2023-2024 : d’une année mouvementée à l’autre pour le pape François

Publié le par Garrigues et Sentiers

L’année qui s’achève n’a pas été de tout repos pour le souverain pontife. Et la prochaine s’annonce aussi chargée et indécise, notamment en raison de sa santé fragile.

Le pape François a démarré l’année 2023 en présidant les obsèques de son prédécesseur, l’ancien pape Benoît XVI, décédé le 31 décembre 2022. La sobriété et le dépouillement de cette cérémonie lui furent reprochés par les soutiens du pape allemand. Mais cette célébration n’était-elle pas une sorte de répétition générale ?

Dans un entretien récent à la chaîne de télévision mexicaine NMás, François a révélé avoir «  travaillé avec le cérémoniaire pour préparer les rites des funérailles du pape, afin de les simplifier considérablement ». Il se pourrait donc que des éléments des obsèques de Benoît XVI soient utilisés pour la liturgie à venir des funérailles pontificales.

Dans le même entretien, le pape latino-américain a annoncé vouloir être enterré à la basilique Sainte-Marie-Majeure de Rome, et non à Saint-Pierre : une première depuis le XVIIe siècle. Mais c’est dans cette basilique que François vient prier Marie avant et après chaque voyage, devant une icône intitulée Salus populi romani, à laquelle il est très attaché et qui représente la Vierge à l’Enfant.

En réalité, l’enjeu est ailleurs : avec la disparition de Benoît XVI, François est entré « dans une nouvelle phase de son pontificat  », comme s’il le commençait vraiment, comme s’il pouvait enfin avancer dans la réforme de l’Église catholique et se montrer audacieux. Il a en effet poursuivi ce qu’il tente de mettre en place depuis 2013. Après la constitution Praedicate Evangelium («  Proclamez l’Évangile  », juin 2022), laquelle restructurait la Curie et renforçait les pouvoirs du pape, il a réorganisé le diocèse de Rome le 6 janvier 2023, là aussi, tout en mettant l’accent sur la synodalité dans le sens d’un renforcement des pouvoirs du pape, qui est d’abord et avant tout l’évêque de Rome. François préfère passer outre les corps intermédiaires : la secrétairerie d’État devient moins centrale, le cardinal-vicaire (faisant office d’évêque diocésain de Rome en lieu et place du pape) est contourné, la «  diplomatie parallèle  » est avantagée. Le pape décide directement, avec les préfets des dicastères ou avec le conseil épiscopal du diocèse de Rome.

Un cap maintenu malgré les oppositions

Quelques semaines plus tard, en mars, on apprenait que le pape François avait signé un «  rescrit  » mettant fin à la gratuité des appartements de fonction ou loués à moindre coût aux prélats vivant à Rome. Après Georg Gänswein, le très conservateur secrétaire de Benoît XVI, renvoyé dans son diocèse natal en juin, un cardinal va faire les frais de cette décision : Raymond Leo Burke, figure architraditionnelle, ex-préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique, ancien archevêque de Saint-Louis (Missouri)… et opposant virulent à François.

Même s’il le dénie, ce prélat nord-américain est considéré comme un «  ennemi  » du pape et un protecteur de communautés traditionalistes, comme l’Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre, une officine réactionnaire pointée du doigt en raison du mode de vie de certains de ses membres et de dérives diverses. À la veille du synode sur la synodalité, Raymond Leo Burke a participé à un contre-synode intitulé «  La Babel synodale  », en totale opposition avec les vues de François sur la place des laïcs et du clergé, l’approche pastorale à l’endroit des personnes LGBT+ et des divorcés remariés, la gouvernance de l’Église…

En novembre, lors d’une réunion des chefs de dicastères de la Curie romaine, François a fait savoir que le cardinal Raymond Leo Burke, qui ne payait pas de loyer, devrait rendre son appartement de 400 mètres carrés et, n’ayant plus aucune fonction au sein de la Curie, se verrait priver de traitement (5.000 à 6.000 euros mensuels). Il est plus que probable que ses dernières prises de position contre le synode romain – ainsi que de multiples dubia («  doutes  » en latin) publics sur les divorcés remariés, la communauté LGBT+, etc. – ont motivé cette décision.

Un pas de plus vers l’ouverture et l’inclusivité

Mais François ne se contente pas de démissionner des prélats, il en promeut également. La nomination la plus emblématique a été celle de Víctor Manuel Fernández à la préfecture du Dicastère pour la doctrine de la foi (DDF), le 1er juillet 2023. Argentin comme François, il est considéré comme son ami et sa «  plume  », ayant rédigé entre autres de larges pans de l’exhortation apostolique Amoris lætitia («  La joie de l’amour », avril 2019).

Accompagné d’une lettre lui recommandant de rompre avec les «  méthodes immorales » de ses prédécesseurs, le nouveau «  chien de garde de la doctrine  », créé cardinal quelques jours après son installation à Rome, n’a pas chômé. En effet, de manière inédite, le DDF publie désormais les décisions prises et réponses apportées aux multiples demandes des évêques.

