Fêtes de fin d’année, fêtes chrétiennes ?
La période qui s’étend du 25 décembre au 1er janvier est communément désignée par l’expression de « fêtes de fin d’année ». Ces huit jours voient se succéder des célébrations chrétiennes, civiles et parfaitement païennes. Il peut être utile de donner à ce sujet quelques précisions historiques et liturgiques.
L’Épiphanie. Paradoxalement, la plus importante, dans ce cycle de fêtes, se situe au 6 janvier, en dehors, par conséquent, de la période considérée.
Cette fête, attestée dans la première moitié du IVe siècle, commémorait le baptême de Jésus dans les eaux du Jourdain. Par la suite, s’y associèrent le rappel de sa naissance, de la venue des mages et des noces de Cana. Certains témoignages permettent d’affirmer que la fête du 6 janvier était célébrée par certains chrétiens gnostiques dès le second siècle.
Il n’est pas impossible que le choix de la date ait une origine païenne. Les païens célébraient ce jour-là une fête en l’honneur de Dionysos, en relation avec l’allongement des jours. À Alexandrie, on prétendait que les eaux du Nil recevaient cette nuit-là un pouvoir miraculeux. Ainsi pourrait s’expliquer le fait que certains disciples du Christ aient choisi ce jour pour faire mémoire du baptême de Jésus.
La Nativité. La fête de la nativité de Jésus – Noël, natalis – est un dédoublement de celle de l’Épiphanie (alors qu’aujourd’hui, l’Épiphanie est devenue en quelque sorte un satellite de Noël). Elle est totalement ignorée des trois premiers siècles chrétiens. Il semble qu’elle ait été instituée entre 325 et 354 ; elle est attestée pour la première fois à Rome en 336.
Le 25 décembre, les païens célébraient une fête du solstice, celle du « soleil invaincu », marquant le moment de l’année ou la durée du jour recommence à augmenter. En instituant cette fête, l’empereur Constantin voulait donner une signification chrétienne à un usage païen et saluer en Jésus celui dont la venue dans le monde chasse les ténèbres. La fête de la nativité de Jésus n’est donc en rien la célébration d’un anniversaire. Origène, au début du IIIe siècle, proteste même contre l’usage de fêter un jour de naissance ; pour lui, c’est une coutume païenne : seuls les impies comme Pharaon ou Hérode on célébré leur naissance. Dans l’usage chrétien, l’expression de dies natalis,jour de la naissance, désigne le jour de la mort des martyrs, puis de ceux qui sont honorés pour leur sainteté sans être passés par le témoignage de la mort violente. C’est en principe à l’anniversaire de leur mort qu’est célébrée leur fête liturgique.
La célébration du 25 décembre est essentiellement une affirmation théologique : la venue du Fils de Dieu dans le monde.
Ajoutons que nous ne savons rien sur la date de la naissance de Jésus. Selon les indications de l’évangile de Luc, Jésus est né à une saison où bergers et troupeaux passaient la nuit à la belle étoile, et où des populations nombreuses pouvaient se déplacer sur les routes pour le recensement : autant d’indications difficilement compatibles avec la fin de décembre. Quelques sources anciennes situent la naissance de Jésus au printemps.
La Saint-Sylvestre. Saint Sylvestre, qui fut pape de 314 à 335, doit l’essentiel de sa célébrité au fait qu’il est commémoré par le calendrier liturgique le dernier jour de l’année civile, le 31 décembre. Sa fête n’a pas plus d’importance que celle de n’importe quel autre saint de l’année. Elle en a même beaucoup moins que celles qui la précèdent lors des derniers jours de l’année civile : les saints innocents, saint Jean, saint Étienne. Alors que ces dernières célébrations sont, selon la liturgie catholique, des fêtes, saint Sylvestre n’a droit qu’à une mémoire dont la célébration est facultative. Rappelons - ou apprenons à ceux qui l’ignorent - quelle est la hiérarchie des jours liturgiques dans l’usage catholique, en ordre d’importance décroissant : solennités, fêtes, mémoires, féries (jours sans célébration particulière).
La fête de la circoncision. Le 1er janvier, jusqu’à la récente réforme liturgique, était dans l’Église latine la fête de la circoncision de Jésus, et certains rites orientaux ont conservé cet usage. On peut déplorer que la réforme du calendrier ait changé le nom de cette solennité pour en faire celle de sainte Marie, Mère de Dieu. Ce changement d’appellation traduit une méconnaissance regrettable de la signification de la circoncision. Il faut cependant remarquer que la réforme liturgique a conservé pour ce jour-là la lecture du passage d’Évangile racontant comment l’enfant fut circoncis « le huitième jour » et qu’il reçut à cette occasion le nom de Jésus.
En tant que fête liturgique, le 1er janvier n’est pas une célébration du début de l’année civile, mais seulement l’octave, le huitième jour à partir de Noël.
Quant à l’usage de réveillonner dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier pour marquer le changement de millésime, il n’a absolument rien de chrétien.
Pour être complet, il faudrait parler de l’incidence du passage du calendrier julien au calendrier grégorien en 1582, réforme qui eut pour effet d’introduire un décalage de 10 jours entre les calendriers d’Occident et d’Orient. (voir sur ce sujet : Naissance du calendrier grégorien)
Les fêtes liées à la naissance de Jésus ont été instituées au IVe siècle pour marquer l’implantation du christianisme en terre païenne. Il faut avouer que leur héritage païen n’a jamais été totalement effacé par leur transformation en fêtes chrétiennes, et que ces jours marquent de plus en plus, malheureusement, la résurgence du paganisme en terre chrétienne.
Michel Remaud
publié sous le titre À propos des fêtes de fin d'année sur le site de l’AJCF
Michel Remaud est un prêtre catholique spécialiste du judaïsme et du christianisme vus à travers les relations judéo-chrétiennes. Directeur de l'Institut français Albert-Decourtray d'études juives à Jérusalem, enseignant à l'Institut catholiques d'études sur le judaïsme (institut Ratisbonne) de Jérusalem, il est l'auteur de nombreux ouvrages, articles et conférences sur l'histoire du dialogue inter-religieux comme sur la vie des communautés chrétiennes aujourd'hui en Israël. En tant que théologien, il étudie plus particulièrement l'exégèse rabbinique et ses liens avec le Nouveau Testament.
En 2010, il est lauréat du prix de l'Amitié judéo-chrétienne de France.