« Ami Judas »
On t’a donné, Judas, la plus basse des besognes à faire : livrer ton maître, ton ami, ton compagnon de route, celui qui t’avait choisi avec les autres. Et toi, tu t’es empressé de l’accomplir.
Dieu t’a livré à Satan pour te seconder et te conduire dans cette sale tâche, et ceci au cours d’un repas, de ce mémorial même de la Cène comme pour signifier que seul Jésus était l’enjeu de ce débat.
Toi, tu n’en savais rien. Tu n’as été qu’un rouage, qu’un exécutant. Tu n’étais qu’un homme, qu’un jouet dans les forces de l’invisible, cet invisible qui se jetait ton âme comme un vulgaire ballon de foot.
Toi, tu ne savais pas, ni le plan de Dieu sur Jésus, ni la soudaine complicité de Dieu avec Satan afin que « Les Écritures s’accomplissent ».
Toi, tu ne savais rien à part cette pulsion de mort, ce poison qu’on avait infiltré dans tes veines et qui t’a poussé à l’irrémédiable : livrer ton ami.
Tu ne pouvais pas savoir ce que tu faisais puisque d’autres tiraient les ficelles.
Jésus t’a encore appelé « Ami » avant de mourir.
« Ami », une parole d’homme, une parole d’homme à homme sur laquelle ni Dieu ni Satan n’avaient plus de prise. Tu l’avais déjà entendue cette parole de ton ami : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ».
Il te l’a redite, rien que pour toi avant de mourir, à l’intérieur de ce seul mot d’Ami.
Mais il t’a dit aussi : « Fais ta besogne ». Jésus savait bien que c’était la plus vile des tâches à laquelle on t’avait astreint. Mais il savait aussi qu’il fallait que tu l’accomplisses jusqu’au bout avec l’impossibilité de t’y dérober. Il t’a dit cela sans marquer de mépris car Jésus n’a jamais méprisé personne. Il te l’a dit comme une fatalité, comme le sort inévitable de ta destinée liée à la sienne.
Judas, nous n’aurions dû retenir que ce mot d’«Ami ».
Nous n’aurions dû retenir que ces derniers mots prononcés sur la croix à l’adresse des bourreaux : «Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font », tout comme toi, Judas, tu ne savais pas ce que tu faisais.
Christiane Guès