Benoît XVI réussit un voyage très politique
en Grande-Bretagne
Au cours de son voyage en Grande-Bretagne, du 16 au 19 septembre, démentant les controverses sur son voyage, le pape a proposé une réflexion globale sur la place des religions dans les sociétés occidentales.
Ce dimanche à Birmingham, devant environ 60 000 personnes réunies pour la béatification du cardinal John Henry Newman, Benoît XVI n’a pas hésité, dans son homélie, et alors que le pays hôte célèbre le 70e anniversaire de la Bataille d’Angleterre, à se situer en pape venu d’Allemagne « qui a vécu et subi les souffrances liées aux jours sombres du régime nazi ».
Mais c’est bien le nouveau bienheureux qui fascine Benoît XVI. Newman qui, dit-il, « s’est attaché à prêcher, enseigner et écrire ». Newman qui désire un laïcat « qui ne soit pas arrogant, ni âpre dans son langage, ni prompt à la dispute, mais des personnes qui connaissent leur religion, qui pénètrent en ses profondeurs, qui savent précisément où ils sont, qui savent ce qu’ils ont et ce qu’ils n’ont pas, qui connaissent si bien leur foi qu’ils peuvent en rendre compte, qui connaissent assez leur histoire pour pouvoir la défendre ».
Enfin Newman, avec « ses intuitions sur le rapport entre foi et raison, sur la place vitale de la religion révélée dans la société civilisée ». Bref, un Newman qui fut, en son temps, comme un double de Ratzinger…
Renversement de l’opinion médiatique
Fort de ces convictions, depuis son élection, chaque année à l’automne, Benoît XVI choisit un vieux pays d’Europe occidentale pour lui adresser une sorte de leçon inaugurale académique, reprenant les fondements de la foi catholique et envisageant son application concrète dans ces sociétés postmodernes et sécularisées. Après Ratisbonne, Vienne, Paris, Prague, de jeudi à dimanche, ce fut Londres et le Royaume-Uni.
On peut donc s’étonner de la modestie de Benoît XVI présentant son voyage comme essentiellement pastoral. Si modestie il y eut, elle fut avant tout formelle : aucun faste royal n’a été déployé durant cette visite. Assurément, ce voyage fut politique, dépassant le cadre des îles britanniques : Benoît XVI a parlé, à nouveau, aux démocraties occidentales.
D’abord, il faut prendre acte du renversement de l’opinion médiatique, déjà observé lors d’autres voyages. Devant le succès populaire remporté par le pape en Écosse, puis à Londres, les médias britanniques, plus qu’acides jusque-là, ont dû admettre que le public, au moins catholique et qui plus est multiculturel, multicolore, était largement au rendez-vous : 100 000 personnes à Glasgow, presque autant à Hyde Park, 200 000 sur le Mall londonien.
Rencontre avec les victimes d'abus sexuels
Quelques milliers de protestataires (associations de défense des droits des homosexuels, de la laïcité, ou encore de l’ordination sacerdotale des femmes) ont défilé, samedi après-midi, le long de la Tamise, avec des slogans critiques.
Même les menaces d’attentat, présentes jeudi lors de l’arrestation par Scotland Yard de cinq salariés d’origine algérienne de Veolia Environnement, n’ont pas inquiété l’entourage du pape. Rien de concret n’est venu confirmer ces craintes (les suspects ont été relâchés sans aucune charge retenue contre eux). Et rien n’a donc été modifié dans le programme officiel.
L’ombre des abus sexuels a enfin plané sur ce déplacement. Dès les premières heures, puis solennellement à la cathédrale de Westminster, dans son homélie, et enfin lors de son discours aux évêques britanniques, le pape a renouvelé explicitement le mea culpa de l’Église.
Il a également rencontré, pour la quatrième fois, des victimes. Comme aux États-Unis, à Malte, en Australie, cette rencontre, avec cinq adultes, a été personnelle, consacrée à l’écoute et à la prière.
