L’« agressivité » du chrétien

Publié le par G&S

Dans le n° 69 de Christus, en janvier 1971, le jésuite psychanalyste Louis Beirnaert publiait sous ce titre un article susceptible d’intéresser tous les chrétiens ; il nous met en garde contre tout extrémisme, et nous fait réfléchir sur les motivations de nos engagements.
Ses remarques semblent —à 40 ans de distance— bien d’actualité, entre la “crise” qui secoue l’Église depuis le début de l’année, et la publication de l’encyclique Caritas in Veritate, qui rappelle, sur l’économie et la société, des vérités que beaucoup n’ont toujours pas envie d’entendre.
En préparation à notre dossier n° 12 sur La Pauvreté, nous offrons à nos “Fioretti” quelques extraits laissant, hélas, des développements importants.

Albert Olivier

« Comme tout homme, le chrétien a des poussées agressives […] N’y a-t-il pas dans l’agressivité du chrétien quelque chose de spécifique, qui tiendrait à l’affirmation même de l’Amour et de la Vérité absolus dont il fait profession ? Ne pourrait-on parler d’une sorte de présence inaperçue de l’agression dans le fait même de se poser, aussi subtilement que ce soit, comme le détenteur de la solution dernière de tous les conflits ?

« Je remarque d’abord que l’adhésion à une doctrine, aussi sublime que celle de l’amour envers tous les hommes, peut être une position qui permet à la “bonne conscience” de se rétablir sans cesse. Il arrive qu’on se croie, de plus ou moins bonne foi, quitte envers l’amour parce qu’on l’a sans cesse à la bouche. On fera immédiatement appel à lui pour faire disparaître les injustices, omettant par là de prendre la mesure de la réalité qui engendre une injustice, et d’engager une action qui puisse avoir quelque efficacité. On parle assez aujourd’hui de la violence établie… La participation à l’agression est liée ici à l’affirmation idéologique de l’amour. Affirmation qui peut tout au plus amener à poser quelques gestes de dons qui ne modifient pas substantiellement l’état de choses injustes. De ce point de vue, l’émergence dans les consciences de la dimension politique de l’action chrétienne est un progrès. […]

« … N’y aurait-il pas dans le don… de biens dit “spirituels” – la vérité, la foi – un amour d’où toute agression serait éliminée ? […] Ce qui frappe, aujourd’hui, c’est l’indifférence croissante des gens à leur endroit. Tout se passe comme si le monde n’avait que faire de ce don de la vérité que nous détiendrions pour la répandre. De sorte que notre amour renvoyé des dons toujours insuffisants de biens au don non désiré de notre vérité, et vice-versa, ne trouve un peu de consistance que dans l’amitié et la réciprocité du partage quotidien.

« D’où viennent donc les impasses de cet amour-don ? À y regarder de plus près, l’amour que nous avons évoqué est le don d’un avoir. Avoir matériel, avoir spirituel, peu importe. Il s’agit toujours de donner ce que l’on a. Or à se placer dans la perspective de l’avoir, on ne peut qu’exercer à son insu une agression. C’est ce que ressentent bien ceux qui disent n’avoir que faire de nos générosités, voire de notre vérité. Une division primordiale s’opère dans et par cette forme d’amour. Il faut qu’il y ait des exclus de l’avoir pour que nous puissions donner ce qu’ils n’ont pas et ce que nous avons.

« Et il ne suffit pas d’inverser la relation pour sortir de l’agression […].

« Comment en sortir et approcher de l’amour en Vérité ? Puisque la difficulté se noue autour du don de l’avoir, il faut que l’amour soit le don de ce qu’on n’a pas […]. Le Christ nous a donné sa mort. En lui, il nous a été fait don, non de la puissance et de l’avoir, mais de la faiblesse dernière, de l’exténuation ultime. Le don de sa vie, pour le Christ, est très exactement le don de ce qu’il n’a pas […].

« … Dieu dont (les chrétiens) ont a témoigner… cesse d’apparaître sous la figure d’une Plénitude de Savoir et de Puissance distribuant ses dons à qui il lui plaît. En s’exténuant dans ses fonctions de dispensateur et de juge, il se révèle dans son Humilité et sa Pauvreté absolues, et par là dans son Amour en vérité […]. »

Louis Beirnaert
s.j.
 

Publié dans Fioretti

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