Indignez-vous !
Le succès inattendu du petit opuscule intitulé Indignez-vous 1 que Stéphane Hessel, résistant et déporté dans les camps, corédacteur de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, vient de publier à 93 ans, traduit à la fois le profond malaise dans lequel se trouvent nos sociétés mais aussi le goût intact de résister à tout ce que les pouvoirs établis voudraient nous imposer comme un destin incontournable.
Présentant la semaine dernière ses vœux à ses amis sur le site de Mediapart, Stéphane Hessel s’exprimait ainsi : « La première décennie de notre siècle s’achève aujourd’hui par un échec. Souvenez-vous des objectifs du millénaire pour le développement proclamés en 2000 par la Conférence Mondiale des Nations Unies. On se proposait de diviser part deux en quinze ans le nombre de pauvres dans le monde. Échec sur toute la ligne ! Une plus équitable répartition entre tous les biens communs essentiels que sont l’eau, l’air, la terre et la lumière ? Elle a plutôt régressé, avec plus de très riches et plus de très très pauvres que jamais ». Ainsi, les vœux que la communauté internationale exprimait au début du millénaire se sont avérés des « vœux pieux », c’est-à-dire des incantations verbales sans que l’on se donne les moyens de les réaliser. En ce début de 2011, les dirigeants des pays européens ont renouvelé des vœux pour une meilleure régulation financière de la planète, vœux jusqu’à présent aussi efficaces que ceux que la communauté internationale faisait au début de l’an 2000 pour éradiquer la pauvreté !
Ces constatations de début d’année ne sont pas là pour alimenter une morosité dont, paraît-il, les Français seraient les champions, mais bien, comme l’affirme avec force Stéphane Hessel, nous rappeler le devoir permanent de Résistance. La Résistance ne se réduit pas à passer son temps à railler ou à critiquer ce qui ne va pas. Elle est la conséquence d’un formidable goût de la vie et de la convivialité humaine.
Relisant ces jours-ci l’œuvre d’Albert Camus, je suis frappé de voir à quel point cet écrivain engagé a su résister aux dérives totalitaires de tant de ses contemporains car, malgré la pauvreté vécue dans son enfance, il a connu des expériences à jamais fondatrices. « J’ai commencé, écrit-il, à vivre dans l’admiration, ce qui, dans un sens, est le paradis terrestre. (On sait qu’aujourd’hui l’usage, en France, pour débuter dans les lettres, et même pour y finir, est au contraire de choisir un artiste à railler). De même, mes passions d’homme n’ont jamais été “contre”. Les êtres que j’ai aimés ont toujours été meilleurs et plus grands que moi ». Et il continuait : « Dans le secret de mon cœur, je ne me sens d’humilité que devant les vies les plus pauvres ou les grandes aventures de l’esprit. Entre les deux se trouve aujourd’hui une société qui fait rire » 2.
Je ne connais pas de meilleure définition du devoir de Résistance que ces lignes de Camus, que devrait apprécier le grand amoureux de la poésie qu’est Stéphane Hessel 3 : « Il y a une volonté de vivre sans rien refuser de la vie qui est la vertu que j’honore le plus en ce monde. Puisque peu d’époques demandent autant que la nôtre qu’on se fasse égal au meilleur comme au pire, j’aimerais, justement, ne rien éluder et garder exacte une double mémoire. Oui, il y a la beauté et il y a les humiliés. Quelles que soient les difficultés de l’entreprise, je ne voudrais n’être jamais infidèle ni à l’une ni aux autres » 4.
Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône-et-Loire le 08.01.11
1 – Stéphane Hessel : Indignez-vous, Éditions Indigène, 30 pages, 3 euros. Plus de 500 000 exemplaires vendus à ce jour.
2 – Albert Camus : L’Envers et l’Endroit, Préface in Essais, Éditions La Pléiade, 1965, pages 8-9.
3 – Stéphane Hessel : Ô ma mémoire, la poésie, ma nécessité. Éditions du Seuil, 2006.
4 – Albert Camus : Retour à Tipasa in L’Été in Essais, Éditions La Pléiade 1965 pages 875-876.