Exposé sur les racines de la foi
Fait nouveau : Benoît XVI a rencontré des catholiques responsables de la protection de l’enfance dans les milieux ecclésiaux. L’occasion pour lui, de saluer leur travail, « aidant à assurer l’efficacité des mesures préventives, en veillant à ce que tout cas d’abus soit traité rapidement et selon la justice. » « Il faudrait reconnaître, a-t-il poursuivi, en les portant à son crédit, les efforts déployés par l’Église dans ce pays et ailleurs, en particulier depuis dix ans, pour garantir la sécurité des enfants. »
La parole de Benoît XVI, durant ces journées, ne visait cependant pas seulement à conforter son peuple dans la foi ou à porter le poids des fautes de l’Église. Il s’est livré à un véritable exposé ordonné, non seulement sur les racines de la foi, mais aussi sur sa mise en œuvre concrète, en lien avec les autres religions, dans le monde contemporain.
À commencer par l’éducation. Le pape a appelé les enseignants, qui plus est catholiques, à être de véritables éducateurs. Il a donné une définition de l’enseignement catholique qui ne manquera pas de stimuler des réflexions locales.
La question du fondement de l’éthique politique
Mais le chapitre essentiel de ce vendredi a porté sur la place et le rôle des catholiques en politique. Dans un discours devant la société civile britannique, et les cinq récents premiers ministres, qui restera dans les annales pontificales à l’égal du discours des Bernardins à Paris, le pape a posé la question du fondement de l’éthique politique, et de la conjugaison entre la foi et la raison. Il l’a fait depuis Westminster Hall, cœur de l’histoire britannique, devant les élites politiques, économiques, religieuses, sociales et culturelles, là même où Thomas More a été condamné à mort pour sa fidélité à Rome.
Et c’est sur ce point que se sont concentrées, durant ce voyage, les critiques de fond faites au pape. Le point sensible reste, pour beaucoup, la légitimité des athéismes contemporains, rejetée par Benoît XVI. « L’athéisme n’est pas le nazisme » proclamait une pancarte portée par un jeune couple lors du passage de Benoît XVI, vendredi après-midi, sur les quais de la Tamise, dans une allusion au discours de Benoît XVI devant la reine faisant de l’absence de religion l’une des principales causes des totalitarismes du XXe siècle.
Le lendemain, Benoît XVI a rencontré à huis clos, et séparément, le premier ministre David Cameron, le vice-premier ministre Nick Clegg, et la responsable de l’opposition, Harriett Harman. Il a probablement fait état de sa préoccupation sur l’Equality law qui, au Royaume-Uni, permet à des couples homosexuels d’adopter un enfant.
Quelques touches plus personnelles qui sont allées droit au cœur des Britanniques
Il avait mentionné ce point lors de la visite ad limina, à Rome, des évêques britanniques, au début de cette année. Des associations catholiques spécialisées dans l’adoption, qui ne souhaitaient pas s’ouvrir aux couples de même sexe, ont dû renoncer à leur activité.
Pourtant, vendredi soir, c’est la convergence de vues entre le Saint-Siège et Londres qui a été soulignée. Lors d’un dîner de travail à Lancaster House, les deux diplomaties se sont réunies par « tables thématiques » autour des grands thèmes : développement, lutte contre la faim et la pauvreté, écologie, éducation.
Malgré cette tonalité fortement politique, Benoît XVI a su aussi essaimer durant ce voyage quelques touches plus personnelles, qui sont allées droit au cœur des Britanniques : samedi, la rencontre spontanée et affectueuse devant la cathédrale de Westminster avec ce jeune britannique d’origine nigériane Pascal Uche, ou encore, ces confidences sous forme d’aveu glissées aux résidants de la maison de retraite Saint-Pierre, à Londres, auquel il était venu rendre visite : « Je viens vers vous non seulement comme un père, mais aussi comme un frère qui connaît bien les joies et les combats qui viennent avec l’âge ».
Frédéric MOUNIER
à Londres et Birmingham
pour La-Croix.com