Noël 2023

Publié le par Garrigues et Sentiers

 

Noël est un moment de fête, fête familiale, instants de bonheur, d’amour envers les autres. Ne boudons pas de tels instants qui nous revigorent en nous réjouissant. Bien sûr c’est aussi la grande fête de la consommation. La naissance de Jésus est utilisée sans vergogne pour faire du commerce, sans retenue. Vous devez dépenser, sinon vous serez de fait exclus de la fête, n’arrivez nulle part les mains vides. En fait nous sommes revenus aux fêtes du solstice d’hiver que Noël avait supplanté, pas de quoi s’alarmer, mais séparons bien la fête du solstice de la célébration de la naissance de Jésus. Et dans cette immense foire de la consommation, regardons briller les yeux des enfants pour en voir le meilleur côté : ils nous expriment le bonheur d’être choyés, aimés, de découvrir la joie partagée. Leurs yeux nous disent que tout n’est pas perdu, le bonheur peut encore nous faire vivre !

 

Ce bonheur partagé est aussi pour nous la réponse à la venue de Dieu parmi nous. Ce Dieu créateur, qui a donné le monde à Adam et Eve, qui a promis son soutien à Abraham et l’a réitéré envers Moïse, ce Dieu qui a accompagné son peuple pendant presque deux mille ans pour lui donner la vie, ce Dieu fait irruption parmi nous pour confirmer sa promesse qui a mis Abraham en route et devrait nous mettre en route, nous aussi. Notre Dieu n’est pas hors du monde, il est le Dieu de l’espérance, un Dieu qui, comme l’a écrit Ernst Bloch, a « le futur comme propriété ontologique », et non le Dieu de Parménide figé dans sa transcendance. Une histoire avec ce Dieu est donc possible.

 

Cet avènement est moins plaisant que ne le laissent paraître nos festivités. On peut s’apitoyer sur l’enfant dans la crèche, verser des larmes d’émotion heureuse, mais si l’on y pense, cette naissance est tout sauf plaisante ! Dès le début nous découvrons une image de Dieu au rebours de nos images : Dieu sans aucune puissance s’en remet aux hommes qui veulent le rejeter d’entrée. La venue de Dieu parmi les hommes, dès la Nativité, est dérangeante. Elle détruit toute une imagination autour du concept de Dieu, elle inaugure une autre compréhension de son amour pour les hommes, amour que Jésus passera sa vie à proclamer, principalement par ses actes, jusqu’au sacrifice final de sa vie. Ce n’est pas un sacrifice douloureux pour payer le mal (faire des sacrifices pour plaire à Dieu, quelle horreur!) mais don total de sa personne, y compris dans ses conséquences dramatiques.

 

Cette naissance est le début d’un événement fondateur, il y aura un avant et un après la vie de Jésus parmi les hommes. La promesse de salut est incarnée en Jésus, elle renouvelle notre histoire, nous rentrons dans la « nouvelle création », dans une histoire dirigée par sa fin qui doit tout réunir dans le Christ qui remettra tout à son Père. C’est une nouvelle Histoire. Notre espérance est là, dans notre confiance en la promesse. Elle est en contradiction avec nos espoirs humains constamment bafoués. Elle ne les ignore pas, mais elle nous assure que notre expérience est une réalité passagère qu’il s’agit de dépasser, sans l’annihiler, évidemment. Dans la déréliction qui nous envahit souvent, ceci n’est pas facile à croire, mais c’est nécessaire. Cependant ne négligeons pas tous les témoignages humains portés par une foule de gens qui s’engagent au service des autres, qui, plus prosaïquement veulent « faire du bien » autour d’eux. Ce sont des pépites qui permettent de l’espoir ici-bas et sont reprises dans notre espérance chrétienne.

La contradiction entre la réalité du monde et l’espérance chrétienne est celle qui existe entre la Croix et la Résurrection. Nous sommes écartelés, y compris dans nos réjouissances bien humaines de ce temps, entre la joie, le bonheur, et l’horreur des situations actuelles que nous connaissons. Impossible de faire la fête en oubliant l’autre face. Savoir toujours que la Résurrection vient après la Croix, les deux sont intimement liées. La naissance que nous célébrons est le début de cette marche vers la Croix et la Résurrection, elle ne se limite pas à un événement merveilleux manifestant la présence de Dieu avec nous, elle inaugure une marche, un « sortir de soi » pour avancer.

 

La venue de Jésus, son « ad-vènement » est la confirmation éclatante de la fidélité de Dieu à sa promesse, Dieu qui vient lui-même pour donner sa Vie aux hommes. Il vient nous garantir que notre histoire, faite de bonheurs mais aussi de souffrances, est transcendée par lui, qu’elle entre dans son Histoire qui s’achèvera seulement

« lorsqu’il remettra la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute Principauté, Domination et puissance » (1Cor 15, 24),

« lorsque toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même se soumettra à Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous » (1Cor 15,28).

 

Toute notre vie, plongée dans le quotidien de tous les hommes, sort de ses limites et trouve un débouché. Toute action au service des hommes, toute action d’amour, de libération, de salut prend une profondeur nouvelle, elle devient action de Dieu à travers nous et construit le Royaume, dès maintenant et à venir, elle prend une valeur éternelle (c’est-à-dire divine).

 

Notre espérance n’est pas vaine et dépasse complètement nos échecs et nos souffrances, les morts que nous vivons ici-bas : c’est en les assumant que Dieu construit la « Création nouvelle ». C’est cette espérance qui est au cœur de la célébration de Noël, cette espérance qui sera confirmée à Pâques, lorsque la descente vers l’enfer et la mort débouchent sur la Résurrection, notre résurrection. Le Ressuscité a inauguré notre propre résurrection, mais notre simple humanité continue jusqu’à la fin de l’Histoire qui donne sens (signification et direction) à l’histoire présente.

 

Alors, mais alors seulement, le Christ siégera dans la Gloire du Père et nous introduira comme fils. Noël nous appelle, au-delà de la fête qui nous réchauffe le cœur, à nous mettre en marche pour suivre le Christ sur le chemin qu’il va emprunter et sur lequel il nous attend. Osons l’espérance, elle n’est pas vaine. Comme le dit Héraclite cité par Clément d’Alexandrie, « celui qui n’espère pas l’inespéré ne le trouvera pas » (1).

 

Marc Durand

 

1 - Clément d’Alexandrie, Stromates II, 17

 

Note : dernière minute, le texte était déjà écrit. Une nouvelle loi sur l’immigration qui va plonger dans les difficultés (euphémisme!) combien de gens, qui ne sont pas de simples numéros, ou « migrants », mais faits de chair et d’os...et « d’âme », chacun différent et aimé par Dieu comme il est. Quelle espérance ? Qui va les aimer ?

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