformation qui continue celui dont nos formes de vie nationale sont issues au cours d’une phase antérieure de l’histoire. Comme nos provinces hier, aujourd’hui nos peuples doivent apprendre à vivre ensemble sous règles et des institutions communes librement consenties s’ils veulent atteindre les dimensions nécessaires à leur progrès et garder la maîtrise de leur destin. Les nations souveraines du passé ne sont plus le cadre où peuvent se résoudre les problèmes du présent. Et la Communauté elle-même n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du monde de demain » (Jean Monnet : Mémoires, Tome 2, Éditions Le livre de poche n°5183, page 794).