La simplicité du Pape soulève les foules
« Allo, Mamma ? Le Pape a dit qu'il ne fallait jamais se fatiguer de demander pardon à Dieu. » Entre une pasta et le bon petit vin blanc de la trattoria de Graziella et Alberto, via del Mascherino, à deux pas de Saint-Pierre, Franco et Stefania, la cinquantaine accomplie, venus spécialement de Sienne, en Toscane, pour assister dimanche au premier Angélus du nouveau pape, sont bouleversés d'avoir entendu un pape qui parle « autrement » de Dieu. Franco Baldi résume ce choc d'une formule qui sent bon les commentaires sportifs des matchs de foot italiens, le dimanche : « Cette fois, le Saint-Esprit s'est surpassé lui-même ! »
Pourtant, le héros du jour n'est pas un champion. Même si on s'est bousculé, marché sur les pieds et écrasé parfois, en allant vers la place Saint-Pierre, dimanche en fin de matinée pour venir l'écouter. À se demander d'ailleurs pourquoi, et en si peu de temps, ce nouveau pape qui tranche déclenche un tel enthousiasme. Aldo Deiana est venu, lui, de Turin. D'origine piémontaise, il a pu parler en patois piémontais, à la sortie de la messe que le pape François a dite de façon imprévue, dimanche matin, dans la petite église Sainte-Anne, la paroisse du Vatican, avec ce pape argentin mais dont la famille est originaire de cette région du nord de l'Italie : « Cerea, gastaga bin ? (Bonjour, tu vas bien ?) ».
C'est ce « bonjour, tu vas bien ?» qui frappe le monde. « Bonjour » a d'ailleurs été le premier mot du Pape, dimanche à midi, à la fenêtre de ses appartements lors de la prière de l'Angélus. Sa simplicité soulève la foule. « C'est l'un des nôtres, commente Aldo le Piémontais, un point c'est tout ; il n'y a rien à dire de plus. » Monica, une Romaine, ajoute : « On voit qu'il est proche, c'est un homme du peuple, il sait nous parler, on sent qu'il a l'habitude d'être avec les gens simples. »
L'Église catholique serait-elle en train de vivre une révolution de velours ? Luis Manuel Montan, un architecte de Buenos Aires, travaille dans le même quartier que l'ancien archevêque. Il se trouve à Rome par hasard, pour des vacances. Ce n'est pas sans fierté qu'il arbore le drapeau argentin : « L'humilité et la pauvreté sont les vrais signes de la puissance de l'Église. Ce dont elle a le plus besoin. Ce n'est pas une révolution, mais c'est une évolution. Cette marche-là n'a pas besoin d'armes, mais seulement d'esprit. »
Un message simple, efficace et puissant
Très modeste, un vieux couple, visiblement aux anges, se laisse volontiers aborder dans cette foule tourbillonnante, mais refuse, par peur de représailles, que leur nom soit cité. Tous deux sont retraités du Vatican, où ils ont « servi » toute leur vie. Devant cette petite église Sainte-Anne, à 50 mètres de la place Saint-Pierre, qui est leur paroisse, ils se réjouissent comme tout le monde, mais ils sont déjà inquiets pour le Pape : « Vont-ils le laisser faire ? » se demandent-ils. Car les Romains, et plus particulièrement le personnel du Vatican, ont tous en tête le souvenir des débuts du pape Jean-Paul Ier, le « Pape du sourire », en 1978. Il s'annonçait, lui aussi, comme un pape de la réforme et de la simplicité. On l'a retrouvé mort dans son lit, trente-trois jours après son élection. Le Vatican a toujours refusé une autopsie pour savoir ce qui s'était vraiment passé. En attendant, on n'a jamais entendu autant parler de Jean-Paul Ier à Rome ces quatre derniers jours. Mais « ils », qui sont-ils ? Le sourire gêné, le vieux couple s'éloigne.
