La crise et la culture
Chaque fois que des sociétés connaissent des crises sociales graves, des démagogues surgissent pour exalter tel état « naturel », racial ou national auquel il faudrait revenir sous peine de succomber à tous les maux. C’est le fonds de commerce des intégrismes, des fondamentalismes, des nationalismes. Au travail jamais terminé de la création de l’humain en l’homme, qui s’appelle la culture, ils substituent la logique d’une appartenance qui serait, de soi, porteuse de sens. C’est donc dire que toute crise est d’abord une crise de la culture.
L’association Les Rencontres d’Archimède réunit de nombreux professionnels de la culture pour réfléchir sur ces enjeux. Elle vient de publier un ouvrage intitulé La bataille de l’imaginaire1 qui reprend les meilleures interventions prononcées lors des Rencontres annuelles qu’elle organise. Le thème de ces rencontres se situe au cœur de ce que l’association appelle « la fin d’un cycle, celui d’un système culturel imaginé par André Malraux lors de la création du premier ministère de la Culture en 1959 ».
Aux yeux des animateurs de l’association, cette fin de cycle pourrait être une chance pour les collectivités territoriales à conditions qu’elles ne reproduisent pas ce qu’ils appellent les trois erreurs de la politique culturelle actuelle :
- La cassure en trois ensembles sans lien de l’éducation, de la culture et de l’animation socioculturelle. Je me souviens, lors d’une conférence dans un pays étranger où j’évoquais « les maisons de jeunes et de la culture », le traducteur avait traduit ce mot par « lycée », me faisant prendre ainsi conscience brutalement de la rupture entre le monde scolaire et la culture.
- Considérer que l’institution est a priori la solution à toutes les questions que posent les dynamiques culturelles. C’est ici tout le champ des tentatives de contrôle de la culture au gré des élections.
- Considérer que seul l’État est garant de l’éthique culturelle.
On ne dira jamais assez que les crises économiques que nous traversons ne sont plus celles du manque et de la rareté, mais celles de notre incapacité à gérer et à distribuer les richesses capables d’assurer à tous les hommes la base nécessaire à l’exercice de leurs choix culturels et politiques. C’est ce qu’analyse Patrick Viveret, l’un des auteurs de cet ouvrage, lors qu’il écrit : « Je vous invite à méditer la célèbre formule de Gandhi : Il y a assez de ressources sur cette planète pour répondre aux besoins de tous, mais il n’y en a pas assez pour répondre aux désirs de possession de chacun. Il ne s’agit pas de traiter le sous-développement comme le font jusqu’à aujourd’hui les pays riches d’Occident en donneurs de leçons, mais il s’agit pour ces mêmes pays occidentaux de leur propre élévation spirituelle, de recherche de sens, et de tourner le dos à leur propre barbarie intérieure. Il s’agit de donner à nos sociétés un désir d’humanité qui dépasse la peur irrationnelle du manque. »2
On connaît le mot fameux d’Emmanuel Mounier : la vraie nature de l’homme, c’est l’artifice. Non pas l’artificiel, mais l’acte artisanal et artiste par lequel l’homme invente un monde qui ne soit pas loi de la jungle. Bien loin de se réduire à des intérêts catégoriels ou à de douteux combats pour le contrôle d’institutions, l’engagement dans la culture conduit au dépassement des visions étroitement individualistes pour continuer la longue histoire de l’avènement de l’humain.
L’actuel Président de l’Association, Cecil Guitart définit ainsi cet engagement : « Transmettre dépasse largement l’acte de communiquer, car la transmission est un signe donné par une personne à une autre personne pour qu’il le transmette à son tour, enrichie de sa propre expérience »3
Bernard Ginisty
Chronique hebdomadaire diffusée sur RCF Saône & Loire le 12.09.09
1 - Cecil GUITART (sous la direction de) : La bataille de l’imaginaire. Éditions de l’Attribut, Toulouse 2009, 300 pages, 20 euros
2 - Patrick VIVERET : Un nouvel imaginaire économique op.cit. page 38
3 - Cecil GUITART : La culture, un voyage à organiser op.cit. page 31