C’est un miracle qui s’est produit à Rome
« Maintenant, ô Maître, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole, car mes yeux ont vu ton salut ».
C’est un miracle qui s’est produit à Rome.
115 cardinaux (ou au moins les deux-tiers d’entre eux) ont choisi de se laisser emporter par l’Esprit de l’Evangile, par l’esprit de Jésus, par l’esprit du Concile Vatican II.
À la surprise générale, ils ont choisi un Argentin, l’Archevêque de Buenos-Aires, le Cardinal Jorge Mario Bergoglio 76 ans, dont la rumeur disait qu’il avait refusé d’envisager son élection en 2004 en raison de sa mauvaise santé. Cette fois, il a accepté. L’article de « La Croix » qui lui était consacré le 8 mars titrait« l’ascète proche des pauvres ».
C’est à mes yeux (il reste à prier pour que l’histoire à venir le confirme) un tournant dans l’histoire de l’Eglise. Lorsqu’on me demandait qui je souhaitais comme futur Pape, je répondais : « un homme simple et bon ». Et j’ajoutais : un homme qui sache que c’est en tant qu’Evêque de Rome qu’il est Pape, et non l’inverse.
Tournant dans l’histoire de l’Église ? Il avait bien sûr été commencé par Jean XXIII et le Concile Vatican II. Mais il restait à le prolonger et à le confirmer.
L’enjeu est de passer d’une Église triomphante à une Église « servante et pauvre » (Vatican II, Lumen Gentium, n° 8).
Avec Jean-Paul II, nous avons eu une Église triomphante : une Église qui voulait rayonner sur le monde entier, toute-puissante face au communisme qu’elle a contribué à balayer de l’histoire, voulant affirmer sa puissance de résistance face au monde moderne, voulant reconquérir la jeunesse, mais impuissante face au capitalisme néolibéral. Benoît XVI, un intellectuel et un spirituel, peu fait pour cette fonction écrasante, vivait aussi dans cette nostalgie d’une Eglise triomphante, celle qu’il avait vécu dans sa jeunesse en Bavière.
Le nouveau Pape peut enfin être davantage le représentant d’une « Église servante et pauvre ». Je vois plusieurs indices allant dans ce sens :
- le choix de son nom : François, référant à François d’Assise, l’homme
de la simplicité évangélique, faisant le choix de la pauvreté,
- sa simplicité dans ses premiers mots place Saint Pierre,
- sa volonté de se comporter d’abord en Évêque de Rome, en s’adressant aux Romains, en nommant Benoît XVI « Evêque émérite
de Rome »,
- son comportement à Buenos-Aires, où il a abandonné le Palais des Archevêques pour loger dans un simple appartement, où il allait rencontrer des pauvres, où il affirmait que « la
pauvreté est une violation des droits de l’homme »,
- sa qualité de Jésuite, qui le rend solidaire d’une grande tradition à la fois humaniste, spirituelle et universelle.
Ces cinq signes distinctifs sont bien plus importants que le fait d’être argentin, sur lequel les médias se concentrent. L’Église est universelle depuis longtemps, Jésus et Paul étaient des Juifs, S. Irénée évêque de Lyon était un Grec. Retrouver pleinement, de l’intérieur du fonctionnement institutionnel de l’Église, l’esprit de l’Évangile et l’esprit de Jésus est une entreprise autrement difficile que d’élire un non–Européen.
Le Pape François va être très tôt affronté à une tâche extraordinairement difficile. Personne n’ignore que de son temps Jésus a rencontré des résistances et a finalement connu l’échec de sa mission. Le Pape François a devant lui une tâche très difficile et à Rome même, et dans l’organisation d’un autre fonctionnement universel de l’Église.
Il faut donc prier et pour que sa santé tienne, et pour qu’il parvienne à poser des signes et des actes d’un nouveau visage de l’Église dans le monde.
Jacques Lefur