Le laisser faire, donc ? On se demande plutôt qui pourrait arrêter ce pape, qu'il faut pourtant se garder d'opposer à son prédécesseur. Le patriarche de Lisbonne au Portugal, le cardinal José Policarpo, réputé progressiste, a reconnu au lendemain de l'élection que, même si le cardinal Bergoglio avait été l'outsider du cardinal Ratzinger en 2005, « il n'était pas prêt à monter sur le trône, et cela n'aurait jamais été possible sans l'approfondissement apporté par le pontificat de Benoît XVI, qui a préparé la possibilité d'une telle nouveauté ».
C'est un pape neuf, effectivement, et François, d'une improvisation à l'autre, surprend de jour en jour. Mardi, une affluence record est attendue pour sa messe d'installation avec les chefs d'État, place Saint-Pierre, même si le Pape a recommandé aux Argentins de ne pas venir et de donner l'argent de ce billet d'avion « aux pauvres ». Un style décapant, certes – dimanche matin, il s'est présenté à la sortie de la messe, comme le curé du Vatican, en serrant les mains de tous les participants ! – mais un message simple, efficace et puissant.
Ainsi, samedi matin, en recevant la presse, il a profondément touché l'assemblée, au moment de la bénédiction finale, par ces mots : «Parce que beaucoup parmi vous n'appartiennent pas à l'Église catholique et que d'autres ne sont pas croyants, je vous donne cette bénédiction dans mon cœur, en silence, à chacun de vous, en respectant la conscience de chacun, mais en sachant que chacun de vous est fils de Dieu.» Et ce tonnerre d'applaudissement quand il a lancé, au milieu de sa confidence sur le choix de son prénom : « Comme je voudrais une Église pauvre et pour les pauvres ! » Ou, encore, cette insistance, geste à l'appui en parlant de l'Église et en montrant la croix du Christ : « C’est Christ qui est le centre, non pas le successeur de Pierre. Christ ! Christ est le centre ! Il est la référence fondamentale, le cœur de l'Église… Sans Lui, Pierre et l'Église n'existeraient pas et n'auraient pas de raison d'être. »
Dimanche matin, tant dans son homélie – improvisée – que lors de l'Angélus, loin du texte initial, il a lancé un message sur « l'inépuisable miséricorde de Dieu » inspiré de l'Évangile du jour, qui relate l'épisode de la femme adultère, rejetée, mais que le Christ pardonne : « Pour moi, a-t-il confié dans son homélie, et je le dis humblement, le message le plus fort du Seigneur est la miséricorde. » Intuition qu'il a résumée lors de l'Angélus : « Jésus n'a jamais une parole de mépris, de condamnation, mais seulement des paroles d'amour, de miséricorde, qui invitent à la conversion. (…) Il a toujours patience. (…) Il ne se lasse jamais de nous pardonner, mais nous, parfois, nous nous fatiguons de demander pardon. » Et ce constat : « La miséricorde change le monde. Elle rend le monde moins froid et plus juste. »
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Pourquoi il a choisi François ?
« Savez-vous pourquoi l'évêque de Rome a voulu s'appeler Francesco ? Lors de l'élection, j'avais à mes côtés (…) le cardinal Claudio Hummes. Un grand ami… Quand la chose devenait un peu dangereuse, il me réconfortait ! Et quand les comptes sont arrivés aux deux tiers, que l'applaudissement habituel eut lieu parce que le Pape était élu, il m'a pris dans les bras, m'a embrassé et m'a dit : “ N'oublie jamais les pauvres. ” Ce mot m'est resté : “Les pauvres, les pauvres.” En pensant aux pauvres, j'ai pensé à saint François d'Assise. Puis j'ai pensé aux guerres… Le scrutin montait et arrivait jusqu'à la fin de tous les votes. François est l'homme de la Paix. C'est ainsi qu'est venu dans mon cœur le nom de François. François d'Assise ! L'homme de la pauvreté, l'homme de la paix, l'homme qui aime et garde le créé (il creato). En ce moment, nous avons avec le “créé” une action qui n'est pas tellement bonne, non ? L'homme qui donne cet esprit de paix, l'homme pauvre. Comme je voudrais une Église pauvre et pour les pauvres !»
In lefigaro.fr