En novembre, le nouveau préfet a rendu publique une note autorisant le baptême des personnes trans et des enfants nés par gestation pour autrui (GPA). Quelques jours plus tard, il publiait deux nouvelles notes rappelant, l’une, l’interdiction pour un catholique d’adhérer à une loge maçonnique, l’autre, les conditions de conservation des cendres d’un défunt. Enfin, le 18 décembre 2023, une déclaration doctrinale autorisait les bénédictions de «  couples en situation irrégulière  » c’est-à-dire ceux composés de divorcés remariés, et surtout de «  couples de même sexe  ».

Cette déclaration historique permet aux prêtres qui accueillaient et bénissaient déjà des couples «  en situation irrégulière  » de sortir de la clandestinité. Certains nous ont confié que cela faisait « quarante ans  » qu’ils attendaient une telle déclaration. Naturellement, le DDF a rappelé l’attachement de l’Église au mariage traditionnel, mais il ouvre une porte pour que chacun puisse être accueilli dans l’Église, quelle que soit sa condition.

Même s’il n’est pas possible d’organiser de telles bénédictions dans un cadre liturgique précis (pour éviter la confusion avec un mariage), il s’agit d’un réel pas en avant. Et quantité de théologiens, de prêtres et de personnes LGBT+ se réjouissent des «  profondes implications pastorales  » qu’elle permet, malgré quelques limites. En fait, la déclaration fait écho à l’exhortation du pape lors des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de Lisbonne en août : «  Il y a de la place pour tous dans l’Église.  » Elle reprend aussi les réponses apportées par François aux cardinaux «  dubistes  » à la veille du synode sur la synodalité, réuni en octobre à Rome.

Si la première session de ce synode n’a pas débouché sur des prises de décisions significatives, elle a permis de briser des tabous. La synthèse finale évoquait des sujets jusqu’alors interdits de discussion : place des femmes dans l’Église, accueil des divorcés remariés et des personnes LGBT+, ordination presbytérale d’hommes mariés, rôle des prêtres ayant quitté le ministère, nouvelle définition du diaconat permanent, etc. Elle va servir durant l’année qui vient de base de discussion dans les diocèses, lesquels devront faire remonter à Rome les attentes des chrétiens en vue de la seconde session programmée en octobre 2024.

Physiquement fragile, intellectuellement solide

Mais encore faut-il que la santé du pape le permette. En effet, François a connu deux hospitalisations en 2023 : fin mars (après une infection respiratoire) et début juin (opération pour une hernie abdominale). Dernièrement, des «  symptômes grippaux  » lui ont fait annuler son voyage aux Émirats arabes unis en novembre, alors qu’il devait se rendre à la Conférence des Parties sur les changements climatiques de Dubaï (COP28).

À 87 ans (il les a eus le 17 décembre), le pape argentin, qui se déplace en fauteuil roulant, sait que le temps lui est compté. Et il n’est pas certain qu’il puisse honorer les trois déplacements prévus à ce jour durant l’année 2024 : un voyage en Argentine, où il n’est pas retourné depuis son élection le 13 mars 2013  ; un autre en Polynésie, menacée de disparition par le changement climatique  ; le troisième en Belgique, secouée par les scandales de violences sexuelles commises par des clercs flamands et par les révélations publiques de cas d’enfants enlevés et vendus par des religieuses à des parents adoptifs, après l’accouchement anonyme de 30.000 femmes entre 1945 et les années 1980.

Par ailleurs, la condamnation du cardinal Angelo Becciu à cinq ans et demi de prison et 8.000 euros d’amende par le tribunal du Vatican, le 16 décembre 2023, risque d’avoir des suites en 2024, Angelo Becciu ayant l’intention de faire appel. Dans ce procès retentissant, celui qui fut l’un des plus proches collaborateurs du pape est accusé d’avoir détourné des fonds et d’avoir escroqué le Vatican dans l’achat d’un immeuble londonien. Mais le pape a-t-il lui-même respecté la procédure dans cette affaire ? À quatre reprises durant les deux années de procès, il l’a modifiée avec effets rétroactifs : cela lui sera assurément reproché par la défense d’Angelo Becciu durant l’appel devant une cour romaine, puis, éventuellement, devant la Cour européenne des droits de l’homme.

L’année 2024 s’annonce donc mouvementée pour François, qui devrait publier une autobiographie au printemps (du jamais-vu pour un pape). De plus, il devra procéder à de nouvelles nominations au sein de la Curie romaine (dans les dicastères pour la vie consacrée, pour les laïcs, pour la promotion de l’unité des chrétiens, etc.) afin d’avancer comme il le souhaite grâce à une équipe partageant largement ses options.

S’il est physiquement fragile, les décisions énergiques qu’il peut prendre depuis la disparition de son prédécesseur montrent qu’il demeure en pleine possession de ses moyens intellectuels et qu’il n’a pas l’intention de baisser la garde devant ses ennemis, jusqu’alors peu ou prou contenus par Benoît XVI, mais déchaînés depuis sa disparition. François fera tout pour durer le plus longtemps possible, au moins jusqu’à la seconde session du synode en octobre prochain. Il aura alors accompli l’essentiel des tâches pour lesquelles il a été élu.

Gino Hoel

Sources : https://www.slate.fr/story/258339/2023-2024-annee-mouvementee-pape-francois-bilan-avenir-sante-doctrine-synode-eglise-catholique
https://nsae.fr/2024/01/02/2023-2024-dune-annee-mouvementee-a-une-autre-pour-le-pape-francois/

Publié dans Réflexions en chemin

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